Réponses aux questions concernant les relations entre chrétiens et Sarrasins
Excommunication pour ceux qui vendent des bateaux aux musulmans
Cum ex constitutione domini Innocentii sint excommunicati qui uendunt naues et deferunt arma uel ferrum uel impendunt aliquod auxilium sarracenis, quid est quod ianuenses uendunt naues et maxime ueteres sarracenis, dicentes hoc sibi non fuisse prohibitum a prelatis suis? Respondemus: qui deferunt naues uel lignamina galearum, arma uel ferrum sunt excommunicati, quocumque tempore hoc faciant, et hoc per utrumque concilium. Qui uero alia deferunt in dispendium terre sancte sunt excommunicati per ultimum concilium. Uel si ad impugnandum christianos, sunt excommunicati per primum lateranense concilium.
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/12/57/PDF/Penyafort.pdf
Puisque, sur ordre de sa Sainteté Innocent, ceux qui vendent des navires, transportent des armes ou du fer ou fournissent de l'aide aux Sarrasins sont excommuniés, que faut-il faire de ces Génois qui vendent des navires, en particulier des vieux bateaux, en disant que cela ne leur a pas été interdit par leurs propres prélats ? Nous répondons : ceux qui s'emparent de navires ou du bois des galères, d'armes ou de fer sont excommuniés, quel que soit le moment où ils le font, par les deux conciles. Car ceux qui font ce genre de commerce au détriment de la Terre Sainte sont excommuniés par le dernier concile [Latran IV] ; mais si le commerce de ces biens est destiné à combattre les chrétiens, ils sont excommuniés par le premier concile de Latran [en réalité Latran III].
L. Foschia
Le ministre franciscain et le prieur dominicain qui résidaient à Tunis ont rapporté au pape que des marchands génois vendaient des bateaux aux musulmans, en dépit des interdictions spécifiques formulées lors de Latran III, canon, 24, qui a interdit la vente des armes et du bois aux musulmans, interdictions reprises dans Latran IV, canon 71, qui les a cependant limitées au commerce avec "les sarrasins de l'Est", en d'autres termes les ennemis des croisés, ce qui permettait implicitement un commerce moins restrictif avec les musulmans du Maghreb. C'est peut-être cette ambiguïté qui autorise le clergé génois à fermer les yeux. Mais pour Grégoire et Raymond, de telles ventes contreviennent clairement aux interdictions commerciales décidées lors des deux conciles et appellent à une excommunication des marchands.
En plus d'une violation manifeste des interdictions commerciales des conciles, ce passage montre que les Génois ont remis en question l'autorité du ministre franciscain et prieur dominicain à Tunis. Les marchands génois affirmaient que leurs prélats n'avaient pas interdit ce commerce. Cela implique que les Génois, dont les intérêts économiques se situent clairement en bravant ces interdictions, ont des prêtres qui ferment les yeux. Les Génois ne reconnaissent aucune autorité aux ordres mendiants de Tunis pour prononcer leur excommunication : cette autorité relèverait sans doute de leurs propres prêtres, de leur archevêque, et en dernier ressort du pape. Parce qu'il n'y a pas d'évêque à Tunis, les Génois affirment avec insistance qu'ils obéissance à leur propre clergé. Dans sa réponse, le pape dépasse cette difficile question d'autorité, en insistant simplement sur le fait que ces marchands sont excommuniés par l'autorité de deux conciles ecclésiastiques : le troisième concile de Latran a prononcé l'excommunication de ceux qui vendent des armes à ceux qui combattent les chrétiens, tandis que le quatrième concile de Latran excommunie ceux qui font commerce "au détriment de la Terre Sainte". Grégoire avait récemment confirmé la nomination du franciscain Agnello comme évêque de Fez, pour servir la communauté chrétienne du califat Almohad ; l'établissement d'un évêque éliminait (du moins en théorie) le problème de juridiction si criant à Tunis.1 L'année suivante (1235), le pape envoya, comme émissaire au "Roi de Tunis" Abū Zakariyyā, Jean, "ministre des ordres mineurs sur les terres barbares".2 Il n'est pas sûr que ce Jean soit le même ministre franciscain qui (avec son contrepoint dominicain) envoya les quarante questions à Grégoire. Ce qui est évident, c'est que Grégoire entretient des contacts étroits avec les franciscains à Tunis et les emploie pour servir ses propres intérêts et pour agir comme des intermédiaires privilégiés avec l'émir.
1 . Voir M. de Mas Latrie, ed., Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des chrétiens avec les Arabes de l’Afrique septentrionale au Moyen Age (Paris, 1866 ; réimpr. New York, n.d.) vol 2., p. 10.
2 . Voir Mas Latrie, ed., Traités de paix et de commercevol 2., p. 11.
Laurence Foschia : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252830, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252830/.