Gershom ben Judah Meʾor ha-Golah
Correspondance de Rabbenu Gershom
Les juifs peuvent faire du commerce avec les chrétiens pendant les fêtes chrétiennes et ils peuvent accepter les vêtements des prêtres en garantie.
לרבינו גרשום זצ"ל, וששאלתם שהורה לכם החבר שלא להלוות על בגדי הכומרין שמזמרין בהם לפני ע"ז ואומרים שהן משמשי ע"ז ואסורין וחלוקין לומר שאין משמשי ע"ז נראין הדברים שהם משמשי ע"ז כשם שתקרובת ע"ז אמרינן כעין פנים לענין משמשמין /משמשין/ אמרינן כעין פנים ולהבדיל בין טומאה לטהרה, מה בגדי כהונה קדש אף בגדי כומרין משמשין הוו, אבל לענין איסוריה נימא לקמן. וגם הורה לכם החבר שלא לישא וליתן באידיהן של גוים יום אידם כשמואל. אמנם כי כן מפורש במסכת ע"ז, אבל בישראל נהגו לישא וליתן באידיהן של גוים ואין לנו לאסור עליהן. מוטב שיהיו שוגגין ואל יהיו מזידין לפי שפרנסתם תלויה בסחורתם ורוב ימות השנה יום אידם הם, כמו ששנינו אלו אידיהן או ימי הלידה או ימי המיתה, ונמצאת פרנסתם כלה אם לא ישאו ולא יתנו ביום אידם, והיו עוברין ונושאין [ונותנין] במזיד. ואם יש שמקשה הא אמר ר' יוחנן נהגו העם בחרובין כר' נחמיה, איתיביה ריש לקיש לר' יוחנן בנות שוח וכו' עד משום דאמר ליה כמקום איסורא כי נהגי שבקינן להו, אלמא כיון דאסור אף על גב דאית לן למיסר לא דמי האי מלתא למעשי חרובין דאין להם הפסד בדבר, ולא אתו לעבור דאמרינן מה לי לעשר שעבר מה לי להבא, אבל הכא דפרנסתן כלה אתו למעבד, אלא אי איכא לדמוייה הא להא, דאמר ליה רבא בר בר חנין לאביי תנן אין מטפחין ואין מספקין ביום טוב והאידנא דקא חזינן דעבדי הכי ולא אמרינן להו ולא מידי, ולטעמיך הא דאמר רבא לא ליתיב אינש אפומא וכו' אלא הנח להן לישראל מוטב שיהיו שוגגין ואל יהיו מזידין, לא שנא דאורייתא ולא שנא דרבנן דהא תוספת יום הכיפורים מדאורייתא וכו' עוד אין לנו לאסור עליהן, שבשעת הדחק יש לנו לסמוך אדר' יוחנן דתנן שחיטת נכרי נבילה ומקשינן וניחוש שמא מין הוא ומין עובד ע"ז וזבחי מתים אמר רב נחמן אמר רבה בר אבוה אין מינין באומות. והא חזינן דאיכא, אימא אין רוב אומות מינין, סבר לה כי הא דאמר ר' חייא בר אבא א"ר יוחנן גויים שבחוצה לארץ לאו עובדי ע"ז אלא מנהג אבותיהם בידיהם. ואנן בחוצה לארץ, וכיון דאין עובדין ע"ז אין לנו לאסור שלא לישא וליתן ביום אידם וכן נמי משמשי ע"ז אין לנו לאוסרן, שמשמשי ע"ז אינן אסורין עד שיעבדו כיון דגויים שבחוצה לארץ אינן עובדין ע"ז אף על פי שעובדין אותה אינה נחשבת ע"ז. אבל ע"ז עצמה אסורה דתנן ע"ז של נכרי אסורה מיד בין נעבדת בין אינה נעבדת.
S. Eidelberg, Teshuvot Rabbenu Gershom Meʾor ha-Golah (New York, 1955), via The Responsa Project of Bar-Ilan University.
L’opinion de rabbenu Gershom, que la mémoire du pieux soit bénie: Tu demandas des renseignements sur les instructions d’un collègue de ne pas octroyer des prêts dans les cas où les vêtements des prêtres servent de garantie, parce qu’ils chantent dans ces habits devant leurs idoles et les vêtements sont donc les moyens de l’idolâtrie qui sont interdits [i.e. les juifs ne sont pas autorisés d’en tirer profit]. Tu n’es pas d’accord en disant que ces vêtements ne constituent pas les moyens de l’idolâtrie.
