Concile de Bâle : Session 19 -- Au sujet de ceux qui veulent se convertir à la foi
Canon concernant les convertis juifs et musulmans
Si quis eorum ad fidem catholicam converti voluerit, bona sua, quæcumque habet mobilia et immobilia, ei intacta illæsaque permaneant. Quod si huiusmodi bona ex usura aut illicito quæstu fuerint acquisita, ac notæ sint personæ, quibus foret de iure restitutio facienda, quia non dimittitur peccatum, nisi restituatur ablatum illis restitui omnino oportet. His vero personis non extantibus, quia talia per manus ecclesiæ in pios essent usus convertenda, hæc sancta synodus vicem gerens universalis ecclesiæ, in favorem concedit suscepti baptismatis, tanquam in pium usum apud ipsos remanere debere, sub poena divini anathematis tam ecclesiasticis quam sæcularibus interdicens, ut nullam super his, quovis quæsito colore, molestiam inferant aut inferri patiantur, sed magnum se fecisse lucrum existiment, dum tales christo lucrati fuerint (cf.1 Cor. 9.19-22). Et quoniam ut scriptum est qui habuerit substantiam mundi huius, et viderit fratrem suum necessitatem habere, et clauserit viscera sua ab eo quomodo caritas dei manet in ipso? (1 Jo. 3.17) si ipsi conversionis tempore inopes aut indigentes fuerint per viscera misericordiæ dei (Lc. 1.78) omnes tam ecclesiasticos quam sæculares hæc sancta synodus exhortatur, ut ipsis conversis manus porrigant adiutrices. Ipsi quoque dioecesani non solum christianos ad subveniendum illis exhortentur, sed tam de redditibus ecclesiarum, prout poterunt, quam de his quæ ad pauperum usus per ipsos convertenda devolvuntur, huiusmodi neophytos sustentare non negligant, ipsosque a detractionibus contumeliis paterna affectione defendant. Et quoniam per gratiam baptismi cives sanctorum et domestici dei (1. Eph. 2.19) efficiuntur, longeque dignius sit regenerari spiritu quam nasci carne, hac edictali lege statuimus, ut civitatum et locorum, in quibus sacro baptismate regenerantur, privilegiis libertatibus et immunitatibus gaudeant, quæ ratione duntaxat nativitatis et originis alii consequuntur. Curent insuper sacerdotes baptizantes et hi qui de sacro fonte suscipiunt, tam ante baptismum quam post, illos in articulis fidei ac legis novæ præceptis catholicæque ecclesiæ ritibus diligenter instruere. Et tam ipsi quam dioecesani operam dent, ne cum Iudæis seu infidelibus, saltem per longum tempus, penitus conversentur, ne, sicut noviter contingit ab infirmitate curatis, modica occasio ad pristinam perditionem recidivos efficiat. Et quoniam experientia teste mutuam inter se neophytorum conversationem ipsos in fide nostra fragiliores reddere ac saluti ipsorum plurimum officere compertum est, exhortatur hæc sancta synodus locorum ordinarios, ut, quantum pro incremento fidei viderint expedire, curent et studeant neophytos ipsos cum originariis christianis matrimonio copulare. Prohibeatur et his neophytis sub gravibus poenis, ne mortuos more iudæorum sepeliant aut sabbata aliasque solemnitates et antiquæ sectæ ritus quoquo modo observent. Sed et ecclesias et prædicationes nostras prout alii catholici frequentent, et in omnibus se christianorum moribus conformes reddant. Contemptores autem prædictorum, per sacerdotes in quorum parochiis siti sunt aut alios ad quos de iure vel antiqua consuetudine de talibus inquirere spectat ac etiam per alios quoscumque, dioecesanis seu inquisitoribus hæreticæ pravitatis deferantur, et invocato, si opus fuerit, auxilio brachii sæcularis per eos taliter puniantur, quod et aliis transeat in exemplum. De his omnibus in conciliis provincialibus et synodalibus diligens fiat inquisitio, et tam citra episcopos et sacerdotes in præmissis negligentes quam ipsos neophytos et infideles prædictorum contemptores, opportunum adhibeatur remedium. Si quis autem cuiuscumque gradus vel præeminentiæ huiusmodi neophytos, ne ad observationem ritus christiani seu alicuius præmissorum compellantur, foveat atque defendat, poenas contra fautores hæreticorum promulgatas incurrat. Neophyti vero, si se corrigere post canonicam monitionem neglexerint, quin ad vomitum iudaizantes redire comperti sint, contra eos tanquam perfidos hæreticos secundum sacrorum canonum instituta procedatur. Si, qua vero ipsis iudæis vel infidelibus indulta seu privilegia per quoscumque ecclesiasticos seu sæculares cuiuscumque status seu dignitatis, etiamsi papalis vel imperialis existant, concessa iam sint vel in futurum concedi, contingat vergentia quoquo modo in detrimentum catholicæ fidei, nominis christiani seu quorumcumque præmissorum hæc sancta synodus cassa et irrita esse decernit decretis et constitutionibus apostolicis ac synodalibus, quæ super præmissis condita sunt, in suo robore duraturis. Et ut huiusmodi sanctæ constitutionis iugis memoria habeatur, et ut1 ne quisquam ipsius ignorantiam prætendere possit, iubet hæc sancta synodus, ut per singulas cathedrales et collegiatas ecclesias aliaque pia loca, in quibus uberior est fidelium concursus, semel in anno ad minus infra2 divina promulgetur.
