Code Théodosien
Peine du bûcher contre ceux qui molestent les juifs convertis au christianisme et incrimination de la conversion au judaïsme
Imp. Constantinus A. ad Evagrium. Iudaeis et maioribus eorum et patriarchis uolumus intimari, quod, si quis post hanc legem aliquem, qui eorum feralem fugerit sectam et ad Dei cultum respexerit, saxis aut alio furoris genere, quod nunc fieri cognouimus, ausus fuerit adtemptare, mox flammis dedendus est et cum omnibus suis participibus concremandus. Si quis uero ex populo ad eorum nefariam sectam accesserit et conciliabulis eorum se adplicauerit, cum ipsis poenas meritas sustinebit. Dat. xv kal. nou. Murgillo Constantino A. IIII et Licinio IIII conss.
T.Mommsen & P. Meyer, eds., Theodosiani libri 16 cum Constitutionibus Sirmondianis et Leges Novellae ad Theodosianum pertinentes (Berlin, 1905), 887.
L'empereur Constantin Auguste à Evagre Nous voulons qu'il soit intimé aux juifs, à leurs anciens et à leurs patriarches que, si après cette loi, l'un d'eux avait attaqué à coups de pierres ou de quelqu'autre manière cruelle un homme qui avait fui leur secte funeste pour se tourner vers le culte de Dieu - ce qui, avons-nous appris, a été commis récemment -, il devra être aussitôt livré aux flammes et brûlé vif avec tous ceux qui ont participé à son crime. D'autre part, si quelqu'un du peuple se joint à leur secte impie et participe à leurs groupements séditieux, il supportera, avec eux, les châtiments mérités. Donné le 15 des calendes de novembre à Murgillum, sous le 4e consulat des Augustes Constantin et Licinius.
Les Lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II, 312-438, Volume I :. Code théodosien, Livre XVI. Réedition du texte de T. Mommsen, avec traduction française de Jean Rougé et notes de Roland Delmaire. Sources chrétiennes 497 (Paris, 2005), 369.
Le premier paragraphe de la loi institue la peine capitale par crémation pour qui tue ou tente de tuer un juif au prétexte qu’il se serait converti au christianisme. On ne connaît pas – bien que quelques hypothèses puissent être avancées1 – les circonstances exactes de l’affaire à l’origine de la réaction impériale. Le juif converti a-t-il été lapidé – on ne sait pas si la mort s’en est suivie – en exécution d’un jugement émis par un tribunal juif2, ou a-t-il été lynché par une foule anarchique ? La réponse est indifférente pour le pouvoir romain, qui proscrivait depuis le Haut-Empire le prononcé de sentences de mort par les tribunaux pérégrins, et qui assimilait ces mises à mort à des homicides, passibles, comme tels, de la peine capitale. La nouveauté du texte paraît résider dans l’institution du bûcher contre les meurtriers de convertis, une mise à mort infamante destinée à souligner le caractère particulier du crime. La peine du bûcher est d’ailleurs prévue dans plusieurs lois qui se placent entre 320 et 329. Sont ici mentionnés, pour la première fois dans la législation, les "patriarches juifs". La signification de "petits patriarches"3, c'est-à-dire chefs des communautés juives de la diaspora4 a été critiquée mais pas de façon convaincante. Ce titre est conservé dans le CJ alors que le "grand patriarche" a disparu depuis un siècle. Amnon Linder 5pense que le pluriel indique le patriarche et sa maison à Tibérias. On les appelait aussi "primates/exarchi/nassi (en hébreu)". Les "maiores" (cf. CTh XVI.8.23 et 9.3) doivent être les membres qui dirigent le conseil des Anciens ("seniores") des communautés juives. Le second paragraphe – à partir de "si quis" paraît viser le prosélytisme juif. Pour les hommes acquis au judaïsme, les autorités religieuses juives exigeaient la circoncision et, pour les femmes, un bain rituel. Or, des demi-prosélytes manifestaient leur sympathie pour la religion juive sans passer par ces rituels. La question de savoir s'il y eut prosélytisme de l'époque fait débat : voir G. Israël et Ed. Will contre M. Simon.
1 . Cf. G. De Bonfils, 2011, 21-24
2 . Ce châtiment est mentionné dans la Bible mais rarement appliqué à l’époque talmudique. Deut. 13, 7-10 et 17, 2-5 ; Lév. 24, 14-16 ; Ac 7, 57-58.
3 . Cf. J. Juster, I, 402-405
4 . Cf. Godefroy-Frohne, p. 95-103
5 . A. Linder, 1987, 203
Le caractère extrêmement vindicatif de la loi, tant dans le contenu que dans le ton, étonne de la part de Constantin. Il tranche avec l’esprit de l’édit de Milan de 313 en ce qu'il interdit aux juifs de faire des prosélytes. Ce constat amène Giovanni De Bonfils à faire l’hypothèse que le second paragraphe - à, partir de "si quis" - a été ajouté par les compilateurs du Code Théodosien. En effet, rien n’indique que le "eorum" et le "ipsis" se référaient, dans le texte d’origine, aux juifs1. Dans cette hypothèse, il faudrait aller rechercher dans des lois ultérieures l’institution du "délit de [conversion au] judaïsme" dont parlait Jean Juster. Le Code Justinien n'a retenu que le premier paragraphe de la constitution, jusque "concremandus" (CJ, 1.9.3), ce qui vient renforcer l'hypothèse de G. De Bonfils. Les lois CTh 16.8.6 et 16.9.2 sont peut-être extraites de la même constitution.
1 . G. De Bonfils, 2011, 25-26
apostasie ; conversion ; conversion au christianisme ; conversion au judaïsme
Jessie Sherwood : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : collaborateur pour le commentaire
Notice n°87471, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait87471/.