Général
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Yves, évêque de Chartres
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Philippe 1er, roi de France
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circa 1093
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[1093 ?]
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Lettre
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Philippo, Dei gratia magnifico Francorum regi(1), domino suo, Ivo, humilis Carnotensium(a) episcopus, ab eo salvari qui dat salutem regibus(2).
Cum testem factorum meorum circumspicio conscientiam meam, vehementer admiror quia nihil in me reperio cur pia lenitas vestra atque regia mansuetudo in tantam adversum me conversa sit amaritudinem ut a vestra serenitate nullum audiam nuntium bonum, nihil audiam nisi verbum asperum(b). Quod enim inter Beccenses(3) et Molismenses(4) monachos quantulamcumque pacem pro tempore feci, nullam Beccensibus in hoc violentiam intuli(5). Sed abbas Beccensis, cognoscens et erubescens inordinatam spoliationem factam Molismensibus a quibusdam neophytis monachis suis, multum me rogavit ut vel pacem inter eos componerem, vel juste inter eos decernerem. Sed ego propter reverentiam vestram judicium interim distuli et, gratis oblata portione victualium suorum ab ipso abbate quae Molismenses repetebant, jurgia quae inter eos erant pro ipsius abbatis charitate mitigavi. Qua de re non decuit humilitati meae succensere sublimitatem vestram, quia si ipsos spoliatores etiam ab inordinata invasione desistere coegissem, majestatem tamen regiam nullatenus offendissem. Sicut enim est regiae potestatis civilia jura servare et eorum transgressores debita poena multare, sic episcopalis officii est ecclesisticas institutiones subditis servandas imponere et transgressores earum paterna severitate ad debitum ordinem revocare.
Abscindantur(c) itaque qui serenitatem vestram(d) conturbant, quorum persuasionibus si acquieveritis nec per vias justitiae(6) incedetis, nec ad gaudia patriae coelestis pervenire valebitis. Quicunque autem illi sunt, si conductum bonum mihi et his qui mecum sunt miseritis ut securi simus in eundo et redeundo et apud vos morando, paratus sum in praesentia vestra omnibus aemulorum meorum objectionibus respondere, et injunctas eorum calumnias irrefragabili ratione confutare. Nostis enim quantos inimicos habeam pro justitia maxime in patria ista et(e) in curia vestra. Bene valete et sacerdotem vestrum nolite impedire quominus pro incolumitate vestra possit orare.
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Carnotensis J
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serenitatem vestram] vos T
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et etiam T.
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Philippe I
er, 1060-1106.
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Qui das salutem regibus, Ps. 143, 10.
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L'abbaye Notre-Dame du Bec (cant. Brionne, arr. Bernay, Eure). Véronique Gazeau,
Prosopographie des abbés bénédictins (Xe-XIIesiècle), Caen, 2007, p. 7-27. Dans une charte, 2 août 1092-1108, Philippe Ieret Louis VI se disentfratres et dominide l'abbaye du Bec, qu'ils tiennent sous leurcustodia et tutamento,Recueil des actes de Louis VI, éd. J. Dufour, Paris, 1992, n° 18, 32 (A. Luchaire,Louis VI le Gros, Annales de sa vie et de son règne, Paris, 1890, n° 68, p. 36). Anselme de Cantorbéry en fut abbé de 1078 à 1093 et l'abbé qui lui succéda le 15 août 1093 fut Guillaume de Beaumont ou de Montfort-sur-Risle, mort le 16 avril 1124 (il ne s'agit pas, comme le dit J. Leclercq, de Guillaume de Montfort-l'Amaury, frère de Bertrade enlevée par Philippe Ierle 15 mai 1092, évêque de Paris de 1096 à 1101, voir lettres 50, 79).DHGE, 7, 325-335. V. Gazeau,op. cit., p. 13-16.Vita Willelmi, tertii abbatis,PL150, col. 713-724.