Il me semble que ces vêtements sont vraiment les moyens de l’idolâtrie. On dit notamment dans le cas d’offrandes idolâtres que les objets offerts en offrande doivent ressembler à ceux qui étaient offerts dans le Temple (cf. le Talmud de Babylone, ʿAvodah Zarah 50a); nous devons aussi juger les objets (de culte chrétien), pour savoir s’ils ressemblent à ceux qui étaient offerts dans le Temple en faisant la distinction entre l’impureté et la pureté. Puisque les vêtements des prêtres du Temple étaient sacrés, aussi les vêtements de ces prêtres sont les moyens (de l’idolâtrie). Concernant la question de savoir s’ils sont interdits comme garantie, cependant, nous passerons à cela.
Ton collègue t’instruisit de ne pas faire du commerce avec les gentils pendant leurs fêtes en suivant l’avis de Shemuʾel (le Talmud de Babylone, ʿAvodah Zarah 7b). En effet, cela fut déclaré explicitement dans le traité ʿAvodah Zarah, mais la pratique habituelle des juifs est de faire du commerce pendant les fêtes des gentils, et on ne peut pas les en empêcher. Il est mieux qu’ils enfreignent (les lois des rabbins) involontairement plutôt qu’ils le fassent de façon délibérée (cf. le Talmud de Babylone, Shabbat 125b), parce que leur gagne-pain dépend de leurs activités commerciales, et la plupart des jours de l’année sont les fêtes des gentils. Après tout, nous avons appris du texte « Celles-ci sont leurs fêtes » (Mishnah ʿAvodah Zarah 1.3) « y compris les anniversaires et les funérailles». On peut dire qu’ils perdront leurs moyens de subsistance s’ils ne font pas de commerce pendant les fêtes (des chrétiens), et ils enfreindront donc la loi de façon délibérée en faisant du commerce [si nous les instruisons de ne pas le faire].
On peut objecter en citant : «Rabbi Yoḥanan dit : le peuple s’habitua à suivre rabbi Neḥemiah au sujet des caroubiers. Resh Laqish s’opposa au rabbi Yoḥanan: dans le cas des figuiers sauvages… Va-t-on le permettre parce que dans un certain endroit il y a l’usage de commettre une action interdite?» (le Talmud de Babylone, Rosh Hashanah 15b). Puisque cela est interdit, il faut que nous disions quelque chose! Cependant, ce cas ne ressemble pas à celui des caroubiers, parce que [dans le dernier cas] les juifs ne subissent pas les pertes de subsistance et ils ne seront pas enclins à enfreindre la loi. Ils peuvent dire : «Que m’importe que je paie une dîme l’année précédente ou l’année suivante? » Dans ce cas, où ils perdraient leurs moyens de subsistance, ils seraient enclins à enfreindre la loi. Il faut plutôt faire un parallèle avec ce que Rava bar bar Ḥanin dit à Abaye: “Nous avons appris qu’il ne faut pas applaudir ou taper sur la cuisse de quelqu’un pendant les fêtes, pourtant aujourd’hui on voit que chacun le fait et on ne dit rien. Il faut plutôt qu’Israël fasse comme ça : il est mieux qu’ils enfreignent (les lois) involontairement plutôt qu’ils le fassent de façon délibérée. Et il n’y a pas de différence à l’égard des ordonnances de la Bible ou des rabbins, parce qu’[on ne dit rien] même à l’égard du délai supplémentaire [ajouté au jeûne] de Yom Kippur, ce qui est une loi de la Bible» (le Talmud de Babylone, Beitzah 30a).
Une autre raison pour laquelle on ne doit pas interdire cela est qu’en temps de crise, il faut s’appuyer sur l’enseignement de rabbi Yoḥanan: « Nous avons appris que les animaux abattus par les gentils ont été considérés comme charogne. Et nous nous y opposons : devons-nous nous inquiéter de ce que l’équarisseur peut être un hérétique?, car les animaux abattus par les hérétiques sont traités comme de l’idolâtrie et des offrandes aux morts, et on ne peut en retirer un bénéfice. Rav Naḥman dit au nom de Rabbah bar Avuh: « Il n’y a pas d’hérétiques parmi les gentils. Mais on sait qu’en fait il y en a ! Cependant la plupart des gentils ne sont point hérétiques selon ce que Rav Ḥiyya bar Aba dit au nom de rabbi Yoḥanan: « Les gentils qui habitent en dehors de la terre d’Israël ne pratiquent pas l’idolâtrie, mais ils respectent justement leurs coutumes ancestrales » (le Talmud de Babylone, Ḥullin 13b). Nous habitons en dehors de la terre d’Israël, et puisqu’ils ne pratiquent vraiment pas l’idolâtrie, il ne faut pas interdire le commerce avec eux pendant les jours de leurs fêtes.
