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Etsi non displiceat Domino

Auteur

Innocent III

Titre en français

Etsi non displiceat Domino

Titre descriptif

Lettre au roi Philippe II Auguste de France sur les méfaits des juifs

Type de texte

Bulle pontificale

Texte

Regi Francorum Etsi non displiceat Domino, sed ei potius sit acceptum ut sub catholicis regibus et principibus christianis vivat, et serviat dispersio Judeorum, cujus tunc tandem reliquie salve fient cum in diebus illis salvabitur Juda, et Israel habitaverit confidenter, vehementer tamen oculos divine majestatis offendunt, qui crucifigentium filios, contra quos adhuc sanguis clamat in Patris auribus, crucifixi Christi coheredibus preferunt, et tanquam ancille filius cum filio libere possit, et debeat heres esse, Judaicam servitutem illorum libertati preponunt, quos Filius liberavit. Sane, ad nostram noveris audientiam pervenisse, quod in regno Francorum Judei adeo insolescunt, ut, sub specie usurarie pravitatis, per quam non solum usuras, sed usuras usurarum extorquent, ecclesiarum bona et possessiones Christianorum usurpent, sicque illud impletum in Christianorum populo videatur, quod in Judeorum persona propheta deplorat: “Hereditas, inquiens, nostra versa est ad alienos, domus nostre ad extraneos. Preterea, cum in Lateranensi concilio sit statutum”, [Lat III:26] ut Judei, nec sub alendorum puerorum obtentu, nec pro servitio, nec alia qualibet causa, in domibus suis habere permittantur mancipia christiana, sed excommunicentur qui cum eis presumpserint habitare, ipsi et servos Christianos habere non dubitant, et nutrices, cum quibus eas interdum abominationes exercent, quas te potius punire convenit quam nos deceat explicare. Insuper, cum idem concilium testimonium Christianorum adversus Judeos in communibus causis [Lat III : 26], cum et illi adversus Christianos testibus Judeis utantur, censuerit admittendum, et anathemate feriri decreverit quicunque Judeos Christianis in hac parte preferret, usque adeo eis defertur in regno Francorum, ut non credatur Christianis testibus contra ipsos, sed ipsi contra Christianos ad testimonium admittantur. Quod si aliquando hi, quibus suam credunt pecuniam sub usuris, Christianos testes super facta solutione producant, plus creditur instrumento, quod apud eos per negligentiam, aut incuriam debitor reliquerat indiscretus, quam testibus introductis; imo, non recipiuntur etiam testes in hoc articulo contra eos, usque adeo etiam, quod cum rubore referimus, insolescunt, ut Senonensi, juxta quandam ecclesiam veterem novam construxerint Synagogam, ecclesia non modicum altiorem, in qua, non, sicut olim priusquam fuissent ejecti de regno, demissa voce, sed cum magno clamore secundum ritum Judaicum sua officia celebrantes, divinorum celebrationem in eadem ecclesia non dubitant impedire. Quinimmo, nomen Domine blasphemantes, publice Christianis insultant, quod credant rusticum quemdam suspensum a populo Judeorum, quem quidem nec nos pro nobis suspensum ambigimus, cum peccata nostra ipse tulerit in sue corpore super lignum, sed rusticum moribus aut genere non fatemur, imo nec ipsi diffiteri valerent quin ipse secundum carnem de sacerdotali stirpe descenderit ac regali, et mores ejus preclari fuerunt, et honesti. In die quoque parasceves, Judei contra veterem consuetudinem per vicos, et plateas publice discurrentes, concurrentes, juxta morem, undique Christianos ut adorent crucifixum in cruce, derident, et eos per improperia sua student ab adorationis officio revocare. Patent quoque latronibus usque ad noctem dimidiam ostia Judeorum, nec, si quid furto sublatum inventum fuerit apud eos, quisquam de illis potest justitiam obtinere. Abutuntur ergo Judei patientia regia, et, cum inter Christianos positi remaneant, hospites suos male cum opportunitate captata Christianos latenter occident, sicut nuper dicitur, accidisse, cum quidam pauper scholaris in eorum latrina mortuus est repertus. Ne igitur per eos nomen Domini blasphemetur, nec deterior sit Christianorum libertas, quam servitus Judeorum, monemus serenitatem regiam et exhortamur in Domino, et in remissionem injungimus peccatorum, quatenus sic Judeos super hie et similibus a sua presumptione compescas, sic abusiones hujusmodi de regno Francorum studeas abolere, quod habere zelum Dei secundum scientiam videaris, et cum leges etiam seculares gravies animadvertant in eos, qui nomen Domini blasphemant, sic animadvertas in blasphemos hujusmodi, quod aliquorum poena metus sit omnium, nec facilitas venie incentivum tribuat delinquendi. Ad eliminandos insuper hereticos de regno Francorum potenter insurgas, nec lupus, ad perdendas oves sub ovina pelle latentes, in terra sua latere permittat regia celsitudo, sed in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam. Data Rome, apud Sanctum Petrum, XVII Kal. Feb., anno septimo.