G. Alberigo et al., eds., Les conciles œcuméniques : Les Décrets, vol. 2.1, (Paris, 1994), 484-485 avec modifications.
Si l'un d'eux veut se convertir à la foi catholique, qu'il conserve tous ses biens meubles et immeubles intacts et exempts de dommage. Mais si de tels biens ont été acquis par usure ou par profit illicite et qu’ils appartiennent à des personnes connues, la restitution devrait en être faite, parce que le péché n'est pas remis [tant que] son produit (fruit) n'a pas été rendu, il faut donc (absolument) que ces biens leur soient entièrement restitués. Si, en revanche, ces personnes ne sont pas connues, parce que de tels biens pourraient avoir été convertis par les mains de l'Église à des usages pieux, ce saint synode représentant de l'Église universelle concède, à la faveur du baptême qu’ils ont reçu, que ces biens doivent leur rester comme à un usage pie ; sous peine d'anathème divin interdisant aussi bien aux ecclésiastiques qu'aux séculiers de les tracasser à ce sujet ou de tolérer qu'on les tracasse quoi que la plainte, mais qu'ils doivent quant à eux estimer qu'ils ont gain du moment qu'ils ont gagné au Christ (cf. 1 Cor. 9,19-22) de tels hommes. Et puisqu’il est écrit : "celui qui possède la richesse de ce monde et qui voit son frère dans le besoin et qui lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui ?" (1 Jn 3,17) si au moment de leur conversion, ces hommes sont dans le dénuement ou l'indigence, ce saint synode exhorte tous les ecclésiastiques aussi bien que les séculiers à tendre des mains secourables par les entrailles de la miséricorde de Dieu (Lc 1,78) à ces convertis. Pour leur part les diocésains non seulement exhorteront les chrétiens à leur venir en aide, mais ne devront pas négliger d'aider de tels néophytes en prenant sur les revenus des églises autant qu’ils peuvent, et sur l'argent dévolu par eux à servir les besoins des pauvres, et à protéger les néophytes avec une affection paternelle contre la calomnie et l'invective. Et parce que par la grâce du baptême, ils deviennent concitoyens des saints et gens de la maison de Dieu et qu'il y a beaucoup plus de mérite à renaître par l'esprit qu'à naître par la chair, nous statuons par cet édit que les convertis jouissent des privilèges, libertés et immunités dans les villes et les endroits où ils renaissent par le baptême ; privilèges que les autres obtiennent seulement grâce à la naissance et à la filiation. De plus, que les prêtres baptiseurs et tous ceux qui soulèvent les néophytes hors de la source sacrée, tant avant qu'après le baptême, prennent soin de leur enseigner diligemment, dans les articles de la foi, les préceptes de la Nouvelle Loi et les pratiques de l'Église catholique. Et qu'eux-mêmes aussi bien que les diocésains veillent à ce que les néophytes ne fréquentent pas intimement, du moins pendant une longue période, des juifs ou des infidèles, de crainte que, comme il arrive à ceux qui ont nouvellement guéri d'une maladie, la moindre occasion ne les fasse retomber dans leur ancienne perdition. Et comme l'atteste l'expérience, la fréquentation mutuelle des néophytes les rend plus fragiles dans notre foi et nuit profondément à leur salut, ce saint synode exhorte les ordinaires des lieux à faire tout ce qui est dans leur pouvoir, dans la mesure où ils ont vu l'accroissement de la foi, pour unir en mariage ces néophytes avec des chrétiens de naissance. Il est interdit aussi à ces néophytes, sous peine de graves châtiments, d'enterrer leurs morts selon la coutume des juifs et d'observer le sabbat ou les autres solennités et rites de leur ancienne religion, de quelque manière que ce soit. Mais qu'ils fréquentent nos églises et nos prédicateurs, comme les autres catholiques, et se rendent en accord avec les mœurs des chrétiens de toute manière. Que ceux qui dédaignent le susdit soient déférés par les prêtres des paroisses desquelles ils dépendent, ou par d'autres auxquels il appartient, en vertu de la loi ou d’une tradition établie, d'enquêter sur de tels points, ou même par d'autres, devant les diocésains ou les inquisiteurs de la perversité hérétique ; et en faisant appeler à l'aide, en cas de besoin, le bras séculier, qu'ils soient punis par eux, de sorte qu'ils soient un