Latran III
Interdiction faite aux chrétiens de vendre des armes aux musulmans ou de servir d'équipage aux pirates
Ita quorumdam animos occupavit saeva cupiditas ut cum glorientur nomine christiano Sarracenis arma ferrum et lignamina galearum deferant et pares eis aut etiam superiores in malitia fiant dum ad impugnandos christianos arma eis et necessaria subministrant. Sunt etiam qui pro sua cupiditate in galeis et piraticis Sarracenorum navibus regimen et curam gubernationis exercent. Tales igitur a communione ecclesiae praecisos et excommunicationi pro sua iniquitate subiectos et rerum suarum per saeculi principes catholicos et consules civitatum privatione mulctari et capientium servos si capti fuerint fore censemus. Praecipimus etiam ut per ecclesias maritimarum urbium crebra et solemnis excommunicatio proferatur in eos. Excommunicationis quoque poenae subdantur qui Romanos aut alios christianos pro negotiatione vel aliis causis honestis navigio vectos aut capere aut rebus suis spoliare praesumunt. Illi etiam qui christianos naufragia patientes quibus secundum regulam fidei auxilio esse tenentur damnanda cupiditate rebus suis spoliare praesumunt nisi ablata reddiderint excommunicationi se noverint subiacere.
G. Alberigo, et al., ed, Les conciles Œcuméniques: Les Décrits, vol. 1 (Paris, 1994), 202.
Une cruelle cupidité s'est si bien emparée du cœur de certains que, tout en se glorifiant du nom des chrétiens, ils livrent aux sarrasins des armes, du fer, du bois de construction pour les galères1 et qu'ils leur deviennent égaux ou même supérieurs en méchanceté, leur fournissant des armes et tout ce qui est nécessaire pour combattre les chrétiens. Il en même qui, dans leur cupidité, exercent la charge de commandant et de pilote sur les galères et les bateaux pirates des sarrasins. Nous décrétons donc que de tels hommes seront retranchés de la communion de l'Église et frappés d'excommunication en raison de leur iniquité, qu'ils seront punis de la privation de leurs biens par les princes séculiers catholiques et les magistrats des villes, qu'ils seront les esclaves de ceux qui les prennent, s'ils viennent à être pris. Nous ordonnons que, dans les églises des villes maritimes soit proclamée contre eux une excommunication solennelle et répétée. Sont aussi frappés de la peine d'excommunication ceux qui osent capturer ou dépouiller de leurs biens les Romains ou les autres chrétiens qui naviguent pour leur affaires ou pour d'autres motifs honnêtes. Ceux qui, par une cupidité condamnable, osent dépouiller de leurs biens les chrétiens victimes d'un naufrage auxquels ils sont tenus de porter secours conformément à la règle de la foi, sauront qu'ils sont frappés d'excommunication s'ils ne rendent pas ce qu'ils ont pris.
1 . Galearum peut être traduit par le mot haume, comme ce fut le cas ailleurs, mais dans le latin médiéval, le mot galea fut aussi employé pour désigner les galères. La seconde acception semble plus appropriée dans ce contexte.
G. Alberigo, et al., ed, Les conciles Œcuméniques: Les Décrits, vol. 1 (Paris, 1994), 202 avec modifications de L. Foschia
Il s'agit d'un des deux canons concernant les musulmans émis par le troisième concile de Latran (1179). Il déclare que les chrétiens qui vendent des armes aux Sarrasins ou qui commandent ou pilotent les galères de ceux-ci ou des navires pirates doivent être excommuniés, dépouillés de leurs propriétés, et réduits en esclaves s’ils sont capturés. Il excommunie également les chrétiens qui volent les biens des Romains ou des autres chrétiens alors qu’ils les transportent à bord de leurs navires, ainsi que ceux qui pillent les naufragés chrétiens. Il convient de noter que ce canon fut émis peu de temps après la tentative de Saladin d’envahir Jérusalem en 1177 et en pleine compagne chrétienne contre les petits royaumes musulmans des taïfas en péninsule ibérique. En outre, bien que n'étant pas bien documentée, la piraterie et les corsaires étaient apparemment omniprésents dans le bassin méditerranéen.
Bien que les actes du concile soient perdus, les canons de Latran III furent largement diffusés et fréquemment copiés dans les collections de canons datant du XIIe et du XIIIe siècles, y compris dans les Décrétales de Grégoire IX, où les canons ont été répartis entre la partie V, 6, c. 6, consacrée aux canons concernant les Sarrasins et V, 17, c. 3, partie contenant les canons qui interdisent aux chrétiens de commettre des actes de piraterie contre d’autres chrétiens en haute mer. Ce canon fut également repris par Alphonse X dans le Siete partidas (IV, 21, 4) ainsi que dans les assises de Jérusalem (c. 47). Le premier et le second concile de Lyon, tenus respectivement en 1245 et 1247, ont instauré des interdictions similaires contre la vente d’armes aux musulmans qui prenaient part aux Croisades. Le canon 24 suggère qu’en dépit, ou peut-être en raison, du conflit armé persistant entre chrétiens et musulmans, en Péninsule ibérique et en Palestine, les chrétiens continuèrent à commercer avec les musulmans, et que ce commerce incluait aussi les armes. Il évoque également la propension des chrétiens à combattre avec et pour les musulmans contre d’autres chrétiens, en l’occurrence, sur les navires musulmans aux côtés des pirates ou corsaires qui formaient le plus souvent une marine fonctionnelle au service de celui qui les employait.
commerce ; navires ; piraterie
Laurence Foschia : traduction
Notice n°1096, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait1096/.