Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Le témoignage entre catholiques et non-catholiques
Item de eodem, qui posset testimonium facere et qui non. Bien saches que cil avient que un Franc veille porter garentie contre un Surien, il ne le peut faire, ni ne le deit la cort reseivre, par dreit. Ne se un Surien veut porter guarentie contre I Franc, il nen deit estre creus de nule chose, par dreit. Mais cil avient que aucun Surien ou Jacobin ou Grifon ou Nestorin ou daucune autre lei faiseient aucune recounoissauce devant le vesconte ou devant les iures: de ce pueent bien porter guarentie les Frans, puis quil sont iures, et contre Surien et contre le Sarasin et contre tous autres leis. Et bien saches que nule feme ne peut porter garentie en cort contre nul houme de nule chose. Mulier enim nec pro uiro nec contrariurum1 testimonium ferre potest.
E.Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 156.
Du même, qui peut témoigner contre qui, et qui ne peut pas. Sachez bien que s'il arrive qu’un Franc veuille témoigner contre un Syrien, il ne peut pas le faire et la cour ne doit pas le recevoir, selon le droit. Si un Syrien veut témoigner contre un Franc, la cour ne doit le croire en aucune façon, selon le droit. Mais s'il se passe qu'un Syrien ou un jacobite ou un Grec ou un nestorien ou n'importe qui d'une autre foi témoigne devant le vicomte ou devant les jurés, les Francs peuvent bien témoigner dans ces cas, puisqu'ils sont les jurés, contre les Syriens et contre les sarrasins et contre toutes les autres fois. Et sachez bien qu'aucune femme ne peut témoigner devant la cour contre aucun homme en aucun cas. Car une femme ne peut pas témoigner ni en faveur d'un homme ni contre lui.
A. Bishop
Cette assise répète les enseignements des chapitres précédents qui expliquent qu'une personne ne peut pas témoigner contre quelqu’un d’une autre religion. Cependant, elle note que si une transaction (sans doute à propos d'une dette ou d'un héritage) a été faite devant la cour, alors la cour elle-même est un témoin ; et puisque les jurés de la cour des bourgeois étaient toujours francs (c'est-à-dire catholiques), en cette occasion les Francs pouvaient témoigner contre des personnes d'une autre religion. L'assise note en plus qu'une femme ne peut jamais témoigner contre un homme, indépendamment de sa religion.
Cette assise montre que tous les non-catholiques qui habitaient dans le royaume de Jérusalem étaient considérés comme faisant partie d'une seule classe sociale, quelle que soit leur religion ; ils étaient tous ensemble inférieurs du point de vue social aux Francs catholiques, c'est-à-dire aux croisés ou aux descendants des croisés d'Europe occidentale. À la cour des bourgeois, les non-catholiques pouvaient louer une propriété et prêter de l'argent, et, pourvu qu'ils eussent des témoins, ils pouvaient récupérer leur argent auprès de leur débiteur. Si la transaction avait été faite devant la cour, la cour elle-même servait de témoin. Ainsi, les jurés francs qui servaient à la cour pouvaient servir exceptionnellement de témoins contre des personnes d'autres religions. Normalement, personne, pas même les Francs, ne pouvait témoigner contre les fidèles d'autres religions devant la cour des bourgeois.1 Dans la cour des bourgeois, les non-catholiques ne pouvaient pas servir de jurés bien que, selon le chapitre 236, aussi bien les Francs que les chrétiens orientaux servissent de jurés à la cour du Marché, une des cours subordonnée à la cour des bourgeois. Les musulmans et les juifs ne servaient jamais de jurés à la cour des Francs.
1 . M.Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 255-258.
Laurence Foschia : relecture
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°136599, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136599/.