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Molesme (cne Laignes, cant. Châtillon-sur-Seine, Côte-d'Or), abbaye fondée par Robert en 1075 ; l'abbé, un temps contraint de fuir, était revenu en 1087 et dirigea l'abbaye jusqu'à sa mort en 1111.
DHGE, 12, 852.
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Philippe I
era donné le prieuré de Poissy (chef-lieu de cant., arr. Versailles, Yvelines), diocèse de Chartres, archidiaconé du Pincerais, aux moines du Bec en 1077, M. Prou,Recueil des actes de Philippe Ier, n° 90. Les moines du Bec revendiquaient des droits, contestés par ceux de Molesme, sur le prieuré, qui fut finalement donné en 1094 à Molesme. Sur ce différend, dont Yves semble s'être mêlé par amitié pour Anselme de Cantorbéry, voir aussi lettre 40. Dans un acte du 16 août 1100, signalé par A. Luchaire, p. 7, Yves de Chartres confirme le décret royal relatif à l'expulsion des moines et à la réintégration de chanoines dans l'église de Poissy.
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Expression biblique, ex. Prov. 8, 20 ; 26, 31.
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a. Avranches, BM 243, 13rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 7v-8
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J. Jesus College, Q.G.5, 33rv
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T. Troyes, BM 1924, 75rv
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À Philippe, par la grâce de Dieu magnifique roi des Francs, son seigneur, Yves, humble évêque des Chartrains, être sauvé par celui qui donne le salut aux rois.
Lorsque j'examine ma conscience, témoin de mes actions, je m'étonne vivement parce que je ne trouve en moi rien pour expliquer que votre pieuse douceur et la mansuétude royale se soient tranformées contre moi en une si grande amertume que je n'entends de votre sérénité aucune bonne nouvelle, que je n'entends rien à part des mots acerbes. En effet en faisant, eu égard aux circonstances, entre les moines du Bec et ceux de Molesme une paix, si petite soit-elle, je n'ai causé en cela aucune violence aux moines du Bec. Mais l'abbé du Bec, qui avait connaissance et honte de la spoliation irrégulière infligée aux moines de Molesme par certains de ses moines néophytes, me demanda avec insistance ou bien de rétablir la paix entre eux, ou bien de trancher entre eux en toute justice. Mais moi, par révérence à votre égard, j'ai différé provisoirement ce jugement et, l'abbé ayant de lui-même offert gratuitement une partie de ses biens que réclamaient les moines de Molesme, grâce à la charité de ce même abbé j'ai calmé les différends qui existaient entre eux. Il ne convenait pas à mon humilité d'enflammer votre sublimité à ce sujet, parce que, même si j'avais forcé ces mêmes spoliateurs à renoncer à leur usurpation irrégulière, je n'aurais cependant nullement offensé la majesté royale. Car de même qu'il appartient au pouvoir royal de garantir les droits civils et de châtier leurs transgresseurs par la peine qui est due, de même il appartient à l'office épiscopal d'imposer à ses sujets de garantir les dispositions ecclésiastiques et de ramener leurs transgresseurs avec une sévérité paternelle à l'ordre qui est dû.
Que soient donc repoussés ceux qui troublent votre sérénité ; si vous approuvez leurs arguments, vous ne marcherez pas plus par les voies de la justice que vous ne pourrez parvenir aux joies de la patrie céleste. Mais, quels que ce soient ces gens, si vous nous envoyez, à moi et à ceux qui sont avec moi, une bonne escorte pour que nous soyons en sécurité en allant et en revenant et en demeurant auprè de vous, je suis prêt à répondre en votre présence à toutes les accusations de mes rivaux et à confondre leurs injustes calomnies avec des arguments irréfutables. Car vous savez combien j'ai d'ennemis à cause de la justice, surtout dans cette région et dans votre cour. Portez-vous bien et veuillez ne pas empêcher votre prêtre de pouvoir prier pour votre salut.