Général
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Yves, évêque de Chartres
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Manassès 2, archevêque de Reims
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circa 1101
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[1101](1)
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Lettre
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Manassae, reverendo Remorum archiepiscopo, Ivo, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, salutem in Domino.
Quam crebris luporum incursionibus, quam multiplicibus filiorum alienorum(2) deceptionibus aggravata sit Belvacensis Ecclesia, non est necessarium vestram docere prudentiam, cujus ista non praeterire notitiam. Sed quia Ecclesia illa in Christo me genuit et fundamentum religionis in me posuit, quamvis ab aliis, quantum Deus donavit, superaedificatum sit(3), cum infirmatur, non possum non infirmari, cum scandalizatur, non possum non uri(4). Unde non miretur vestra vigilantia si apud paternitatem vestram intercedo pro genitrice et nutrice mea, ut vos qui quotidianas ejus ruinas frequenti relatione cognoscitis, pro officio vestro, lamentabilibus ejus lapsibus occurrere studeatis. Vestrum est enim dissipatas oves in die nubis et caliginis(5) per avia quaerere et ad ovile, quantum ad vos pertinet, reducere, licet velint errare, licet velint perire(6). Vestrum est etiam(a), quaerendo oves perditas, per ardua vos et aspera coarctare, latera etiam, si necesse sit, inter spineta cruentare, ut possitis gaudens et non gemens bonam aeterno Judici de commissa vos sollicitudine rationem reddere. Vestrum est oves morbidas quae contagione sua plurimas(b) perdunt, ab ovili interim removere et inter eas quae vocem pastoris audiunt non connumerare ; sanis autem et non errantibus pascua providere et pastori quem oves cognoscunt et expetunt ovile committere. Et quia integritatem personae electi(7) per vos bene nostis et voluntatem summi pontificis et consilium super hoc audistis, sanum mihi consilium videretur ut, communicato et confirmato cum coepiscopis consilio, consecrationem electi praedictae Ecclesiae acceleraretis(c), ne differendo vel non faciendo quod vestrum est honorem vestrum alteri detis.
Non enim licet regibus, sicut sanxit octava synodus(8), quam Romana Ecclesia commendat et veneratur, electionibus episcoporum se immiscere, vel aliqua eas ratione impedire. Francorum etiam reges Carolus et Lodovicus electiones episcoporum Ecclesiis concesserunt, quod et in suis capitularibus scriptum reliquerunt, et in conciliis episcoporum provincialibus sanciri permiserunt(9). Habeat ergo Deus in Ecclesia sua principaliter(d) quod suum est. Habeat rex posteriori ordine post Deum quod sibi a Deo concessum est. Neque id impedire videatur quod regi de obnoxietate parentum(10) ejus invidiose suggestum est, quia secundum mediocritatem suam de honestis parentibus progenitus est et obnoxietas eorum a nullo vivente legitime comprobari potest. Quod si Deus vult humilia et mundi infirma suo more eligere ut confundat fortia, quis est qui possit vel debeat ejus ordinationi resistere(11) ? Sic David de post fetantes ad regnum est assumptus(12). Sic Petrus ad summum apostolatum de piscatione vocatus(13). Sic multi egeni de pulvere suscitati et ad summa regimina Dei providentia sublimati, ut ostenderet quia apud eum mundi sapientia(14) vel saecularis potentia nullius sunt momenti.
Sed quia haec omnia non ignota sunt vobis, summam repetendo concludam nostrae apud vos intercessionis, videlicet ut labenti Ecclesiae cito subvenire studeatis. Valete.
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etiam éd., enim A, om. MAuT
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plurimos MAAuT
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acceleretisM, acceleratis T
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om. M.
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J. B. Souchet propose cette date d'après Baronius, PL 162, col. 459. Sur l'élection de Beauvais, voir lettres 87, 88, 89, 92, 95, 97.
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Expression biblique,
passim.
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La métaphore avec
fundamentumetsuperaedificareest empruntée à I Cor. 3, 12 et Eph. 2, 20.
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D'après II Cor. 11, 29.
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Ez. 34, 12.
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Voir lettre 89, phrase similaire. Le vocabulaire du passage qui suit s'inspire de métaphores bibliques sur les brebis et le pasteur sans référence précise.
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Galon, chanoine à Saint-Quentin de Beauvais, élève d'Yves de Chartres, à qui il succéda comme prévôt en 1090, fut élu en 1100 évêque de Beauvais et consacré en 1102 par Pascal II ; il dut lutter avec son compétiteur Étienne de Garlande, voir lettre 87, sans pouvoir prendre possession du siège. Envoyé en mission en Pologne, il fut élu à son retour en 1104 évêque de Paris, assista au concile de Beaugency, à l'absolution de Philippe I
eret à ses obsèques en 1108. Il joua un rôle non négligeable dans la querelle des investitures. Il mourut en 1116.DHGEXIX, 911. Voir Lambert d'Arras,Registre,passimet Yves, lettres 105, 110, 144, 145, 146, 260.
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Synode du pape Adrien à Constantinople en 870, c. 11. Yves,
Décret5, 122 ;Panormie3, 8 et 9 (Gratien, D. 63, 2).
