./.
Si vera sunt
Le pape ordonne de saisir tous les livres juifs dans le royaume de France.
Gregorius episcopus servus servorum Dei venerabilis fratribus archiepiscopis per regnum Francie constitutis, ad quos iste littere pervenerint, salutem et apostolicam benedictionem. Si vera sunt, que de judeis in regno Francie, et aliis provinciis commorantibus asserentur, nulla de ipsis esset poena sufficiens, sive digna ; ipsi enim sicut accepimus, lege veteri, quam Dominus per Moysem in scriptis edidit, non contenti, immo penitus pretermittentes eadem, affirmant legem aliam, que Talmut, id est doctrina, dicitur, dominum edidisse ac verbo Moysi traditam; et insertam eorum mentibus mentiuntur tamdiu sine scriptis servatam, donec quidam venerunt, quos sapientes, et scribas appellant, qui eam, ne per oblivionem a mentibus hominum laberetur, in scripturam, cuius volumen in immensum excedit textum Biblie, redegerunt; in qua tot abusiones, et nefaria continentur, quod pudori referentibus, et audientibus sunt horrori. Cum igitur hec dicatur esse causa precipua, que judeos in sua tenet perfidia obstinatos, fraternitatem vestram monendam, duximus, et hortandam, per apostolica vobis scripta precipiendo mandantes, quatenus primo sabbato quadragesime proximo venture, mane, quando judei in synagogis conveniunt, universos libros judeorum vestre provincie actoritate nostra capi, et apud fratres Predicatores, vel Minores faciatis fideliter conservari; invocato ad hoc, si necesse fuerit, auxilio brachii secularis; nihilhominus in omnes tam clericos, quam laicos vestre jurisdictioni subjectos, qui libros ebraico, si quos habent, per vos generaliter in ecclesiis, vel specialiter moniti noluerunt assignare, excommunications sententie promulgando. Datum Laterani V Id. Jun. anno tertiodecimo.
S. Grayzel, The church and the Jews in the XIIIth Century I, (Philadelphia 1933), pp. 240-242, n. 96.
Grégoire évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, aux révérends frères archevêques dans le royaume de France, auxquels ces lettres sont parvenues, salut et bénédiction apostolique. Si ce qu’on dit sur les juifs qui habitent en France et dans autres provinces est vrai, il n’y aura pour cela de punition suffisante, ou adéquate ; ils, en effet, comme nous l’avons entendu, non contents de la loi ancienne que le Seigneur a donné à Moïse par écrit, l’ignorent presque complètement et affirment que le Seigneur a révélé une autre loi, qui est nommé Talmud, c’est-à-dire « enseignement », transmise à Moïse de vive voix ; et allèguent faussement qu’elle a été implantée dans leur esprits et y est préservée, non écrite, jusqu’au moment où sont arrivés des hommes, qu’ils appellent « savants » ou « scribes », qui, afin qu’elle ne disparut pas par manque de mémoire des esprits des hommes, l’ont mise par écrit, et le volume [de cette loi] – où sont contenus tellement d’abus et de fautes incommensurables qui suscitent honte à ceux qui les mentionnent et horreur à ceux qui l'entendent – dépasse le texte de la Bible en longueur. Donc, car cela est dit être la cause principale pour laquelle les juifs demeurent obstinés dans leur perfidie, nous pensons que vôtre fraternité doit être avertie et invitée et, par le biais des lettres apostoliques, nous ordonnons que le prochain premier Sabbat de Carême, au matin, quand les juifs se rassemblent dans les synagogues, vous fassiez saisir, par notre ordre, tous les livres des juifs de votre province et vous les fassiez attentivement garder par les frères Prêcheurs ou Mineurs ; en demandant pour cela, si nécessaire, l’aide du bras séculier ; [et] en promulguant une sentence d’excommunication contre quiconque, clerc ou laïc, soumis à votre juridiction qui ne voudra pas les consigner, s’il les possède, les livres juifs, malgré votre mise en garde faite individuellement ou de façon générale, dans les églises. Donné à Latran, le cinquième jour des Ides de juin, de la treizième année.
L. Fois
En 1236 Nicolas Donin, un juif converti, présenta à Grégoire IX trente-cinq accusations contre le Talmud, dont les neuf premières concernaient l’allégeance des juifs à la doctrine rabbinique et leur refus des préceptes bibliques ; une douzaine d'autres articles condamnaient le Talmud pour ses homélies absurdes et enseignements anti-chrétiens. Cependant, les accusations sur le fait que le judaïsme contemporain appréciait le Talmud bien plus que son allégeance avec la Bible semblent être le principal souci du pape et expliquer sa réaction trois ans plus tard, quand il envoya deux séries de lettres contenant des accusations contre le Talmud. La première série était adressée aux archevêques des plus importants royaumes d’Europe ; la deuxième aux rois. Dans la lettre aux archevêques (Si vera sunt) le pape leur ordonne de faire confisquer toutes les copies du Talmud dans leur diocèses, en utilisant le moyens de censure ecclésiastique. Dans les lettres aux monarques, après un bref résumé des accusations, le pape leur ordonne de commencer à confisquer directement les livres juifs, comme cela était de leur pouvoir. Grégoire IX envoya deux autres lettres moins générales : la première à l’archevêque de Paris, dans laquelle il donne les instructions pour remettre les autres lettres aux destinataires ; la deuxième adressée au même prélat et aux supérieurs des Prêcheurs et des Mineurs de Paris.
Cette bulle déclencha la procédure qui mena au procès du Talmud à Paris en 1240. Ce dernier se déroula devant un jury de magistri de l’université nommé par le pape, comprenant l’éminent chancelier Odo de Châteauroux, avec un juif converti (Nicolas Donin) chargé de présenter les accusations et de les prouver, et un groupe de rabbins du nord de la France comme témoins pour la défense. A la fin du procès, le Talmud fut reconnu coupable de certaines de ces accusations. Une année ou deux plus tard, une grande quantité de manuscrits du Talmud fut brûlée sur l’une des principales places de Paris et le roi de France interdit aux juifs de posséder et d’utiliser le Talmud.
Notice n°272601, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait272601/.