exemple pour les autres. Que sur tous ces points soit diligentée une enquête dans les conciles provinciaux et synodaux et que soit employé le remède approprié sur les évêques et les prêtres qui sont négligents sur les points indiqués ci-dessus et sur les néophytes et les infidèles qui dédaignent les prédicateurs. Si quelqu'un, quel que soit son rang ou son éminence, encourage et protège de tels néophytes en faisant en sorte qu'ils ne soient pas contraints d'observer le rite chrétien ou les autres points ci-dessus, qu'il encoure les peines promulguées contre ceux qui soutiennent les hérétiques. Quant aux néophytes, s'ils négligent de se corriger après l'admonestation canonique et qu'au lieu de cela on apprend qu'ils retournent à leur vomi en redevenant juifs, procède donc contre eux comme contre des perfidies hérétiques, selon les règles fixées par les saints canons. Si des indulgences ou des privilèges ont déjà été concédés à des juifs ou à des infidèles par des ecclésiastiques ou des séculiers quelconques, quel que soit leur statut ou leur dignité, même papal ou impérial, ou s'il arrivait à l'avenir qu’ils fussent concédés et que ces privilèges tendent à nuire en quelque façon à la foi ou au nom chrétien ou à quoi que ce soit de ce qui est indiqué ci-dessus, ce saint synode les décrète nuls et non avenus, tandis que resteront pleinement en vigueur, par des décrets, les constitutions apostoliques et synodales qui ont été rédigés sur ces sujets. Et pour conserver le souvenir perpétuel de cette sainte constitution, si bien que personne ne puisse prétendre l’ignorer, ce saint synode ordonne qu'elle soit promulguée au moins une fois par an pendant les offices divins dans toutes les cathédrales et les églises collégiales, et autres lieux pieux dans lesquels les fidèles se rassemblent.
G. Alberigo et al., eds., Les conciles œcuméniques : Les Décrits, vol. 2.1, (Paris, 1994), 484-85 avec modifications.
Ce long décret conciliaire fut émis lors de la 19e session du concile de Bâle qui porta principalement sur les négociations en vue d'une réunion anticipée avec l'Église grecque. Fondé sur les dispositions prises dans le précédent décret concernant les juifs et les néophytes, ce texte évoque la façon dont les convertis doivent être traités et la manière dont ils doivent se comporter dans la société chrétienne ; il aborde brièvement le sujet de leurs anciennes communautés. Ce décret spécifie que les convertis doivent conserver leurs propriétés à l'exception des biens qu'ils ont acquis via l'usure. Les profits issus de l'usure étaient sensés être rendus à leurs propriétaires d'origine si ceux-ci étaient connus ; dans le cas contraire, ils pouvaient être conservés par le converti comme le permettait le fait qu'il fût baptisé. Le décret demande aux clercs de soutenir les convertis devenus pauvres et de les protéger des injures. Il ordonne que les convertis puissent jouir des mêmes droits et privilèges que les chrétiens de souche et ordonne aux prêtres instruits et aux parrains d'apprendre aux convertis les articles de foi et le rite de l'Église, avant et après leur baptême. Plus loin, le concile demande aux ecclésiastiques d'encourager les convertis à épouser des chrétiens de souche et à ne pas trop frayer avec des juifs ou d'autres infidèles. Il est interdit aux convertis de continuer à célébrer les rituels ou les fêtes des juifs ; ils doivent fréquenter les églises et assister aux sermons des chrétiens. Ceux qui dédaignent ces obligations doivent être traduits soit devant leur évêque, soit devant les inquisiteurs locaux au motif qu'ils "judaïsent" ; les réfractaires doivent être punis comme hérétiques. Quiconque tente de protéger des convertis doit être considéré comme un "assistant" de l'hérésie, dénomination qui condamne à peu près aux mêmes peines que l'hérésie elle-même. Plus loin, le concile ajoute le caveat suivant : si les privilèges accordés aux juifs et aux musulmans nuisent, de quelque façon que ce soit, au christianisme, ils seront alors nuls, quelle que soit l'identité de celui qui les a accordés. Finalement, le décret recommande la promulgation annuelle de cette constitution dans les cathédrales, les églises et partout où le peuple se rassemble dans un but religieux.
