Général
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Yves, évêque de Chartres
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Bernard, abbé de Marmoutier
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après 1090/01 - avant 1091/02/25
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avant le carême [1090 ou 1091]
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Lettre
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Ivo, Dei gratia humilis Carnotensium episcopus, dilectissimo abbati Majoris Monasterii Bernardo(1) et qui tecum sunt fratribus, in Domino salutem.
Quoniam summus pastor pastoris nomen habere nos voluit et officium pastorale exercere praecepit, errabundis et languidis ovibus congruam medicinam providere nos convenit, ut nec importuna instantia aliquam praefocemus, nec blandiente nobis desidia nostra negligenter aliquam perire permittamus ; ne otium nostrum negotiis saecularibus praeponamus(2), quominus parturienti Ecclesiae debitum ministerium persolvamus. Licet enim in amplexus speciosae Rachel(3) intendat labor militiae nostrae, spe tamen prolis numerosioris, amplexus Liae nobis est tolerandus quia, cum illa plus videat, ista plus fructificat ; et cum illi visio sua sit jucundissima, hujus actio multis est necessaria et, ut evidentius dicam, cum in illa pene sola sit dilectio Dei, in hac manifesta est etiam dilectio proximi. Cujus dilectionis sequacibus suis insinuandae formam protulit mediator Dei et hominum(4), qui non solum pro nobis de secreto suo ad publicum nostrum prodiit, sed etiam carnem assumptam flagellis, colaphis, sputis, ac demum morti crucis addixit. Quid hoc facto summus pastor nobis insinuat, nisi ut nos dicti pastores oves erroneas ad custodiam nostram pertinentes, per devia quaeque et aspera fugientes, indeficienti charitate consectemur, ut ad gregem reportentur, licet in sequendo vepribus conscindamur, crebris spinarum aculeis cruentemur(5) ?
Quod quia prudentiam vestram latere non ignoro, nescio utrum patientiam vestram vel negligentiam, quantum fas est ex charitatis affectu, reprehendo(a), quod contra instituta majorum quosdam fratres semel a vobis ad custodiam animarum dimissos apud vos detinetis, in quibus vestram et illorum famam laedi permittitis et morbis ovium illis commissarum nullam medicinae curam praeparatis(6).
Unde, ut interim de caeteris sileam, rogando moneo, monendo rogo fraternitatem vestram ut, omni occasione remota usque ad praesens caput jejunii, transmittatis mihi domnum Gauterium(7)(b), quondam monasterii Bonevallis abbatem, quatenus audita ab eo suae discessionis causa, solutio ejus si probanda est, a nobis approbetur(c) ; vel si approbanda non est, consilio et auxilio cooperatorum nostrorum in officio et loco suo plenissime reformetur. Valete.
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reprehendam A
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Galterium A, Gauterum M
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probetur V.
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Bernard, abbé de la célèbre abbaye Saint-Martin, aux portes de Tours, 1084-7 mai 1100. Une bulle d'Urbain II (lettre 41,
PL151, col. 324) du 16 avril 1090 le confirme à la tête de son monastère et prend Marmoutier et ses biens sous sa protection. Bernard réprime la désobéissance des moines et ramène la paix.DHGE8, 686-687.
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Affirmation plutôt paradoxale, les affaires du siècle passant d'habitude en seconde place, II Tim. 2, 4.
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Rachel et Lia sont les deux épouses de Jacob, qui aime la première, stérile, mais épouse la seconde pour obtenir une descendance, Gen. 29, 15-35.
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I Tim. 2, 5.
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Argumentation et images similaires, lettres 70, 272.
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Allusion aux prieurés où la discipline était souvent relâchée, par exemple Geoffroy de Vendôme, lettres 54, 77, 84, 90,
Geoffroy de Vendôme, œuvres, éd. G. Giordanengo, Turnhout, 1996.
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Saint-Florentin de Bonneval, chef-lieu cant., arr. Châteaudun, Eure-et-Loir, diocèse de Chartres, abbaye fondée en 842.
DHGE9, 1061-1069 ; D. Cottineau, t. 1, p. 428-429. Sur Gautier, voir lettre 78.
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a. Avranches, BM 243, 10rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 5rv
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 1
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T. Troyes, BM 1924, 59v-60
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Yves, par la grâce de Dieu humble évêque des Chartrains, à son très cher Bernard, abbé de Marmoutier, et aux frères qui sont avec toi, salut dans le Seigneur.
Puisque le souverain pasteur a voulu que nous ayons le nom de pasteur et nous a ordonné d'exercer l'office pastoral, il nous convient de préparer pour les brebis errantes et souffrantes le remède adapté, de sorte que nous n'en étouffions aucune par une insistance importune et qu' abusé par notre nonchalance nous ne permettions qu'aucune ne périsse de négligence ; ne préférons pas notre repos aux affaires du siècle, pour nous acquitter du ministère qui est dû à l'Église qui enfante. Car bien que le travail de notre milice tende vers les étreintes de la belle Rachel, nous devons cependant, dans l'espoir d'une descendance plus nombreuse, supporter les étreintes de Lia, parce que, si celle-là voit davantage, celle-ci fructifie davantage et, bien que la vue de celle-là lui soit très agréable, l'acte de cette dernière est nécessaire à beaucoup et, pour parler plus clairement, alors qu'en celle-là il y a l'amour de Dieu presque seul, en celle-ci se manifeste aussi l'amour du prochain. Le médiateur de Dieu et des hommes a fourni à ceux qui le suivraient le signe de l'avènement de cet amour, lui qui non seulement a paru pour nous en public en sortant de sa retraite, mais a même livré son corps incarné aux fouets, aux soufflets, aux crachats et enfin à la mort de la croix. Que nous suggère par cet acte le souverain pasteur, si ce n'est que nous qui sommes appelés pasteurs nous poursuivions avec une indéfectible charité les brebis errantes soumises à notre garde, qui fuient à travers des chemins écartés et rudes, pour les ramener vers le troupeau, même si en les suivant nous sommes déchirés par les ronciers, ensanglantés par les piqures serrées des épines ?
Comme je n'ignore pas que ceci n'échappe pas à votre prudence, je ne sais pas si c'est votre patience ou votre négligence que je réprimande, dans la mesure où c'est permis dans un sentiment de charité, pour le fait que vous retenez auprès de vous, contre les dispositions des anciens, des frères que nous avions une première fois envoyés pour veiller sur les âmes, en qui vous permettez que soit porté atteinte à notre renommée et à la leur, et que vous ne préparez aucun remède pour soigner les maladies des brebis qui leur ont été confiées.
Aussi, pour ne pas parler des autres pour le moment, en demandant j'avertis, en avertissant je demande à votre fraternité de m'envoyer d'ici le début du carême, tout prétexte écarté, le seigneur Gautier, autrefois abbé du monastère de Bonneval, pour qu'après avoir appris la raison de son départ nous approuvions sa rupture, si elle doit être approuvée ou, si elle ne doit pas l'être, pour qu'il soit réintégré pleinement dans son office et son monastère avec le conseil et l'aide de ceux qui œuvrent avec nous. Adieu.