Général
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Yves, évêque de Chartres
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Geoffroy, abbé de La Trinité de Vendôme
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après 1094/03 - avant 1116
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[après le printemps 1094]
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Lettre
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Ivo, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, Gaufrido(a) Vindocinensis monasterii abbati(1), cum dilectione(b) salutem.
Quantum ex tenore litterarum tuarum perpendere potui, summa inquisitionis tuae fuit utrum monachus qui tantum a monacho et non a suo abbate benedictus est ab abbate suo iterum sit benedicendus(2) Quod fieri posse et dimitti posse arbitror absque ullo benedicti vel benedicentis incommodo. Monachi enim benedictio non est manus impositio(3), vel alicujus sacramenti ex apostolica traditione celebratio(4) ; nec aliam vim habere mihi videtur quam super poenitentem absolutio, vel super populum sacerdotis oratio. Dicit enim beatus Hieronymus(5) : « Monachus non habet officium docentis(c), sed plangentis(d), qui se et mundum lugeat. » Sicut ergo monachus in hoc officio sibi soli prodest, ita ex gratia vocantis solus ad hoc officium accedere potest ; nec praejudicat ad salutem utrum a simpliciter monacho vel abbate suscipiat benedictionem, quia verum monachum nulla facit exterior adjectio(e), nisi mundi contemptus et plena Dei dilectio. Quod in principibus hujus ordinis, Paulo videlicet et Antonio et multis aliis Aegyptiis monachis, facile apparet, qui, nullam a praecedente abbate vel monacho suscipientes benedictionem, perfectam ab eo qui habitare facit monachos in domo(6) sui laboris consecuti sunt retributionem. Quod vero postea multiplicatis monachorum congregationibus professiones ab eis exactae sunt vel benedictiones super eos datae ; quadam cautela factum est ut monasticus ordo quanto firmius in conspectu Dei et hominum et solemnius ligaretur, tanto robustius et devotius ab ipsis servaretur. Et si qui vellent ab hoc proposito recedere, testimoniis pluribus vincerentur, et tanquam jurati in Christi sacramenta tirones(7), ad propositum suum reverti cogerentur. Quibus liquet traditiones hujusmodi nihil esse aliud quam quaedam religionis vincula, humanae instabilitati provisa. Quoniam omnis traditio religionis novitate et raritate viget et floret, antiquitate vero et numerositate, nisi districte ligetur et servetur, frigescit et vilescit.
Unde in discretione abbatum hoc mihi ponendum videtur, utrum debeant professiones coram aliis factas vel benedictiones ab aliis datas in sua praesentia iterare, quia non est hoc ecclesiastica sacramenta iterando violare, sed pro instabilitate personarum vinculis vincula superponere. Quod si monachi benedictio esset consecratio(8) etiam apud Cluniacenses apud quos, ut asseritis, est ista consuetudo, nulla prorsus fieri posset benedictionis iteratio. Unde nec consecratio virginum, quae ex auctoritate apostolica episcoporum privilegio reservatur(9), si aliquando a presbyteris usurpetur, propter sacramentum Christi et Ecclesiae quod ibi continetur, nullatenus ab episcopis iteratur. Dixi de proposita quaestione quod sensi, et quantum mihi videtur, in nullo a ratione vel auctoritate dissensi. Vale, et quomodo ieris vel redieris, vel quid audieris de consilio domni papae mihi rescribe(10).
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Goiffrido A, Goffrido V
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om. V
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monachi non est officium docentis MV, monachi non docentis officium habet A
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dolentis A
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abjectio AVT.
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Geoffroy, abbé de La Trinité de Vendôme (arr., Loir-et-Cher), d'août 1093 à sa mort le 26 mars 1132.
Geoffroy de Vendôme, Oeuvres, édition Geneviève Giordanengo, Turnhout, 1996.
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La demande de Geoffroy n'est pas conservée ; mais la question posée à Yves sur la réitération de l'extrême-onction (lettre 160) et sa réponse (lettre 160bis), non éditée dans la correspondance d'Yves mais qui reprend la fin de la lettre 255, montrent que Geoffroy était soucieux de ce sujet.
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Eusèbe aux frères de Campanie, c. 21,
Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 242. Yves,Décret1, 257,Manus quoque impositionis sacramentum magna veneratione tenendum est quod ab aliis perfici non potest, nisi a summis sacerdotibus.
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La question était en effet controversée, comme le prouve par exemple la lettre de Grégoire à Jean, évêque de Ravenne citée par Yves,
Décret6, 82 ;Panormie3, 76 :Sicut enim baptizatus semel iterum baptizari non debet, ita qui consecratus est semel in eodem ordine non debet iterum consecrari(Gratien, D. 68, 1). Yves tranche en faisant la distinction entre bénédiction, réitérable, et sacrement, non réitérable.
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Texte déjà cité lettre 36. Yves,
Décret7, 3 ;Panormie3, 176.