Langue

Latin

Source du texte original

S. Grayzel, The Church and the Jews in the XIIIth Century (New York, 1966), 104-8.

Datation

  • Date fixe : 16/01/1205

Aire géographique

Traduction française

Au roi de France. Bien qu’il ne déplaise pas à Dieu, mais au contraire qu’Il accepte que la dispersion des Juifs vive sous l’autorité des rois catholiques et des princes chrétiens et leur servent, « À ce moment-là, le royaume de Juda sera libéré, et le peuple d'Israël vivra en sécurité » [Jér. 23 :6], il offense gravement les yeux de la majesté divine que des princes préfèrent les fils des crucificateurs, contre qui le sang crie aux oreilles du Père, aux héritiers du Christ crucifié et qu’ils préfèrent la servitude juive à la liberté de ceux que le Fils a libérés, comme si le fils de l’esclave pouvait être cohéritier avec le fils de l’épouse libre. Nous avons entendu dire que dans le royaume des Français les juifs sont devenus si insolents que, sous prétexte du vice de l’usure, par lequel ils extorquent non seulement l’usure, mais l’usure de l’usure, ils usurpent les biens de l’Eglise et les possessions des chrétiens ; ainsi on voit réalisé dans le peuple chrétien ce que le prophète déplore dans la personne des Juifs : « Notre héritage a été transféré à des étrangers, nos maisons à des inconnus »[Lam. 5:2]. En outre, comme il a été proclamé dans le concile du Latran [Lat III : 26], il n’est pas permis aux juifs d’avoir des serviteurs chrétiens dans leurs maisons sous prétexte de s’occuper de leurs enfants, ni pour le service domestique, ni pour une autre raison quelconque. Que soient excommuniés ceux qui présument habiter avec eux. Mais les juifs n’hésitent pas à embaucher des serviteurs chrétiens, y compris des nourrices auxquelles ils font de telles abominations qu’il te convient plutôt à toi de les punir qu’à nous de les décrire. De plus, en dépit du fait que le même concile [Lat III : 26] a admis le témoignage des chrétiens contre les juifs dans des procès impliquant les deux et a prononcé l’anathème contre quiconque préfère le témoignage des juifs à ceux des chrétiens, dans le royaume de France on préfère les témoins juifs et on ne croit pas les témoins chrétiens contre eux, mais on admet leur témoignage contre les chrétiens. Ainsi si parfois ceux à qui ils ont emprunté leur argent avec usure, on donne plus de crédence aux documents qu’un débiteur indiscret leur aurait négligemment laissé qu’aux témoins assermentés. Non, on n’admet pas de témoins contre eux dans ces affaires, à tel point, comme nous l’avons dit avec honte, qu’ils deviennent insolents au point que dans le Sénonais ils ont construit une nouvelle synagogue à côté d’une