Général
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Yves, évêque de Chartres
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Étienne-Henri, comte de Blois
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après 1090 - avant 1096
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[1096 au plus tard]
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Lettre
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Ivo, indignus Ecclesiae Carnotensis minister, Stephano, Palatino comiti(1), salutem.
Mansuetudinem vestram adversum me amaricatam non sufficienter admiror, qui personam vestram laesisse(a), vel principatus vestri jus legitimum in nullo me minuisse arbitror. Quod tamen si aliqua subreptione fecissem, familiaribus colloquiis ut errorem meum corrigerem, fueram admonendus, aut demum ad jus congruis locis et temporibus invitandus, non verbis indignantibus et minacibus exasperandus. Cum ergo nihil horum praecesserit, cognoscat strenuitas vestra quam subito in amicum insurrexerit et compescat indignationem suam, quia sic parati sumus vestrae parere amicitiae ut tamen ministerium nostrum honorificemus satisfaciendo justitiae Quod enim a claustro canonicorum omnis saecularis potestas sit eliminata, jamdiu ante tempora patrum vestrorum(b) et regum decretis est cautum et ecclesiasticis sanctionibus multimode roboratum(2) et usque ad tempora Gaufridi episcopi(3)(c) sine ulla interruptione conservatum.
Quod ergo Ecclesia tam liberaliter in primis obtinuit, quod tam multis temporibus quiete possedit(4), putatis unius hominis levitate vel perversitate a jure Ecclesiae posse auferri, et sine multa discussione, sine judiciali definitione in alienum jus posse transferri ! Redeat ergo ad se mansuetudo vestra et acquiescat verbis Sapientiae dicentis(5) : « Ne transgrediaris terminos antiquos, terminos(d) quos posuerunt patres tui. » Quos quicumque praesumpserit adversus Ecclesiam parvitati nostrae commissam transcendere, parati sumus pro potestate nobis a Deo collata usque ad damna rerum, usque ad exsilium contradicendo resistere(e) et gladio sancti Spiritus usque ad dignam satisfactionem persequendo ferire. Hic gladius penetrat turres, dejicit propugnacula,(6) et omnem altitudinem adversus humilitatem Christi se erigentem et haereditatem quam sibi suo sanguine acquisivit injuste pervadentem. Hic gladius in egestate fortior est, in exsilio non frangitur, carcere non alligatur, juxta illud Apostoli(7) : « Verbum Dei(f) non est alligatum. » Quod si nos cum hoc gladio non timetis, timete Deum in nobis, cujus fungimur legatione licet indigni(8), cujus sacramentorum dispensatores sumus, dicente Domino per Prophetam(9) : « Nolite tangere christos meos et in prophetis meis nolite malignari ». Habet enim legitimus principatus Ecclesiarum quieti providere, non Ecclesiarum quietem perturbare, sua dare, non suis spoliare, quatenus Ecclesia, Deum pro principibus et potestatibus orans, non cum disceptatione hoc faciat sed cum pietate.
De caetero de securitate pro qua me invitastis ut eam vobis Meldis(10) facerem, non est mihi consilium ut eam vobis alibi faciam nisi in civitate pro qua et de qua vobis eam debeo(11). Nec decet tam rectae opinionis hominem, ut aliquid a me exigatis contra consuetudinem propter suscitandi odii occasionem. Non enim adeo sum cupidus aut timidus ut me(g) vel hoc vel illud ducat in aliud quam habet ratio et consuetudo. Ego enim, perquisitis Ecclesiae scriptis, consultis etiam antiquioribus Ecclesiae clericis, nullo modo invenire potui aliquem antecessorum meorum canonice promotum hanc securitatem fecisse antecessoribus vestris, nisi in civitate. Valete et Deus pacis sit vobiscum(12).
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om. V
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nostrorum Au
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ex episcopi T, ex cancellé Au
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om. T
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existere V
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Domini V
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om. V.
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Étienne-Henri, né vers 1047, comte de Blois et Chartres, fils de Thibaud I
er, comte de Blois et de Champagne, et de Gersent, sœur du comte du Maine Hugues IV, marié en 1074 à Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, déjà rencontrée lettre 5. Le titre de palatin est un titre héréditaire de la maison de Blois. D'abord prénommé Henri, nom sous lequel il apparaît dans les premières chartes vers 1059-1065, il prit le prénom d'Étienne, qui fut utilisé dans les chartes de 1074 à son départ pour la croisade en 1096 avec son beau-frère, le duc de Normandie Robert Courteheuse, et le comte Robert de Flandre. Fuyard devant Antioche, il repartit le 2 juin 1098 pour l'Europe. Mais en 1100 il reprit la route de l'Orient avec un petit groupe d'évêques et de nobles et, capturé à la bataille de Ramala, il fut sans doute exécuté à Ascalon le 19 mai 1102. A. Fliche,Philippe Ier, p. 245-247, 338, 380. M. Bur,La formation du comté de Champagne,v. 950-v.1150, Nancy, 1977,passim, en particulier p. 200, 231-235, 484. J. Brundage, « An errant crusader, Stephen of Blois »,Traditio, 1960, t. 16, p. 380-395. P. Rousset, « Étienne de Blois, fuyard et martyr »,Mélanges L. Blondel, Genève, 1963, p. 183-195 (p. 185, n. 19 pour la lettre). Il avait écrit deux lettres à sa femme, dont l'une est conservée, bibliographie et traduction Marie-Adélaïde Vandevoorde, dansSources d'histoire médiévale, Paris, 1992, p. 374-376.