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D'après Ps. 112, 9.
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Métaphore peut-être inspirée d'Augustin,
De symbolo ad catechumenos, 1, 2,Optimi jam tirones Dei, fortes milites Christi, dum arma sacramentorum suscipitis, pugnam adversus diabolum indicitis.
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C'est sur cette distinction profession/consécration que Geoffroy fonde sa contestation de la profession qu'il reproche à Yves de lui avoir extorquée au début de son abbatiat, ce qui refroidira sensiblement leurs rapports, voir Geoffroy de Vendôme, lettre 81, éd. citée, p. 154-157. Sur les coutumes de Cluny, G. Constable, « Entrance to Cluny in the eleventh and twelfth centuries according to the Cluniac customaries and statutes »,
Mediaevalia christiana XIe-XIIIesiècles : hommage à Raymonde Foreville, Paris, 1989, p. 335-354.
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D'après
Statuta ecclesie antique, c. 11. Yves,Décret7, 43 ;Panormie3, 188 (Gratien D. 23, 24).
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Geoffroy était à Rome entre l'automne 1093 et le printemps 1094, auprès du pape Urbain II qu'il aida de sa personne et de son argent à reconquérir ses droits contre les partisans de l'antipape Guibert, voir le récit qu'il en fait dans la lettre 137, éd. citée, p. 290-291.
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a. Avranches, BM 243, 28v-29v
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 18rv
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 5v-6
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T. Troyes, BM 1924, 79v-80
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Au. Auxerre, BM 69, 13-14
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Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, à Geoffroy, abbé du monastère de Vendôme, salut avec son affection.
Autant que j'ai pu comprendre par la teneur de ta lettre, l'essentiel de ta question était de savoir si un moine qui a été béni seulement par un moine et non par son abbé doit être à nouveau béni par l'abbé. Je pense qu'on peut le faire comme y renoncer sans aucun inconvénient pour celui qui est béni ou celui qui bénit. En effet la bénédiction des moines n'est pas l'imposition de la main ou la célébration de quelque sacrement selon la tradition apostolique ; et elle ne me semble pas avoir d'autre force que l'absolution sur le pénitent ou la prière du prêtre sur le peuple. Le bienheureux Jérôme dit en effet : « Le moine a pour office non d'instruire mais de souffrir, lui qui a à pleurer sur lui et sur le monde. » Donc, de même que le moine dans cet office est utile à lui seul, de même il peut accéder seul à cet office par la grâce de celui qui l'appelle ; et qu'il reçoive la bénédiction simplement d'un moine ou d'un abbé ne porte pas préjudice à son salut, parce qu'aucun ajout extérieur ne fait le vrai moine, c'est seulement le mépris du monde et le plein amour de Dieu. Et ceci apparaît aisément dans les commencements de cet ordre, à savoir chez Paul et Antoine et chez beaucoup d'autres moines d'Égypte qui, sans recevoir aucune bénédiction d'un abbé ou d'un moine précédents, reçurent de celui qui fait habiter les moines dans sa maison la rétribution parfaite de leur labeur. Mais ensuite, les congrégations de moines s'étant multipliées, on leur imposa des professions et on leur donna des bénédictions ; par prudence on fit en sorte que plus l'ordre monastique serait lié solidement et solennellement au regard de Dieu et des hommes, plus il serait observé avec force et dévotion par ces mêmes moines. Et si certains voulaient renoncer à leur propos, ils seraient vaincus par de nombreux témoignages et, comme des recrues ayant juré sur les sacrements du Christ, seraient forcés de revenir à leur propos. Il est donc évident que les traditions de ce genre ne sont rien d'autre que des liens de la religion, en prévision de l'instabilité humaine, puisque toute stabilité se développe et fleurit dans la nouveauté et la rareté mais qu'elle se refroidit et se dégrade dans l'ancienneté et l'accumulation, si elle n'est pas liée et maintenue étroitement.
Aussi faut-il, à mon avis, proposer à la discrétion des abbés de décider s'ils doivent réitérer en leur présence les professions faites devant d'autres ou les bénidictions données par d'autres, parce que ce n'est pas violer les sacrements ecclésiastiques de les réitérer, mais c'est superposer des liens aux liens en raison de l'instabilité des personnes. Si la bénédiction du moine était une consécration même chez les Clunisiens chez qui, affirmes-tu, c'est la coutume, aucune réitération de bénédiction ne pourrait se faire ensuite. C'est pourquoi la consécration des vierges, qui est réservée d'après l'autorité apostolique au privilège des évêques, s'il arrive qu'elle soit usurpée par des prêtres, n'est nullement réitérée par les évêques à cause du sacrement du Christ et de l'Église qui y est contenu. J'ai dit sur la question posée ce que je pensais et, à ce qu'il me semble, je ne me suis écarté en rien de la raison et de l'autorité. Adieu et récris-moi comment tu es revenu et ce que tu as appris des desseins du seigneur pape.