Réponses aux questions concernant les relations entre chrétiens et Sarrasins
Sur des marchands qui vendent des non-chrétiens aux musulmans en prétendant qu'il s'agit de chrétiens
Item, quidam furantur iudeos uel sarracenos, et maxime feminas, et ducentes eas in terram sarracenorum pro coactionem uel alias faciunt eas profiteri coram sarracenis, quod sint christiani uel christiane, et sub nomine christiano uendunt eos uel eas sarracenis. Querimus utrum tales sint excommunicati propter iniuriam quam faciunt nomine christiano in huius uenditione. Respondemus: non sunt excommunicati sed mortaliter peccant.
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/12/57/PDF/Penyafort.pdf
Également, certains capturent des juifs ou des Sarrasins, surtout des femmes, et les emmènent dans les pays des Sarrasins, de force, et les obligent à déclarer aux Sarrasins qu'ils sont chrétiens ; ensuite ils les vendent, en tant que chrétiens, aux Sarrasins. Nous demandons si ces individus sont excommuniés pour l'insulte qu'ils font au nom chrétien en pratiquant ce genre de commerce. Nous répondons : ils ne sont pas excommuniés mais ils commettent un péché mortel.
L. Foschia
C’est l’une des questions d’une série que le ministre franciscain et le prieur dominicain résidant à Tunis posèrent au pape Grégoire IX concernant la légalité de différents types de commerce entre les marchands chrétiens et les musulmans. La question précédente (§6) traitait des marchands chrétiens qui vendaient d’autres chrétiens comme esclaves aux musulmans, une pratique qualifiée de péché mortel. Ici, des musulmans et des juifs, en particulier des femmes, sont vendus, mais les marchands prétendent qu’ils sont chrétiens – et obligent leurs captifs à le dire également. A Tunis, comme dans n’importe quelle ville musulmane, il était illégal de vendre des musulmans comme esclaves – encore plus si les vendeurs ne sont pas musulmans. Ce subterfuge permet donc aux marchands chrétiens de vendre leurs marchandises. On ignore s’il s’agissait d’une pratique courante ; certainement cela pouvait être dangereux pour le marchand si les autorités locales le découvraient et décidaient de punir cette violation du droit musulman. Cela soulève des questions sur les femmes – pourquoi elles acceptaient (en particulier les musulmanes) de participer à cela, et sur les autorités locales, si elles fermaient les yeux sur cette pratique.
Ce qui choque les deux frères, et pour eux peut-être mérite l’excommunication de ces marchands d’esclaves chrétiens, c’est « l'insulte qu'ils font au nom chrétien en pratiquant ce genre de commerce ». La capture et la vente de ces femmes, et la tromperie engendrée, posent moins de problème que l’insulte impliquée par le fait d’appeler chrétiennes ces juives et ces musulmanes. Ici également (comme au §6), le pape conclut que ce comportement est un péché mortel, mais qu’il ne mérite pas l’excommunication. Dans ces deux instances, il est clair que Grégoire et Raymond essaient d’interpréter et d’appliquer le droit canon, plutôt que de créer une nouvelle législation. Si ces pratiques n’encourent pas l’excommunication, c’est peut-être parce qu’aucun concile précédent, qu’aucun décret papal, n’imposent spécifiquement l’excommunication pour eux.
Laurence Foschia : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252838, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252838/.