Livre au Roi
Ce que l'on doit faire d'un chevalier qui abjure sa foi.
Ici orrés c'on deit faire de celuy chevalier qui estraie son fié et s'en vait en terre des Serasins et se renoie de la lei de Jesu Crist por cele de Mahoumet. S'il avient que un chevalier estraie son fié sans recoumander son fie a son seignor et s'en vait en terre de Sarasins et si renee la lei de Jhesu Crist et s'en prent a cele de Sarasins, la raison juge et coumande ce enci a juger que son fié o can que il avoit si deit estre dou seignor a tous jors mais[...]
M. Greilsammer, Le Livre au roi (Paris, 1995).
Vous entendrez ici ce que l'on doit faire d'un chevalier qui quitte son fief pour partir en terre sarrasine et qui abjure la loi de Jésus-Christ pour celle de Mahomet. Si un chevalier abandonne son fief sans prendre congé de son seigneur pour partir en terre sarrasine, et alors il abjure la loi de Jésus Christ pour celle des sarrasins, la raison juge et commande que son fief et tous ses biens passent définitivement à son seigneur[...]
A. Bishop
Ce chapitre est une élaboration de la neuvième raison pour laquelle un homme lige pouvait être déshérité, selon "l'établissement dou roi Bauduin segont" ou "l'assise de confiscation" chapitre 16. L'apostasie était considérée comme une trahison envers l'État ou le christianisme en général. Les catholiques seuls pouvaient obtenir des fiefs du roi ; un apostat perdait donc la possession de sa terre pour le reste de sa vie.1 Même si cela n'est pas précisé, on peut supposer que, comme cela est souligné dans le chapitre 16, le roi pouvait déshériter son homme lige sans le jugement de la Haute Cour de Jérusalem. Toutefois, ce chapitre ajoute que la femme d'un homme lige apostat peut conserver les biens de son mari mais qu'elle doit se remarier avec un autre homme au bout d'un an et un jour.
1 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 435.
Bien qu'il y ait très peu de preuves écrites indiquant que quand les feudataires étaient apostats, ils étaient déshérités comme cela est souligné par cette assise, il est cependant bien connu que beaucoup de chrétiens se sont convertis à l'Islam, souvent au cours d'une bataille ou d'un siège, ou après avoir été capturés par les forces musulmanes. On peut supposer que les apostasies et conversions à l'Islam se sont produites assez souvent chez les Croisés.1 Des lettres du pape Alexandre III au douzième siècle et d'Urbain IV au treizième siècle semblent indiquer que des chrétiens à Jérusalem parfois sont devenus apostats, et après voulaient retourner au christianisme. Le chapitre précédent du Livre au Roi, le 22, permet à un feudataire de retenir son fief s'il a été capturé par les musulmans pourvu qu'il jure qu'il n'a pas apostasié en captivité, ce qui semble indiquer que l'apostasie était normale dans de telles circonstances.
1 . B. Z. Kedar, "Multidirectional conversion in the Frankish Levant", in J. Muldoon, Varieties of Religious Conversion in the Middle Ages (Gainesville, 1997), repr. in Franks, Muslims, and Oriental Christians in the Latin Levant (Aldershot, 2006), 194.
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°70972, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait70972/.