Latran IV
L'usure pratiquée par les juifs
Quanto amplius christiana religio ab exactione compescitur usurarum, tanto gravius super his Iudaeorum perfidia inolescit1 ita quod breui tempore christianorum exhauriunt facultates. Volentes igitur in hac parte prospicere christianis, ne a Iudaeis immaniter aggrauentur, synodali decreto statuimus ut si de cetero quocumque praetextu Iudaei a christianis graues et immoderatas usuras extorserint, christianorum eis participium subtrahatur donec de immoderato grauamine satisfecerint competenter. Vnde christiani,2 si opus fuerit, per censuram ecclesiasticam appellatione postposita compellantur ab eorum commerciis abstinere. Principibus autem iniungimus ut propter hoc non sint christianis infesti sed potius a tanto grauamine Iudaeos studeant cohibere. Hac3 eadem pena Iudaeos decernimus compellendos ad satisfaciendum ecclesiis pro decimis et oblationibus debitis, quas a christianis de domibus et possessionibus aliis percipere consueuerant antequam ad Iudaeos quocumque titulo devenissent, ut sic ecclesiae conserventur indempnes.4
A. García García, ed., Constitutiones quarti Lateranensis una cum Commentariis glossatorum (Vatican, 1981), 106-107; G. Alberigo, et al., eds. Les conciles Œcuméniques: Les Décrits, vol. 2.1 (Paris, 1994), 265-66.
Plus la religion chrétienne se refuse à l'exaction de l'usure, plus la perfidie des juifs s'adonne à celle-ci, si bien que, en peu de temps, ils épuisent les richesses des chrétiens. Nous voulons donc en cela veiller à ce que les chrétiens ne soient pas terriblement accablés par les juifs. Aussi statuons-nous par un décret conciliaire que si à l'avenir par quelque prétexte que ce soit des juifs extorquaient aux chrétiens des prêts usuraires lourds et excessifs, tout commerce avec les chrétiens leur soit enlevé jusqu'à ce qu'ils aient donné entière satisfaction comme il convient pour les préjudices immodérés infligés. Au besoin, les chrétiens aussi seront contraints par censure ecclésiastique, et sans appel, de s'abstenir de tout commerce avec eux. Nous enjoignons aux princes de ne pas se montrer hostiles envers les chrétiens à cause de cela mais plutôt d'employer leur zèle à détourner les juifs d'une si grande oppression. Sous peine d'une même sanction, nous décrétons que les juifs doivent être contraints à s'acquitter envers les églises des dîmes et des offrandes qui leur étaient dues et qu'elles avaient l'habitude de percevoir de la part des chrétiens au titre des maisons et autres possessions avant que celles-ci, sous quelque titre que ce soit, ne soient passées entre les mains des juifs : ainsi les églises ne seront pas lésées.
G. Alberigo, et al., eds., Les conciles œcuméniques : Les Décrets, vol. 2.1 (Paris, 1994), 265-266. (avec modifications)
Émis lors du 4e concile de Latran en 1215 sous le pontificat d'Innocent III, le canon 67 est l'un des quatre canons qui portent sur les juifs et l'un des deux qui concernent l'usure. Il cherche à réduire le montant des intérêts que les juifs pouvaient exiger des chrétiens lorsqu'ils leur prêtaient de l'argent, afin que ce montant ne soit pas "lourd et excessif" — même si n'est jamais spécifié ce que serait un taux d'intérêt excessif. Le canon exige aussi des juifs qu'ils continuent à payer les dîmes et autres impôts ecclésiastiques sur les propriétés qu'ils avaient acquis auprès de chrétiens. Ce canon devait être appliqué au moyen de l'excommunication indirecte : on exigeait des chrétiens qu'ils renoncent à faire des affaires avec les juifs qui prenaient des intérêts trop élevés ou ne payaient pas les dîmes.
Alors que la loi canon avait longtemps interdit aux chrétiens d'exiger des intérêts lorsqu'ils accordaient des prêts à d'autres chrétiens sous couvert de leur propre loi chrétienne, les juifs furent autorisés à prêter à intérêt à des chrétiens et à d'autres non juifs ; ils exercèrent fréquemment ce droit dans l'Europe médiévale. Dès le début du XIIIe siècle, les autorités ecclésiastiques et séculières commencèrent à réguler l'usure des juifs. Ce canon fait écho aux préoccupations du Etsi non displiceat d'Innocent III (15 janvier 1204) et du Ut esset Cain (16 janvier 1207) et a son parallèle dans les mesures plus spécifiques introduites dans la France des Capétiens en 1206 pour limiter le montant des intérêts que pouvaient réclamer les juifs, fixer ce qu'ils pouvaient accepter par sécurité et déterminer les modalités de contraction d'un prêt. Comme ce canon repose sur des pénalités indirectes et sur la coopération des autorités séculières, son effet immédiat paraît avoir été négligeable ; il n'en coïncide pas moins avec le moment où la loi canon commence à empiéter sur les affaires internes au judaïsme (et à l'islam). Comme beaucoup de canons émis à Latran IV, le canon 67 fut intégré aux Décrétales, en tant que V.19, c. 18 et promulgué lors de synodes provinciaux. À compter du début du XIIIe siècle, les juifs deviennent étroitement associés à l'usure, ce qui soulève des questions sur la façon de disposer de la propriété ecclésiastique et sur la perte du revenu des églises au cas où les prêts viendraient à manquer, sur la mise en gages des objets sacrés, et sur le pouvoir que les juifs pouvaient exercer en tant que créditeurs. Le canon 67, les décrétales papales contemporaines et la législation séculière font des prêts accordés par les juifs quelque chose de nuisible et de dangereux pour les chrétiens et l'Église. Lorsque les monarchies française et anglaise interdirent par la suite aux juifs de prêter de l'argent puis les expulsèrent, ils utilisèrent une semblable rhétorique pour justifier leurs mesures.
Laurence Foschia : traduction
Laurence Foschia : relecture
Notice n°30315, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30315/.