ancienne église, et que cette synagogue est nettement plus haute que l’église. Dans cette synagogue ils ne célèbrent pas leurs rites d’une voix discrète (comme ils le faisaient autrefois, avant qu’ils fussent expulsés du royaume [en 1182]), mais au contraire ils célèbrent les rites juifs avec un grand fracas, sans hésiter à empêcher la tenue du culte chrétien dans l’église voisine. Bien au contraire, ils insultent les chrétiens publiquement, prononçant des blasphèmes contre le nom de Dieu, qu’ils pensent être un quelconque rustre pendu par le peuple juif. Nous n’avons aucun doute qu’Il soit pendu, puisque par son corps sur la croix Il a enlevé nos péchés, mais nous ne croyons pas qu’il soit rustre, ni en ses mœurs ni en sa naissance ; eux-mêmes ne peuvent nier que dans sa chair il était de souche royale et sacerdotale et que ses mœurs étaient nobles et exemplaires. Au jour du vendredi saint, les juifs, sans respecter les anciennes coutumes, parcourent les rues et places publique et, selon leur habitude, rient des chrétiens qui adore le Crucifié sur sa croix, et cherchent par ces impropriétés à les détourner de leur dévotions. Il s’avère que les portes des juifs sont toujours ouvertes aux voleurs, jusqu’au milieu de la nuit, sans que, si on trouve un objet volé auprès d’eux, on ne puisse jamais obtenir justice d’eux. Les juifs abusent de la patience royale et, comme ils résident au milieu des chrétiens, ils traitent mal leurs hôtes quand ils le peuvent et tuent en cachète des chrétiens : nous avons entendu parler en effet d’un pauvre étudiant qui a été trouvé mort dans leurs latrines. Pour qu’ils ne blasphèment pas le nom de Dieu et pour que la liberté chrétienne ne soit pas mise plus bas que la servitude des juifs, nous avertissons la sérénité royale et exhortons au nom de Dieu et nous imposons en rémission de ses péchés, que tu empêches les juifs de faire ces choses et des choses similaires, que tu cherches à abolir de tels abus dans le royaume de France, pour qu’on te voie imbu du zèle pour Dieu selon la sagesse. De surcroit, puisque les lois séculaires doivent être plus sévères contre ceux qui blasphèment le nom du Seigneur, ainsi fais attention à ces blasphémateurs, pour que leur punition soit une leçon pour tous, pour que la facilité du pardon n’incite pas au délit. Efforce-toi d’éliminer les hérétiques, pour que la royale grandeur ne permette pas au loup, déguisé sous une peau de mouton, de parcourir librement son territoire à la perdition des ouailles, mais qu’elle montre la même ferveur en persécutant les hérétiques qu’elle montre en poursuivant la foi chrétienne. Donné à Rome, à St. Pierre, le 17 des Kalendes de février, septième année.

