Comment se conduire avec un voisin juif?
Fatwa portant sur les relations de voisinage entre musulmans et juifs
سئل القابسي عن رجل بجواره يهودي قد ربي معهم، فربما جاءوه في حاجة، أو عرضت له إليهم حاجة، وربما مشى في طريق ملاصقة لهم، فيجري بينهم حديث وابتسام، وكلام لين، وهذا الرجل يقول: "الله عالم ببُغضِي لليهود ولكن طبعي لين. أتراه من هذا في حرج أم لا؟ و ما يرد عليه إذا سلموا عليه؟ أفتنا رحمك الله. فأجاب: إن كنت تسأل لنفسك فلا تخالط من على خِلاف دينك، فهو أسلم لك. وأما جارك من أهل الذمة، فيستقضيك حاجة لا مأثم فيها، فتقضيها له، فلا بأس. أما لين قولك له إن خاطبك فإن لم يكن فيه تعظيم له و لا تشريف، ولا ما يغبِطه في دينه، فلا بأس إذا ابتُليت به، وأما إن سلم عليك فالرد عليه أن تقول : و عليك، ولا تزد. و أما سؤالك عن حاله و حال من عنده، فمالك فيه فائدة، وما عليك منه إن أنت لم تكثر و لم تُفرط فيه، ولكن بقدر ما يدعو إليه حق الجوار و الله يعلم المفسد من المصلح، و الله ولي بالتوفيق.
Al-Wansharīsī, al-Miʿyār (Rabat, 1981), XI, 300-301.
La question suivante a été posée à al-Qābisī : « Un homme a un voisin juif qui a été élevé au milieu d’eux (i.e., des musulmans). Ils se rendent mutuellement service et quand il emprunte le chemin jouxtant leurs demeures, ils se parlent, se sourient et échangent des propos aimables. Cet homme dit : “Dieu connaît ma haine des juifs, mais j'ai un doux caractère.” Dirais-tu que sa conduite est blâmable ou non ? Et comment doit-il répondre aux juifs qui le saluent ? Donne-nous ton avis, qu’Allah te fasse miséricorde !» Il a répondu : « Si cette question que tu poses te concerne personnellement, ne fréquente pas les gens qui ont une religion autre que la tienne, cela vaut mieux pour toi. Quant à ton voisin dhimmī, s’il te demande de lui rendre service, tu peux le lui rendre. Il n’y a pas de mal à cela, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’un acte illicite. Quant aux mots doux avec lesquels tu lui réponds quand il s’adresse à toi, il n’y a pas de mal [à ce que tu les lui dises], si tu as été éprouvé par sa présence (iḏā ubtulīta bihi), mais à condition de ne pas le glorifier, lui faire honneur ou lui exprimer quoi que ce soit qui puisse le rendre fier de sa religion. Et s’il te salue en disant “Que le salut soit sur toi”, réponds-lui “Et sur toi” sans rien ajouter. Tu n’as pas besoin de lui demander de ses nouvelles ni de celles de sa famille ; mais rien ne t’empêche de faire cela si tu n’en abuses pas. Ais pour lui (i.e., pour le juif) les égards que l’on doit avoir pour un voisin, pas davantage. »
A. Oulddali
Cette fatwa du juriste mālikite de Kairouan al-Qābisī (m. 403/1012) porte sur les relations de voisinage entre musulmans et juifs. Un homme qui fait montre d’amabilité envers son voisin juif se demande si sa conduite à l’égard de celui-ci est blâmable du point de vue de la loi musulmane. Il veut également savoir comment un musulman doit-il répondre lorsqu’un non-musulman le salue. Cette question est souvent abordée dans les traités de droit musulmans. Les juristes se réfèrent à une tradition (ḥadīth) selon laquelle certains non-musulmans de Médine saluaient le Prophète et ses compagnons en prononçant non pas la formule consacrée «Que la paix soit sur vous » mais une formule tronquée signifiant « que la mort s’abatte sur vous ». S’étant rendu compte de leur tromperie, le Prophète aurait conseillé à ses compagnons de leur répondre « et sur vous aussi ». L’opinion qu’al-Qābisī exprime dans la présente fatwa s’appuient sur ce ḥadīth. Pour al-Qābisī, un musulman peut entretenir de bonnes relations avec les non-musulmans qu’il côtoie. Mais il ne doit pas leur témoigner davantage de considération qu’ils méritent en tant qu’adeptes d’une religion considérée comme inférieure à l’islam. On sait que du point de vue musulman, le judaïsme et le christianisme sont des confessions monothéistes reconnues, mais leurs doctrines et lois demeurent imparfaites comparées à celles de l’islam qui est la religion par excellence. Cette supériorité de la religion musulmane doit être prise en compte dans les relations entre les croyants et ceux qui ne le sont pas. Telle est la raison pour laquelle al-Qābisī préconise de se conduire avec le voisin juif comme l’on doit le faire avec tout voisin, mais sans faire preuve de trop de déférence à son égard.
Les juifs formaient l’une des minorités religieuses importantes du monde musulman médiéval. Bien que moins nombreux que les chrétiens et les zoroastriens, ils étaient présents à peu près sur tout le territoire. Dans certaines régions, le judaïsme était même devenu la deuxième religion. C’est le cas en Afrique du Nord. En tant que membres d’une confession scripturaire (ahl al-kitāb), les juifs avaient le statut de « protégés » dhimmīs qui leur conférait des droits tout en les soumettant à des obligations. Parmi les droits dont ils bénéficiaient dans ce cadre, il y a le libre exercice du culte et une certaine autonomie administrative et judiciaire. Au Maghreb, juifs et musulmans cohabitaient dans les mêmes villes et souvent dans les mêmes quartiers. Cette proximité a favorisé le développement des échanges entre les deux communautés dont les membres se côtoyaient et échangeaient au quotidien. Par exemple, il était courant que les musulmans et les juifs s’associent les uns avec les autres dans le domaine économique. La loi musulmane autorise de telles relations à condition qu’elles ne conduisent pas les musulmans à violer les règles de l’islam (par exemple les règles interdisant l’usure, le commerce de certains produits prohibés tels que le vin et le porc, le mariage d’un non-musulman avec une musulmane, etc.). Cependant, pour beaucoup de juristes de l’époque, les contacts avec les adeptes des autres religions doivent être limités de manière à éviter que ceux-ci n’influencent les musulmans par leurs croyances et leurs mœurs. Un autre argument est souvent avancé pour justifier cette restriction. Il est fondé sur quelques versets du Coran interdisant aux croyants de prendre des mécréants pour alliés (Coran 4, 144 ; 5, 51 ; 9,23 ; 60,1). Sur la base de ces textes coraniques, les juristes préconisent d’adopter une attitude réservée à l’égard des non-musulmans en général. C’est aussi l’avis d’al-Qābisī dans la présente fatwa.
dhimmī ; Juifs/Judaïsme ; salut ; voisin
Adam Bishop : traduction
Notice n°268667, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait268667/.