Comme le décret précédent, cette loi réitère et amplifie les canons et décisions ecclésiastiques antérieures. Les 3e et 4e conciles de Latran (1179 et 1215) avaient ordonné que les convertis pussent conserver leurs biens. Des décisions identiques sur le destin à réserver aux profits issus de l'usure lorsque le propriétaire initial était inconnu avaient été prises par Thomas d'Aquin (1225-1274) et Grégoire IX (1145-1241), et le concile de Constance (1414-1418) réfléchit au sujet d'une mesure qui, bien qu'elle ne fût pas appliquée, aurait autorisé les convertis à garder la moitié de ce qu'ils avaient acquis par l'usure. Innocent III (1160/1161-1216) et le 4e concile de Latran avaient décidé que les convertis ne devaient pas revenir à leur ancienne religion ni observer aucun de leurs anciens rites. Les successeurs d'Innocent avaient condamné les convertis "judaïsants" à être soumis à l'autorité inquisitoriale dans les bulles "Turbato corde" de 1267, 1274 et 1288. Ce décret introduit aussi de nouvelles mesures visant à protéger les droits et privilèges des convertis au christianisme : il demande aux ecclésiastiques d'encourager les convertis à épouser des chrétiens de souche et rend nuls les privilèges ecclésiastiques ou séculiers accordés aux juifs et aux musulmans s'ils sont considérés comme nuisibles au christianisme. Ce décret conciliaire et en particulier les mesures les plus inédites qu'il contient peuvent être lus comme une réponse aux conversions de masse de 1391 et de 1411-1415 dans la péninsule ibérique. Un grand nombre de juifs furent baptisés contre leur gré ; en conséquence de quoi on craignit de manière persistante que ces conversos n'aient pas complètement assimilé la religion qui leur avait été imposée. Les conversos judaïsants étaient pourchassés et poursuivis en justice, quoique pas toujours sévèrement, par l'inquisition papale en Aragon (la Castille, à ce moment-là, n'avait pas encore d'inquisition) ; Castille et Aragon mirent tous deux en place des mesures nouvelles visant à tenir les juifs à l'écart de leurs anciens coreligionnaires. De là les nouvelles restrictions décidées par le concile destinées, semble-t-il, à favoriser leur intégration dans la religion chrétienne, et la répétition des mesures existantes qui servaient à punir ceux qui s'égaraient. De plus, c'est dans les années 1430 que s'élevèrent les premiers murmures selon lesquels les juifs, qu'ils fussent baptisés ou non, portaient la marque de leurs ancêtres et étaient donc inaptes à toute charge. Le concile répondit à ces réclamations en assurant que les conversos devaient bénéficier des mêmes droits et privilèges que leurs frères chrétiens et que le baptême constituait une barrière dans leur lignage. Juan de Torquemada (1388-1468) mentionne ce décret des décennies plus tard dans sa défense des conversos rédigée à la suite de la première législation sur la limpieza de sangre. Alphonse de Carthagène (1394-1456) qui fut baptisé lorsque son père se convertit en 1390 ou 1391, a également utilisé un argument similaire dans son Defensorium unitatis Christianae. Ce n'est pas par accident que Torquemada et Alphonse de Carthagène prirent part au concile de Bâle en septembre 1434. Bien que ce décret paraît avoir eu peu d'impact immédiat dans la péninsule ibérique — on ne tint certainement pas grand compte des mesures visant à protéger les conversos —, il n'en influença pas moins la législation papale ultérieure et les discussions ecclésiastiques sur les convertis, leurs descendants et leurs anciens coreligionnaires. Ce décret et le précédent ("Sur les juifs et les néophytes") illustre quelques-unes des manières dont un grand nombre de conversos non assimilés modifièrent le statut des juifs et des musulmans en provoquant, par exemple, une ségrégation sociale plus grande ainsi que la traduction devant la justice inquisitoriale des juifs et des musulmans qui mêlaient leurs anciens rituels à leur nouvelle adhésion au rite chrétien.
apostasie ; apostasie ; conversion ; conversion au christianisme ; fête ; Juifs/Judaïsme ; usure
Laurence Foschia : traduction
Notice n°30392, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30392/.