Source traduction française

J. Tolan

Résumé et contexte

En 1180, Philippe Auguste fit arrêter tous les juifs du domaine royal et les obligea de payer 15 000 marcs par personne pour se libérer. En 1180-81, il exonèra les chrétiens de 80% de leurs dettes envers les juifs. Finalement, en 1182, il expulsa les juifs du domaine royal en 1182. Son biographe Rigord loue le roi pour cette expulsion, affirmant qu’auparavant les juifs avaient obtenu par leurs prêts usuraires la moitié de la ville de Paris, avaient mis plusieurs débiteurs chrétiens enfermés comme des prisonniers dans les maisons juives, et convertissaient leurs domestiques chrétiens au judaïsme. Tout cela justifiait largement leur expulsion, affirme Rigord, qui fait les louanges de cet acte de piété royale. Mais en 1198 le roi permit le retour des juifs dans les domaines royaux et les juifs qui s’y installèrent (bien moins nombreux qu’avant 1182) semblent s’être spécialisés dans le prêt à intérêt. Ainsi, quand le pape Innocent III écrit cette lettre au roi en 1205, il dresse un inventaire, similaire aux diatribes de Rigord, des abus causés par l’usure des juifs, mettant l’accent sur les biens de l’Eglise qui se trouvent désormais dans leurs mains. Cette bulle a été étudiée par des historiens (Chazan, Jordan, Moore) surtout comme un témoignage de la pratique du prêt à intérêt par les juifs de l’Ile de France et les tensions causées à la fois par ces pratiques et par le fait que les agents royaux participent pleinement dans la coercition : y compris dans l’arrestation et emprisonnement des débiteurs. C’était une des causes de l’expulsion de 1182, et il continue à poser problèmes pour Philippe et ses successeurs, dont certains prennent des mesures pour réduire les risques qui peuvent encourir les débiteurs et pour limiter le rôle des agents royaux dans ces affaires. Ces tensions continuent, néanmoins, jusqu’à ce que, en 1306, Philippe IV le Bel expulse les juifs du royaume de France (donc d’un territoire bien plus grand que le domaine royal de 1182). Parmi les autres thèmes abordés dans cette bulle, certains ont été évoqués maintes fois dans le droit canon, notamment dans les actes conciliaires et dans les lettres pontificales. Diverses lois du Code théodosien interdisent aux juifs d’avoir des esclaves (servi) chrétiens, interdictions répétées maintes fois par la suite. Le pape constate que de nombreux juifs ont des servi dans leur maisons pour s’occuper de leurs enfants et des affaires domestiques. Ceci semble du reste être un phénomène largément répandu dans les villes du Nord de l’Europe, selon le témoignages de textes en latin et en hébreux (voir Baumgarten, Mothers and Children). En dépit de l’emploi du terme de servi, il s’agit probablement dans la grande majorité de cas de serviteurs libres, surtout des femmes : Innocent mentionne explicitement les nourrices (nutrices). Si d’autres hommes d’église s’étaient préoccupés des dangers spirituels d’une telle cohabitation ou promiscuité, qui pourrait mener à l’apostasie, Innocent évoque vaguement des « abominations » que les juifs font subir à leurs nourrices (qu’il explicite dans une autre bulle, Etsi Iudeos). Le fait que les juifs aient des serviteurs chrétiens renverse l’hiérarchie qui doit prévaloir, pour Innocent, entre les « fils des crucificateurs » et ceux du Crucifié. Quand Pilate se lave les mains de sa responsabilité pour la mort de Jésus, les juifs de Jérusalem clament, selon Mattieu : « que son sang retombe sur nous et sur nos enfants » [Mt. 27 :25]. Ce sang du Fils crie encore aux oreilles du Père, affirme Innocent, de sorte que tout prince qui craint la colère divine doit faire veiller à ce que les juifs restent soumis aux chrétiens. Cette relation serait du reste déjà préfiguré dans le texte de Genèse, qui distingue entre les deux fils d’Abraham : Isaac, le « fils de l’épouse libre » (Sarah), vrai héritier de son père, préfigurerait les chrétiens ; Ismaël, « fils de l’esclave » (Hagar), préfigure les juifs, dont le destin serait la soumission et l’esclavage. Le fait que des juifs aient des serviteurs et qu’ils exercent des pouvoirs indus sur des chrétiens et sur des objets de culte à cause des prêts à intérêt bouleverse ces hiérarchies et sont tant d’indices, pour le pape, de l’ « insolence » des juifs. Si Innocent reprend ici des thèmes bien présents déjà dans des textes chrétiens à propos du judaïsme et de juifs, il le fait avec une véhémence et une violence d’expression peu habituelles dans la correspondance pontificale antérieure. Ce texte représente un durcissement de la rhétorique pontificale envers les juifs, à qui on attribue une hostilité implacable au Christianisme et aux chrétiens, de qui ils se moquent et qu’ils chercheraient à tuer. Ce texte, avec d’autres, ont mené certains historiens à voir dans le pontificat d’Innocent un tournant néfaste dans les relations entre juifs et chrétiens européens : au XIXe siècle, Heinrich Hirsch Graetz, dans son œuvre monumental, la Geschichte der Juden, fait d’Innocent le principal coupable de la dégradation de la condition des juifs au moyen âge. Si les propos d’historiens plus récents sont plus nuancés, ils soulignent néanmoins le rôle important joué par le pape dans le durcissement de la rhétorique pontificale envers les juifs et dans la mise en place d’une politique plus sévère (voir Synan ; Chazan, « Pope Innocent »).