Par la même logique, il ne faut pas interdire les moyens liés à leur idolâtrie, parce que les moyens de l’idolâtrie ne deviennent pas interdits jusqu’à ce qu’ils servent dans la pratique de l’idolâtrie. Et pourtant, les gentils en dehors de la terre d’Israël ne pratiquent pas l’idolâtrie. Même s’ils pratiquent quelque chose, cela n’est pas considéré comme idolâtrie. Les idoles sont, au contraire, interdites, comme nous avons étudié : «Les idoles des gentils sont interdiets immédiatement, qu'elles soient utilisées pour l’idolâtrie ou pas » (le Talmud de Babylone, ʿAvodah Zarah 51b).
N. Koryakina
Un certain rabbin allemand présenta l’argument selon lequel les juifs ne devaient pas accepter les vêtements des prêtres catholiques en garantie pour un prêt, parce que les juifs ne peuvent pas tirer bénéfices des objets associés à l’idolâtrie. Ce rabbin affirma que les juifs ne devaient pas faire du commerce avec les chrétiens pendant leurs fêtes en raison de l’interdiction du Talmud contre le commerce avec les idolâtres pendant les jours de leurs fêtes. Les conséquences financières de ces arguments, surtout de ce dernier, pour les hommes d’affaires juifs pouvaient être considérables, si on se rappelle du nombre des fêtes associées aux saints dans le calendrier chrétien médiéval.
Rabbenu Gershom ne conteste pas la logique de ces arguments. En effet, il déclare que les vêtements des prêtres sont considérés comme les moyens de l’idolâtrie et il dit à la fin de son responsum que les idoles des chrétiens sont tout de même des idoles. Il n’y a pas de certitude sur les objets rituels particuliers, le cas échéant, auxquels Gershom pensait. Cependant, Gershom déclare que la logique qui sous-tend ces règlements restrictifs ne s’applique point.
Premièrement, selon Gershom, les rabbins en Allemagne ne doivent pas essayer de mettre en application des mesures interdisant le commerce avec des chrétiens, parce que les hommes d’affaires juifs enfreindront inévitablement ces interdictions afin de préserver leurs moyens de subsistance. Gershom fait appel à un principe classique du Talmud qui dit : «il est mieux que le peuple enfreigne (les lois de la Torah) involontairement plutôt qu’il le fasse de façon délibérée». Il recourt à l’impact financier de cette interdiction pour justifier l’applicabilité de ce principe.
Ensuite, rabbenu Gershom montre que les pratiques religieuses des gentils en Europe ne correspondent pas à la définition de l’idolâtrie du Talmud, parce que cette définition ne s’applique que dans la terre d’Israël.
Ce dernier argument avait des conséquences considérables, car il put s’appliquer à toutes les lois concernant les relations entre les juifs et les gentils quel que soit leur impact financier. Gershom tente de limiter le champ d’application de cet argument en disant qu’il ne peut s’appliquer « qu’en temps de crise ». Cependant, il s’en sert non seulement pour le cas du commerce fait pendant les fêtes des gentils, mais aussi pour les cas des prêts avec les vêtements des prêtres donnés en garantie, dans lequel les implications financières sont beaucoup plus limitées.
Ce responsum est un exemple classique de comment les autorités rabbiniques en Europe traitaient les implications pratiques de l’application des lois du Talmud concernant l’idolâtrie par rapport au christianisme. Notez que rabbenu Gershom ne parle pas de l’essence du christianisme comme d’une religion idolâtre ou non-idolâtre. Il trouve plutôt logique dans les sources talmudiques de définir tout culte non-juif en dehors de la terre d’Israël comme non-idolâtre ou, à défaut, de justifier l’ignorance des lois qui puissent restreindre le commerce avec les non-juifs.
Nadezda Koryakina : traduction
Claire Chauvin : relecture
Notice n°244106, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait244106/.