Des présents offerts par les juifs à l'occasion de leurs fêtes
Fatwa au sujet de la nourriture offerte par les juifs
سئل القاضي أبوعبد الله بن الأزرق عن اليهود يصنعون رغائف في عيد لهم يسمونه عيد الفطر، ويهدونها لبعض جيرانهم من المسلمين، فهل يجوز قبولها منهم وأكلها أم لا؟ فأجاب: قبول هدية الكافر منهي عنه على الإطلاق نهي كراهة. قال ابن رشد : لأن المقصود في الهدايا التودد، لقول النبي صلى الله عليه وسلم : " تهادوا تحابوا وتذهب الشحناء." وقد نهينا عن موالاتهم وإلقاء المودة إليهم لقوله تعالى " يا أيها الذين آمنوا لا تتخذوا عدوي وعدوكم أولياء… " وهل ينتهي النهي إلى التحريم إذا كانت مما يفعلونه في أعيادهم؟ الظاهر أنه يبلغ إلى الكراهة المغلظة. و قال الشيخ الإمام أبو عبد الله بن عرفة تفريعا على كلام الشيخ أبي الحسن القابسي في منع قبول هدية المسلم مما يفعل في أعياد الأعاجم تشبيها بهم، فلا يحل على هذا قبول هدايا النصارى في أعيادهم للمسلمين، وكذلك اليهود. قال : و كثير من جهلة المسلمين، يقبل ذلك منهم في عيد الفطيرة.
Al-Wansharīsī, al-Miʿyār, M. Ḥağğī, ed. (Beyrouth, 1981), XI, 111.
On a interrogé le Cadi Abū ʿAbd Allāh b. al-Azraq au sujet des juifs qui, à l'occasion d'une de leurs fêtes qu'ils appellent la Pâque (al-fiṭr), font des galettes (raghā’if) qu’ils offrent à certains de leurs voisins musulmans. Ces derniers peuvent-ils les accepter et les consommer ? Il répondit : « Il est strictement déconseillé d’accepter les cadeaux offerts par le mécréant. Cela tient à la nature répréhensible (karāha) de tel acte. » Ibn Rushd a dit : « On offre les cadeaux dans l’intention de témoigner de l’affection à une personne ou d’en rechercher l’amitié (tawaddud), d’où cette parole du Prophète : « Offrez-vous des présents les uns aux autres, vous deviendrez amis et s'en va l’animosité d'entre vous. » Or, Il nous a été interdit de s’allier avec eux (les mécréants) ou de leur témoigner de l’affection. En effet, Dieu a dit : « Ô vous qui avez cru ! Ne prenez pas pour alliés Mon ennemi et le vôtre …» L’acceptation des cadeaux offerts par les mécréants devient-elle un acte illicite et [et non pas seulement déconseillé] lorsqu’il s’agit de nourriture qu’ils ont préparée pour leurs fêtes ? L’opinion la plus vraisemblable est qu’elle devient un acte extrêmement répréhensible. Le Sheikh Abū ʿAbd Allāh b. ʿArafa, s’appuyant sur les propos du Sheikh Abū l-Ḥasan al-Qābisī selon lesquels il est interdit d’accepter le cadeau offert par un musulman dans le but d’imiter ce que font les non-musulmans pendant leurs fêtes, a déclaré : « Il n’est donc pas licite d’accepter les présents qu’offrent les chrétiens, à l’occasion de leur fêtes, aux musulmans. Et il en va de même pour les juifs.» Il a dit : « Mais beaucoup d’ignorants parmi les musulmans les acceptent d’eux (i.e. les musulmans acceptent les présents des non-musulmans) pendant la fête de Pâque. »
A. Oulddali
A l’occasion de la Pâque, des juifs avaient coutume de préparer des galettes et d’en offrir à leurs voisins musulmans. Ces derniers peuvent-ils en consommer, sachant qu’elles étaient destinées à la célébration d’une fête non-musulmane ? Dans sa réponse à cette question, le Cadi mālikite Ibn al-Azraq (m. 1491) rappelle qu’il est fortement déconseillé d’accepter les cadeaux offerts par un infidèle, mais sans aller jusqu’à l’interdire, car l’islam autorise la consommation de la nourriture préparée par les gens du Livre (Ahl al-kitāb, i.e. juifs et chrétiens). Pour appuyer sa fatwa, le cadi se réfère à d’autres juristes mālikites renommés. C’est ainsi qu’il cite les avis d’Ibn Rushd al-Ğadd (m. 1126) et d’Ibn ʿArafa. Tous deux recommandent de ne pas recevoir les cadeaux des juifs et des chrétiens.
Le juriste mālikite Abū ʿAbd Allāh Ibn al-Azraq (m. 1491) a exercé la judicature à Grenade dont il devint grand cadi sous le Sultan Nasrīd Abū al-Ḥasan (1464-1482). Peu avant la chute de la ville aux mains des Rois catholiques, il entama un voyage en Orient dans le but de solliciter l’aide militaire des Mamluks contre les chrétiens. Cette mission n’ayant pas abouti, il séjourna en Égypte jusqu’à sa mort. Dans la présente fatwa consignée dans le Miʿyār d’al-Wansharīsī (m. 1508), il est interrogé au sujet de la nourriture offerte par les juifs à l’occasion de leur fête de Pâque. Ici, comme pour la plupart des fatwas, les éléments conservés par le compilateur ne permettent pas de connaître la provenance de la question ni la date de son émission. On sait néanmoins que la coutume consistant à offrir des aliments lors des fêtes religieuses musulmanes, juives et chrétiennes était très répandue et que les musulmans acceptaient les cadeaux de leur voisins dhimmīs, ce que déplore Ibn ʿArafa dans ce texte. La position d’Ibn al-Azraq et des autres juristes mālikites qu’il cite ne tient pas à l’illicéité des aliments puisqu’il est permis au musulman de consommer la nourriture du kitabī. Elle s’explique plutôt par une conception rigoriste des lois de la dhimma. Pour ces juristes en effet, le fait de recevoir les cadeaux des juifs ou des chrétiens revient, d’une certaine manière, à célébrer leur fête et à adopter leurs coutumes. Or, la tradition musulmane invite les croyants à se distinguer des adeptes des autres religions dans leur façon de s’habiller et de se conduire. Et cette distinction devient obligatoire lorsqu’il s’agit des pratiques cultuelles tels que les fêtes. Car l’islam a institué ses propres jours sacrés qu’il convient de célébrer selon les usages spécifiques enseignés par le Coran et la Sunna du Prophète sans chercher à ressembler aux non-musulmans. Le point de vue d’al-Qābisī (m. 1012) que reprend Ibn ʿArafa (m. 1401) illustre parfaitement cette volonté de se différencier des traditions judaïque et chrétienne. Le musulman qui offre des cadeaux à ses proches dans le but d’imiter ce que font les juifs ou les chrétiens à l’occasion de leurs fêtes respectives est considéré comme ayant commis un acte répréhensible. Son présent ne doit pas être accepté et ce pour ne pas l’encourager dans sa conduite blâmable.
alimentation ; don et échange de cadeaux ; fête juive ; Pâques juives
Adam Bishop : traduction
Notice n°252320, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252320/.