Général
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Yves, évêque de Chartres
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Philippe 1er, roi de France
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circa 1092
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[1092]
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Lettre
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Domino suo Philippo, magnifico Francorum regi, Ivo, humilis Carnotensium episcopus, sic militare in regno terreno ut non(a) privetur aeterno(1).
Sicut serenitati vestrae dixi praesens ante juramentum vestrum(2), ita nunc scribo absens quia huic nuptiarum solemnitati ad quam me vocastis(b) interesse nec volo nec valeo, nisi prius generalis concilii diffinitione decretum esse cognoscam inter vos et uxorem vestram legitimum intervenisse divortium et cum ista quam ducere vultis legitimum vos posse inire matrimonium. Si autem invitatus fuissem ad hujus rei discussionem in eo loco in quo cum coepiscopis canonicas secure possem conferre sententias, ubi temerariam non timerem multitudinem, libentissime ad hoc venirem, quod lex et justitia dictaret cum audientibus audirem, cum dicentibus dicerem, cum facientibus facerem.
Nunc vero quia absolute vocor ut Parisium(c) cum uxore vestra veniam, de qua nescio utrum possit esse uxor, propter conscientiam meam, quam coram Deo conservare debeo, et propter famam, quam Christi sacerdotem bonam habere oportet apud eos qui foris sunt(3), malo cum mola asinaria in profundum mergi(4) quam per me mentibus infirmorum tanquam caeco offendiculum poni(5). Nec ista contra fidelitatem vestram(d), sed pro summa fidelitate dicere me arbitror(e), cum hoc et animae vestrae magnum credam fore detrimentum, et coronae regni vestri summum periculum.
Mementote quia primum parentem, quem Dominus universae visibili creaturae praefecerat, mulier in paradiso seduxit et ita uterque a paradiso exsulavit(6). Samson quoque fortissimus, per mulierem seductus, fortitudine amissa qua hostes superare solebat, ab hostibus est superatus(7). Salomon sapientissimus propter mulierum concupiscentiam a Deo apostatavit et ita sapientiam qua praecellebat amisit(8). Caveat ergo sublimitas vestra ne in horum incidatis exemplum et ita cum diminutione terreni regnum amittatis aeternum. Consulite ergo angelum magni consilii(9), ut accepto ab eo spiritu consilii(10), inhonesta et inutilia vitare, honesta et utilia in omnibus negotiis vestris valeatis perficere. Valete.
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ne JT
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vocatis A éd. L
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Parisius JM
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vestram dico JT
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dicere me arbitror om. JT.
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Cette idée se trouve dans diverses sources, par exemple la lettre du pape Nicolas à l'empereur Michel, lettre 98,
PL119, col. 1045. Voir aussi lettre 22.
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J. Leclercq suggère que ce pourrait être le serment par lequel le roi aurait prouvé, pour rendre son mariage nul, qu'il avait un lien de parenté avec Berthe.
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I Tim. 3, 7.
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Matth.18, 6 ; Marc. 9, 42 ; Luc. 17, 1-2.
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Lev. 19, 14.
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Gen. ch. 3.
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Jud. ch. 16.
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I Reg. ch. 11.
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Introït de la messe de Noël, d'après Is. 9, 6 et 11, 2.
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Is. 11, 2.
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a. Avranches, BM 243, 16rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 9v-10
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J. Jesus College, Q.G.5, 34
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T. Troyes, BM 1924, 76v
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L. Lettres de saint Ives évêque de Chartres traduites et annotées par L. Merlet, Chartres, 1885,
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À son seigneur Philippe, magnifique roi des Francs, Yves, humble évêque des Chartrains, combattre dans le royaume terrestre de manière à ne pas être privé du royaume éternel.
Comme je l'ai dit, présent, à votre sérénité avant votre serment, j'écris, absent maintenant, que je ne veux ni ne peux assister à cette solennité de votre mariage à laquelle vous m'invitez, à moins que je n'apprenne d'abord qu'il a été décrété par la décision d'un concile général qu'était intervenu un divorce légitime entre vous et votre épouse et que vous pouvez vous marier légitimement avec celle que vous voulez épouser. Et si j'avais été invité à la discussion de cette affaire en un lieu où j'aurais pu débattre en sûreté avec mes collègues évêques des sentences canoniques, où je n'aurais pas craint une foule téméraire, j'y serais venu très volontiers, j'aurais écouté avec ceux qui écoutent, j'aurais dit avec ceux qui disent, j'aurais fait avec ceux qui font ce que dictent la loi et la justice.
Mais maintenant que je suis ouvertement invité à venir à Paris avec votre épouse, dont j'ignore si elle peut être votre épouse, à cause de ma conscience, que je dois préserver devant Dieu, et à cause de ma renommée, que le prêtre du Christ doit avoir bonne auprès de ceux qui sont au-dehors, je préfère être englouti dans les profondeurs avec une meule de moulin qu'être mis pour les esprits faibles comme une pierre d'achoppement pour un aveugle. Et ce n'est pas, je pense, à l'encontre de la fidélité à votre égard que je le dis, mais en raison d'une plus grande fidélité, puisque je crois que ceci serait et un grand dommage pour votre âme et un plus grand péril pour la couronne de votre royaume.
Souvenez-vous que notre premier parent, que le Seigneur avait mis à la tête de toute créature visible, fut séduit par la femme au paradis et qu'ainsi l'un et l'autre furent expulsés du paradis. Le très courageux Samson aussi, séduit par la femme, ayant perdu la force par laquelle il avait coutume de surpasser ses ennemis, fut surpassé par ses ennemis. Le très sage Salomon renia Dieu à cause de la concupiscence des femmes et perdit ainsi la sagesse dans laquelle il excellait. Que votre sublimité prenne donc garde à ne pas tomber dans leur exemple et à perdre ainsi, avec l'amoindrissement du royaume terrestre, le royaume éternel. Suivez donc les conseils de l'ange du grand conseil, pour qu'après avoir reçu de lui l'esprit de conseil vous ayez la force d'éviter ce qui est deshonnête et inutile et d'accomplir en toutes vos affaires ce qui est honnête et utile. Adieu.