Signification historique

En 1180, Philippe Auguste fit arrêter tous les juifs du domaine royal et les obligea de payer 15 000 marcs par personne pour se libérer. En 1180-81, il exonèra les chrétiens de 80% de leurs dettes envers les juifs. Finalement, en 1182, il expulsa les juifs du domaine royal en 1182. Son biographe Rigord loue le roi pour cette expulsion, affirmant qu’auparavant les juifs avaient obtenu par leurs prêts usuraires la moitié de la ville de Paris, avaient mis plusieurs débiteurs chrétiens enfermés comme des prisonniers dans les maisons juives, et convertissaient leurs domestiques chrétiens au judaïsme. Tout cela justifiait largement leur expulsion, affirme Rigord, qui fait les louanges de cet acte de piété royale. Mais en 1198 le roi permit le retour des juifs dans les domaines royaux et les juifs qui s’y installèrent (bien moins nombreux qu’avant 1182) semblent s’être spécialisés dans le prêt à intérêt. Ainsi, quand le pape Innocent III écrit cette lettre au roi en 1205, il dresse un inventaire, similaire aux diatribes de Rigord, des abus causés par l’usure des juifs, mettant l’accent sur les biens de l’Eglise qui se trouvent désormais dans leurs mains. Cette bulle a été étudiée par des historiens (Chazan, Jordan, Moore) surtout comme un témoignage de la pratique du prêt à intérêt par les juifs de l’Ile de France et les tensions causées à la fois par ces pratiques et par le fait que les agents royaux participent pleinement dans la coercition : y compris dans l’arrestation et emprisonnement des débiteurs. C’était une des causes de l’expulsion de 1182, et il continue à poser problèmes pour Philippe et ses successeurs, dont certains prennent des mesures pour réduire les risques qui peuvent encourir les débiteurs et pour limiter le rôle des agents royaux dans ces affaires. Ces tensions continuent, néanmoins, jusqu’à ce que, en 1306, Philippe IV le Bel expulse les juifs du royaume de France (donc d’un territoire bien plus grand que le domaine royal de 1182). Parmi les autres thèmes abordés dans cette bulle, certains ont été évoqués maintes fois dans le droit canon, notamment dans les actes conciliaires et dans les lettres pontificales. Diverses lois du Code théodosien interdisent aux juifs d’avoir des esclaves (servi) chrétiens, interdictions répétées maintes fois par la suite. Le pape constate que de nombreux juifs ont des servi dans leur maisons pour s’occuper de leurs enfants et des affaires domestiques. Ceci semble du reste être un phénomène largément répandu dans les villes du Nord de l’Europe, selon le témoignages de textes en latin et en hébreux (voir Baumgarten, Mothers and Children). En dépit de l’emploi du terme de servi, il s’agit probablement dans la grande majorité de cas de serviteurs libres, surtout des femmes : Innocent mentionne explicitement les nourrices (nutrices). Si d’autres hommes d’église s’étaient préoccupés des dangers spirituels d’une telle cohabitation ou promiscuité, qui pourrait mener à l’apostasie, Innocent évoque vaguement des « abominations » que les juifs font subir à leurs nourrices (qu’il explicite dans une autre bulle, Etsi Iudeos). Le fait que les juifs aient des serviteurs chrétiens renverse l’hiérarchie qui doit prévaloir, pour Innocent, entre les « fils des crucificateurs » et ceux du Crucifié. Quand Pilate se lave les mains de sa responsabilité pour la mort de Jésus, les juifs de Jérusalem clament, selon Mattieu : « que son sang retombe sur nous et sur nos enfants » [Mt. 27 :25]. Ce sang du Fils crie encore aux oreilles du Père, affirme Innocent, de sorte que tout prince qui craint la colère divine doit faire veiller à ce que les juifs restent soumis aux chrétiens. Cette relation serait du reste déjà préfiguré dans le texte de Genèse, qui distingue entre les deux fils d’Abraham : Isaac, le « fils de l’épouse libre » (Sarah), vrai héritier de son père, préfigurerait les chrétiens ; Ismaël, « fils de l’esclave » (Hagar), préfigure les juifs, dont le destin serait la soumission et l’esclavage. Le fait que des juifs aient des serviteurs et qu’ils exercent des pouvoirs indus sur des chrétiens et sur des objets de culte à cause des prêts à intérêt bouleverse ces hiérarchies et sont tant d’indices, pour le pape, de l’ « insolence » des juifs. Si Innocent reprend ici des thèmes bien présents déjà dans des textes chrétiens à propos du judaïsme et de juifs, il le fait avec une véhémence et une violence d’expression peu habituelles dans la correspondance pontificale antérieure. Ce texte représente un durcissement de la rhétorique pontificale envers les juifs, à qui on attribue une hostilité implacable au Christianisme et aux chrétiens, de qui ils se moquent et qu’ils chercheraient à tuer. Ce texte, avec d’autres, ont mené certains historiens à voir dans le pontificat d’Innocent un tournant néfaste dans les relations entre juifs et chrétiens européens : au XIXe siècle, Heinrich Hirsch Graetz, dans son œuvre monumental, la Geschichte der Juden, fait d’Innocent le principal coupable de la dégradation de la condition des juifs au moyen âge. Si les propos d’historiens plus récents sont plus nuancés, ils soulignent néanmoins le rôle important joué par le pape dans le durcissement de la rhétorique pontificale envers les juifs et dans la mise en place d’une politique plus sévère (voir Synan ; Chazan, « Pope Innocent »).

