Général
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Yves, évêque de Chartres
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Henri 1er, roi d’Angleterre
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après 1100/08 - avant 1116
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[après août 1100]
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Lettre
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Henrico, excellenti Anglorum regi(1), Ivo, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, in eo vivere et regnare per quem reges regnant(2).
Quoniam paterni regni solium conscendere vos fecit divina dispensatio, pro gratia nobis collata divinam interpellamus clementiam quatenus paternos mores(3), paternam vos faciat imitari honorificentiam, ut in nullo vestra sublimitas ab eorum nobilitate degeneret et in nullo ab eorum frugalitate declinet. Et quia res omnes non aliter bene administrantur nisi cum regnum et sacerdotium in unum convenerint studium(4), celsitudinem vestram obsecrando monemus quatenus Verbum Dei in regno vobis commisso currere(5) permittatis et regnum terrenum coelesti regno, quod Ecclesiae commissum est, subditum esse debere semper cogitetis. Sicut enim sensus animalis subditus debet esse rationi, ita potestas terrena subdita esse debet ecclesiastico regimini. Et quantum valet corpus nisi regatur ab anima(6), tantum valet terrena potestas nisi informetur et regatur ecclesiastica disciplina. Et sicut pacatum est regnum corporis cum jam non resistit caro spiritui, sic in pace possidetur regnum mundi cum jam resistere non molitur regno Dei.
Hoc cogitando, servum servorum Dei(7) vos esse intelligite, non dominum ; protectorem, non possessorem ; unam debere esse de cedris Libani quas plantavit Dominus, in qua nidificent passeres(8), id est sub cujus tutela quiete fructificent et conversentur Christi pauperes ; quorum orationes pro statu regni vestri et incolumitate vestra quanto quietiores, tanto saniores, quanto saniores, tanto constat esse efficaciores. Hoc enim faciendo et regnum terrenum quiete Deo cooperante possidebitis et ad regnum aeternum ejusdem miseratione pervenietis.
De caetero commendo vobis hos canonicos nostros praesentium litterarum portitores, quos Ecclesia nostra excellentiae vestrae pro sua necessitate transmittit, quatenus, ea audita, prout vobis visum fuerit et Deus inspiraverit, eidem necessitati occurratis et charitatem quam erga eamdem Ecclesiam parentes vestri habuerunt et vos habere studeatis. Eadem enim Ecclesia parentes vestros specialius caeteris benefactoribus suis habet in memoria, tam pro eorum excellentia quam pro eorum munificentia(9). Valete.
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Henri I
erBeauclerc, devenu roi d'Angleterre le 5 août 1100, duc de Normandie de 1106 à sa mort le 1erdécembre 1135. J. Boussard,Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, Paris, 1956,passim.G. Davy,Le duc et la loi, Paris, 2004,passim. Plusieurs correspondances avec ce roi sont conservées : lettres de Pascal II à Henri, à propos des investitures ecclésiastiques, lettre 49 en 1101, lettre 175 en 1105 (PL163, col. 70-72, 184-185). Court billet d'Henri à Lambert d'Arras,Registre, E. 98, vers 1109-1110. Lettre 152 de Geoffroy de Vendôme, qui renonce à un voyage en 1118-1119, très laconique. Correpondance entre Anselme de Cantorbéry et le roi, Eadmer,Histoire des temps nouveaux, traduction H. Rochais,L'œuvre d'Anselme de Cantorbéry, t. 9, livre 3 et 4, p. 158, 179, 181, 199-201.
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Prov. 8, 15,
per me reges regnant. La citationper quem reges regnantest employée par Louis VI, acte n° 84,Recueil des actes de Louis VI, éd. J. Dufour, t. 1, p. 188. Elle est très fréquemment utilisée.
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Le père d'Henri est Guillaume le Conquérant, mais Henri succède sur le trône d'Angleterre à Guillaume II le Roux, 1087-1100.
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Voir en particulier la lettre 60 d'Yves, où il expose en détail ses conceptions de l'investiture.
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D'après II Thess. 3, 1,
sermo Dei currat.
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D'après I Cor. 15.
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Yves applique au roi l'expression inspirée de Paul qui est traditionnellement utilisée par les papes.
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Ps. 103, 17.
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Il est fait allusion à ces dons,
multa praedia, honores et divitias, dans leCartulaire de Notre-Dame de Chartres, t. 1, p. 46. Voir Yves, lettre 118, nouvelle demande de dons ; lettre 142, remerciements pour le don de cloches.
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a. Avranches, BM 243, 69rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 46v-47
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À Henri, excellent roi des Anglais, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, vivre et régner en celui par qui règnent les rois.
Puisque la disposition divine vous a fait monter sur le trône du royaume paternel, par la grâce qui nous a été conférée nous implorons la divine clémence pour qu'elle vous fasse imiter les mœurs paternelles, les témoignages d'honneur paternels, afin que votre altesse ne dégénère en rien de leur noblesse et ne se détourne en rien de leur mesure. Et parce que toutes les affaires ne sont bien administrées que lorsque le royaume et le sacerdoce s'unissent dans un zèle commun, en suppliant votre excellence nous vous recommandons de permettre que le Verbe de Dieu accomplisse sa course dans le royaume qui vous a été confié et de penser toujours que le royaume terrestre doit être soumis au royaume céleste qui a été confié à l'Église. En effet de même que le sens animal doit être soumis à la raison, ainsi le pouvoir terrestre doit être soumis au gouvernement ecclésiastique. Et autant vaut le corps s'il n'est pas régi par l'âme, autant vaut le pouvoir terrestre s'il n'est pas façonné et régi par la discipline ecclésiastique. Et ainsi que le royaume du corps a été apaisé quand la chair ne résiste plus à l'esprit, ainsi le royaume du monde est possédé dans la paix quand il ne travaille pas à se dresser contre le royaume de Dieu.
En méditant cela, comprenez que vous êtes le serviteur des serviteurs de Dieu, non leur maître ; leur protecteur, non leur possesseur ; que vous devez être un de ces cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, où nichent les moineaux, c'est-à-dire sous la protection duquel les pauvres du Christ produisent du fruit et séjournent dans la tranquillité ; et leurs prières pour la stabilité de votre royaume et votre propre conservation, il est évident que plus elles sont tranquilles plus elles sont saines, plus elles sont saines plus elles sont efficaces. Donc en agissant ainsi et vous posséderez dans la tranquillité avec l'aide de Dieu le royaume terrestre et vous parviendrez par sa miséricorde au royaume éternel.
En outre je vous recommande nos chanoines que voici, porteurs de la présente lettre, que notre Église envoie à votre excellence en raison de ses besoins, pour qu'après en avoir pris connaissance, selon ce qui vous aura semblé bon et ce que Dieu vous aura inspiré, vous remédiez à ces besoins et que vous vous appliquiez à avoir la charité que vos parents ont eue envers cette même Église. Car cette même Église garde en mémoire vos parents de manière plus spéciale que tous ses autres bienfaiteurs, tant pour leur excellence que pour leur munificence. Adieu.