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Caroli magni, Ludoviciet Lothariiimperatorum Capitularia ab Angesiso abbate Fontanellensi collecta, ou Collection d'Ansegise, l. 1, c. 78,MGH Capit. regum francorum,nova series, t. 1, p. 477-478 ;PL97, col. 521 (voir aussi col. 397, 873). Anselme de Lucques, 4, 42 et Deusdedit, 4, 280,ex primo libro capitulorum Karoli et Ludivici imperatorum(Gratien, D. 63, 34).
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Les serfs ne peuvent accéder aux ordres sacrés, de nombreux textes sur ce sujet sont rassemblés dans Gratien, D. 54. Mais rien ne concerne les enfants de serfs. De nombreux textes canoniques rappellent plutôt que les enfants ne sont pas responsables des fautes de leurs parents, mais le concile de Clermont interdit les ordres aux fils de prêtres, diacres ou sous-diacres, Lambert d'Arras,
Registre, C. 52, c. 27.
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D'après le texte des Béatitudes et Luc. 1, 52
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I Reg. 16, 12 et Ps. 77, 70.
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Matth. 4, 18 ; Marc.1, 16-16 ; Luc. 5, 2.
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I Cor. 3, 19.
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a. Avranches, BM 243, 61rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 41
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T. Troyes, BM 1924, 99rv
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Au. Auxerre, BM 69, 45v-46v
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À Manassès, vénérable archevêque des Rémois, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, salut dans le Seigneur.
Par quelles attaques incessantes des loups, par quelles tromperies multiples des fils étrangers l'Église de Beauvais a été harcelée, il n'est pas nécessaire de l'apprendre à votre prudence, à la connaissance de qui ces faits n'ont pas échappé. Mais parce que cette Église m'a engendré dans le Christ et a posé en moi le fondement de la religion, même si la poursuite de la construction a été faite par d'autres, selon ce que Dieu a accordé, quand elle est faible, je ne peux pas ne pas être faible, quand elle est scandalisée, je ne peux pas ne pas être consumé. Aussi votre vigilance ne s'étonnera-t-elle pas si j'intercède auprès de votre paternité en faveur de ma génitrice et nourrice afin que vous, qui connaissez ses effondrements quotidiens pour en avoir souvent entendu parler, vous vous appliquiez selon votre charge à empêcher ses chutes lamentables. Car il vous appartient de rechercher les brebis dispersées au jour de brouillard et de ténèbres par les sentiers écartés et de les ramener à la bergerie, dans la mesure où c'est votre rôle, même si elles veulent errer, même si elles veulent périr. Il vous appartient aussi en cherchant les brebis perdues de les forcer à passer par des voies dures et rudes, même de leur lacérer les flancs entre les épines si nécessaire, pour pouvoir dans la joie et non dans les pleurs rendre au Juge éternel un bon compte du soin qui vous a été confié. Il vous appartient d'écarter momentanément de la bergerie les brebis malades qui en perdent un plus grand nombre par leur contagion et de ne plus les compter au nombre de celles qui écoutent la voix du pasteur ; mais de prévoir des pâturages pour les brebis saines et non pour celles qui errent et de confier la bergerie à un pasteur que les brebis connaissent et réclament. Et puisque vous connaissez bien par vous-même l'intégrité de la personne de l'élu et que vous avez entendu sur ce sujet la volonté et le conseil du souverain pontife, il me semblerait d'un sage conseil qu'une fois le conseil partagé et confirmé avec vos collègues évêques vous hâtiez la consécration de l'élu de ladite Église, pour ne pas céder votre honneur à quelqu'un d'autre en différant ou en n'accomplissant pas ce qui est de votre charge.
Car il n'est pas permis aux rois, comme l'a décrété le huitième synode, que recommande et vénère l'Église romaine, de se mêler d'élections d'évêques ou de les empêcher pour quelque raison que ce soit. Même les rois des Francs Charles et Louis ont accordé aux Églises le droit d'élire les évêques, ce qu'ils ont aussi laissé par écrit dans leurs capitulaires, et ils ont permis que les élections soient confirmées dans les synodes provinciaux des évêques. Que Dieu donc ait d'abord dans son Église ce qui est sien. Que le roi ait ensuite après Dieu ce qui lui a été accordé par Dieu. Et qu'on ne tienne pas pour un empêchement ce qui a été exposé au roi par envie à propos de l'état servile de ses parents, parce qu'il est né de parents honnêtes selon leur humble condition et que leur état servile ne peut être légitimement prouvé par personne de vivant. Et si Dieu veut à sa guise choisir les humbles et les faibles de ce monde pour confondre les forts, qui est-ce qui peut ou doit résister à son ordre ? Ainsi David fut de derrière les brebis élevé au royaume. Ainsi Pierre fut de l'état pêcheur appelé au sommet de l'apostolat. Ainsi de nombreux indigents ont été tirés de la poussière et élevés par la providence de Dieu aux plus hauts postes de commandement pour montrer qu'auprès de lui la sagesse du monde ou le pouvoir du siècle ne sont d'aucun poids.
Mais parce que tout cela ne vous est pas inconnu, je conclurai en rappelant l'essentiel de mon intercession auprès de vous, à savoir : appliquez-vous à venir rapidement en aide à l'Église qui chancelle. Adieu.