Textes apparentés inclus dans le corpus

Manuscrits

  • Archivum secretum vaticanum Reg. Vat. 5, f. 189r-v

Editions

  • PL 215:501-3
  • S. Simonsohn, The Apsotolic See and the Jews, 1:82-83

Etudes

  • E. Baumgarten, Mothers and children: Jewish family life in medieval Europe (Princeton, 2004).
  • G. Caro, Sozial- und Wirtschaftsgeschichte der Juden im Mittelalter und der Neuzeit. (Hildesheim, 1908), p. 296-7.
  • R. Chazan, « Pope Innocent III and the Jews », in J. Moore, ed., Pope Innocent III and his World (Aldershot, 1999), 187-204.
  • H. Graetz, Geschichte der Juden von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart, vol.7 & 8, Von Maimunis Tod (1205) bis zur Verbannung der Juden aus Spanien und Portugal (Leipzig, 1890; reprint Darmstad, 1998)
  • W. Jordan, The French Monarchy and the Jews: From Philip Augustus to the Last Capetians (Philadelphia, 1989).
  • G. Langmuir, “ ‘Judei nostri’ and Capetian Legislation”, Traditio 16 (1960), 203-39.
  • D. Quaglioni, "'Christianis infesti', una mitologia giuridica dell'età intermedia: l'Ebreo come 'nemico interno'", Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno 38 (2009), 201-24.
  • E. Synan, Popes and the Jews in the Middle Ages (New York, 1965).
  • Moore, Pope Innocent III (1160/61-1216): To Root up and to Plant (Leiden, 2003), 143-45.

Mots-clés

Croix ; crédit ; Eglise ; nourrices ; serviteurs ; synagogue ; témoignage ; usure

Auteur de la notice

John   Tolan

Comment citer cette notice

Notice n°30385, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30385/.

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