Sicut Judaeis
Protection pontificale accordée aux juifs contre les conversions forcées et autres types de violences contre leur personne et leurs biens
Sicut Judaeis non debet esse licentia, ultra quam permissum est lege in synagogis suis praesumere, ita in eis, quae concessa sunt, nullum debent praejudicium sustinere. Nos ergo, cum in sua magis velint duritia permanere, quam prophetarum verba arcana cognoscere atque Christianae fidei et salutis notitiam habere, quia tamen defensionem et auxilium nostrum postulant, ex Christianae pietatis mansuetudine praedecessorum nostrorum felicis memoriae Callisti et Eugenii Romanorum pontificum vestigiis inhaerentes, ipsorum petitiones admittimus eisque protectionis nostrae clypeum indulgemus. Statuimus enim, ut nullus Christianus invitos vel nolentes eos ad baptismum venire compellat, sed, si eorum quilibet ad Christianos fidei causa confugerit, postquam voluntas ejus fuerit patefacta, Christianus absque calumnia efficiatur. Veram quippe Christianitatis fidem habere non creditur, qui ad Christianorum baptismum non spontaneus, sed invitus cognoscitur pervenire. Nullus etiam Christianus eorum quemlibet sine judicio potestatis terrenae vulnerare vel occidere vel suas eis pecunias auferre praesumat aut bonas, quas hactenus in ea, quam prius habitabant regione habuerunt, consuetudines immutare. Praesertim in festivitatum suarum celebratione quisquam fustibus vel lapidibus eos nullatenus perturbet nec aliquis ab eis coacta servitia exigat, nisi ea, quae ipsi praefato tempore facere consueverunt. Ad haec, malorum hominum pravitati et nequitiae obviantes, decernimus, ut nemo coemeterium Judaeorum mutilare vel invidare audeat, sive obtentu pecuniae corpora humana effodere. Si quis autem, hujus decreti tenore agnito, quod absit, temere contraire praesumpserit, honoris et officii sui periculum patiatur aut excommunicationis sententia plectatur, nisi praesumptionem suam digna satisfactione correxerit.
The Apostolic See and the Jews, vol. 1, Documents: 492-1404, S. Simonsohn, ed., (Toronto, 1988), 51.
De même qu’il ne doit pas être permis aux juifs d’oser, dans les synagogues, outrepasser ce qui est permis par la loi, de même ne doivent-ils souffrir aucun tort dans ce qui leur a été concédé. C’est pourquoi, même s’ils préfèrent demeurer dans leur raideur plutôt que de comprendre les paroles cachées des prophètes et reconnaître la foi chrétienne et le Salut, parce que néanmoins ils demandent Notre défense et aide, attachés à la bonté de la piété chrétienne de Nos prédécesseurs d’heureuse mémoire, les pontifes romains Calixte et Eugène, Nous acceptons leurs pétitions et leur accordons le bouclier de Notre protection. Nous décidons donc qu’aucun chrétien ne les force à venir au baptême contre leur gré et leur volonté. Mais celui d’entre eux qui fuira vers les chrétiens pour cause de foi, après que sa volonté aura clairement été établie, qu’il soit fait chrétien sans aucune calomnie. On ne doit pas croire qu’il y a de vraie foi chrétienne pour celui qui n’est pas venu spontanément au baptême des chrétiens, mais dont il est connu qu’il y est arrivé contre son gré. Qu’aucun chrétien n’ose les blesser, les tuer, ou leur prendre aucun argent sans que cela résultât du jugement d’un magistrat des lieux, ou modifier les coutumes qu’ils avaient dans la région dans laquelle ils vivaient auparavant. Évidemment, que personne ne les bouscule avec des bâtons ou des pierres pendant la célébration de leurs fêtes, ni n’exige d’eux aucun service forcé si ce n’est ceux qu’ils effectuent habituellement depuis les temps passés. A ce propos, Nous opposant à la dépravation et à la débauche des mauvaises gens, Nous décidons que personne n’ose dégrader ou accaparer le cimetière des juifs ou exhumer des corps humains pour obtenir de l’argent. Mais si quelqu’un, ayant compris le sens de ce décret, osait, ce qu’à Dieu ne plaise, aller à son encontre, il souffrirait la perte de ses honneurs et offices ou serait frappé d’une sentence d’excommunication s’il ne corrigeait pas son comportement de manière digne et satisfaisante.
C. Nemo-Pekelman
La bulle Sicut Iudaeis est la décrétale pontificale classique de protection des juifs de la chrétienté latine. Il semblerait que son premier auteur ait été le pape Calixte II (1119-1124) au début des années 1120. La bulle Sicut Iudaeis décrète que les juifs doivent bénéficier d'une protection spéciale dans la société chrétienne. La lettre de Calixte ne nous est pas parvenue ni celle de son successeur Eugène III (1145-1153), les deux textes ne nous étant connus que par l'allusion qu'en fait la décrétale d'Alexandre III. Cette bulle interdit aux chrétiens de forcer les juifs à la conversion. Elle interdit aussi aux chrétiens d'attaquer les juifs ou de leur dérober leur argent, de perturber le déroulement des festivités juives, de leur extorquer des services indus et de profaner leurs cimetières en y volant de l'argent. Ceux qui contreviennent à ce décret encourent la perte de leur fonction et/ou l'excommunication. Certains historiens, dont Solomon Grayzel, estiment que cette bulle réagit aux violences perpétrées pendant la Première Croisade, pendant laquelle des juifs avaient été tués pour avoir refusé le baptême.
La bulle Sicut Iudaeis constitue, à plusieurs égards, la quintessence de la politique pontificale à l'endroit des juifs, décidant leur protection mais leur imposant un statut d'infériorité. Elle fut régulièrement réitérée tout le long du Moyen Age et incorporée dans les Décrétales de Grégoire IX (V, 6, 9).
conversion forcée ; fête ; violence
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Adam Bishop : traduction
Notice n°103877, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait103877/.