Alaric
Bréviaire d'Alaric
Reconnaissance d'une juridiction juive compétente, sauf en matière pénale, pour trancher les litiges entre parties juives uniquement
constitution et interprétation
Impp. Arcadius et Honorius AA. ad Eutychianum p(raefectum) p(raetori)o.
Iudæi Romano et communi iure viventes in his causis, quæ non tam ad superstitionem eorum, quam ad forum et leges ac iura pertinent, adeant sollemni more iudicia omnesque romanis legibus inferant et excipiant actiones ; postremo sub legibus nostris sint. Sane si qui per compromissum, ad similitudinem arbitrorum apud iudæos vel patriarchas ex consensu partium, in civili dumtaxat negotio, putaverint litigandum, sortiri eorum iudicium iure publico non vetentur ; eorum etiam sententias provinciarum iudices exequantur, tamquam ex sententia cognitoris arbitri fuerint adtributi.
dat. III non. feb. Constant(ino)p(oli) Honor(io) a. IIII et Eutychiano v. c. conss.
Interpretatio.
Iudaei omnes, qui Romani esse noscuntur, hoc solum apud religionis suae maiores agant, quod ad religionis eorum pertinet disciplinam, ita ut inter se, quae sunt Hebraeis legibus statuta, custodiant. Alia vero negotia, quae nostris legibus continentur et ad forum rescipiunt, apud iudicem provinciae eo quo omnes iure confligant.
Sane si apud maiores legis suae consentientes ambae partes, de solo tamen civili negotio audiri voluerint, quod interveniente compromisso arbitrali iudicio terminatur, tale sit, quasi ex praecepto iudicis fuerit definitum.
G. Haenel, Lex Romana Visigothorum (Leipzig, 1849), 34.
Les deux Augustes Arcadius et Honorius à Eutychianus, préfet du prétoire.
Les juifs, qui vivent en Romains et selon le droit commun, doivent s’adresser aux tribunaux de la façon régulière, non pour les causes qui appartiennent à leur superstition, mais pour celles qui relèvent des procès, des lois et du droit, et tous doivent engager des actions et se défendre suivant les lois romaines ; bref, ils doivent être soumis à nos lois. Si certains jugent bon de porter leurs litiges, pourvu qu’il s’agisse d’affaires civiles, devant des juifs ou des patriarches comme à des arbitres, par compromis et avec l’accord des parties, qu’il ne soit pas interdit d’accepter le verdict de ceux-ci selon le droit de la Respublica ; les gouverneurs des provinces feront exécuter leurs sentences comme si les arbitres avaient été affectés par sentence d’un juge.
Donné le 3e jour avant les nonnes de février à Constantinople pendant le quatrième consulat d'Honorius Auguste et celui d'Eutychianus.
Interprétation.
Les juifs, dont il est connu qu’ils sont romains, ne doivent plaider devant les chefs de leur religion que ce qui relève de leur discipline religieuse, de sorte qu'ils puissent observer entre eux ce qui a été établi par leurs lois hébraïques. Mais les autres affaires, qui relèvent de nos lois et sont du ressort de notre tribunal, doivent être tranchées devant le juge de province selon le droit de tous les autres. Evidemment, si, avec leurs consentements réciproques, les parties voulaient être entendues devant les chefs de leur loi, s’agissant cependant uniquement de matières civiles, qu'après réalisation d’un compromis l’affaire soit réglée par le verdict d’un arbitre comme si elle avait été tranchée par un juge.
C. Nemo-Pekelman
Ce texte est composite. Il comporte d'abord une constitution de l'empereur d'Orient Arcadius édictée le 3 février 398 (CTh. 1.2.10). Cette loi est passée au Bréviaire à l'issue d'une très stricte sélection, ce qui signifie qu'elle présentait un intérêt pratique immédiat plaidant en faveur de l’existence d’institutions juridiques juives dans l'Aquitaine du début du VIe siècle. Le second élément du texte est l'interprétation qui, contrairement à l'ancienne loi d'Arcadius, reflète l'état du droit à l'époque d'Alaric. Or cette interprétation trahit un état d'esprit très différent du modèle. Elle semble prendre acte de l’existence des tribunaux juifs et de la nécessité que les juifs "puissent observer ce qui a été établi par leurs lois hébraïques". Elle tente aussi de délimiter leurs champs de compétence en introduisant un critère de compétence rationae personae : les juifs sont justiciables des tribunaux juifs auquel on reconnaît les pouvoirs d’une véritable juridiction. Ils ont aussi la possibilité d’avoir recours à leurs chefs comme à de simples arbitres, la loi leur garantissant que les sentences arbitrales pourront être exequaturées. On comprend entre les lignes qu’il n’est pas possible d’attraire des non-juifs devant les cours juives, judiciaire ou arbitrale. Ceci est confirmé par une autre loi romaine retenue par le Bréviaire, la novelle III de Théodose II qui précise que les juifs ne ne peuvent ni juger ni condamner des chrétiens. Ainsi et contrairement à l'empereur Arcadius, les auteurs du Bréviaire étaient disposés à reconnaître les cours juives comme de véritables juridictions appliquant leur propre système normatif.
L'interprétation s'est elle-même trouvée résumée dans les épitomés du Bréviaire d'Alaric réalisés dans la Gaule du VIIIe siècle et dans la Lex Romana Raetica Curiensis. Notons que la constitution d'Arcadius, à une époque contemporaine, a été reprise dans le Code Justinien (533) et modifiée dans un sens différent de celui du texte occidental.
conflit de lois ; droit juif ; Juifs/Judaïsme ; juridiction ; privilège ; procédure judiciaire
Adam Bishop : traduction
Notice n°70987, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait70987/.