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Sur les juridictions respectives des comtes, évêques, chapitre, voir E. de Lépinois et L. Merlet,
Cartulaire de Notre-Dame de Chartres, t. 1, p. CXIII-CXXV.
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Voir lettre 1.
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La possession tranquille d'un bien, généralement pendant trente ans, exclut toute controverse, voir Yves,
Décret3, 99.
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Prov. 22, 28.
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Vocabulaire biblique, Jud. 9, 51, Cant. 4, 4.
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II Tim. 2, 9.
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Voir lettre 44.
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Ps. 104, 15.
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Étienne-Henri était comte de Meaux et de Brie depuis 1081. Il possédait dans ce comté neuf châteaux importants, dont celui de Meaux. M. Bur,
op. cit., p. 235. D'après Imbart de La Tour,Les élections épiscopales dans l'Église de France, 1891, p. 269, lasecuritasest le serment que l'évêque prêtait au comte, lui assurant qu'il ne ferait rien qui puisse entrainer la perte de son comté ; d'après J. Leclercq il s'agit d'une garde que l'évêque promettait de fournir au comte.
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Donc seulement à Chartres.
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Phil. 4, 9.
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a. Avranches, BM 243, 32v-33
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 21r v
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 10
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T. Troyes, BM 1924, 5v-6v et 83v-84
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Au. Auxerre, BM 69, 17v-18
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Yves, ministre indigne de l'Église de Chartres, à Étienne, comte palatin, salut.
Je ne laisse pas de m'étonner que votre mansuétude soit devenue amère à mon encontre, moi qui pense ne pas avoir blessé votre personne ou n'avoir en rien amoindri le droit légitime de votre primauté. Si cependant je l'avais fait par quelque maladresse, il aurait fallu que par des conversations familières vous me poussiez à corriger mon erreur ou au moins que vous m'engagiez à respecter le droit en lieux et temps adaptés et non que vous m'irritiez par des paroles indignées et menaçantes. Donc comme rien de ceci n'a eu lieu auparavant, que votre vaillance reconnaisse avec quelle soudaineté elle s'est dressée contre un ami et qu'elle contienne son indignation envers nous parce que nous sommes prêt à obéir à votre amitié, de manière toutefois à honorer notre ministère en donnant satisfaction à la justice. Que toute puissance séculière ait en effet été éloignée du cloître des chanoines, cela a été, longtemps avant l'époque de vos pères, et garanti par les décrets des rois et confirmé de diverses manières par les prescriptions ecclésiastiques et, jusqu'à l'époque de l'évêque Geoffroy, observé sans aucune interruption.
Donc ce que l'Église a obtenu si libéralement à ses débuts, ce qu'elle a possédé tranquillement pendant si longtemps, vous pensez que cela peut, par la légéreté ou la perversité d'un seul homme, être enlevé au droit de l'Église et peut, sans longue enquête, sans sentence judiciaire, être transféré au droit d'un autre. Que votre mansuétude revienne donc à elle et se rende aux mots de la Sagesse qui dit : « Ne franchis pas les bornes anciennes, les bornes qu'ont placées tes pères. » Quiconque aura l'audace de les franchir, contre l'Église qui a été confiée à notre petitesse, nous sommes prêt, en raison du pouvoir qui nous a été donné par Dieu, à lui résister en le réfutant jusqu'à la perte de nos biens, jusqu'à l'exil, et à le frapper du glaive du Saint-Esprit en le poursuivant jusqu'à obtenir une satisfaction convenable. Ce glaive traverse les tours, met à bas les remparts et toute hauteur qui se dresse contre l'humilité du Christ et prend injustement possession de l'héritage qu'il s'est acquis par son sang. Ce glaive est plus fort dans l'indigence, ne se brise pas dans l'exil, n'est pas enchaîné par la prison, selon ce que dit l'Apôtre : « La parole de Dieu n'a pas été enchaînée. » Si vous ne nous craignez pas avec ce glaive, craignez Dieu en nous, lui dont nous remplissons bien qu'indigne la légation, des sacrements de qui nous sommes dispensateurs, puisque le Seigneur dit par son prophète : « Ne touchez pas mes christs et ne maltraitez pas mes prophètes. » Car il appartient à la principauté légitime de pourvoir au repos des Églises, non de troubler le repos des Églises, de donner ses biens, non de les spolier des leurs, pour que l'Église, priant Dieu pour les princes et les puissants, ne le fasse pas avec réticence mais avec piété.
Par ailleurs, à propos de la sûreté que vous m'avez engagé à vous assurer à Meaux, je n'ai pas l'intention de vous la rendre ailleurs que dans la cité pour laquelle et sur laquelle je vous la dois, et il ne convient pas à un homme de si droite opinion que vous exigiez de moi quelque chose contre la coutume, pour susciter une occasion de haine. Car je ne suis pas assez cupide ou timide pour traiter ceci ou cela autrement que ce que demandent la raison ou la coutume. Car moi, après avoir parcouru les écrits de l'Église, après avoir consulté aussi les plus anciens clercs de l'Église, je n'ai pu en aucun cas trouver quelqu'un de mes prédécesseurs promu canoniquement qui ait rendu cette sûreté à vos prédécesseurs, si ce n'est dans la cité. Adieu et que le Dieu de paix soit avec vous.