Réponses aux questions concernant les relations entre chrétiens et Sarrasins
Les prêtres peuvent-ils célébrer la messe la nuit, en raison de "la peur des sarrasins" ?
Item, utrum liceat nobis celebrare missam ante auroram propter timorem in quo sunt isti quorum curam gerimus, et maxime in diebus paschalibus, in quibus nec aliter nobis sufficeret commode tempus ad celebrandum diuina et ad populum communicandum. Respondemus: potest aliquando fieri propter metum sarracenorum; alias non nisi in nocte Natiuitatis.
J. Tolan, ed, "Ramon de Penyafort’s Responses to questions concerning relations between Christians and Saracens: critical edition and translation", http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/12/57/PDF/Penyafort.pdf
Également, nous est-il permis de célébrer la messe avant l'aube en raison de la crainte qu'éprouvent ceux dont nous avons la responsabilité, surtout à Pâques, période durant laquelle nous n'avons pas suffisamment de temps pour célébrer les offices sacrés et donner la communion au peuple ? Nous répondons : vous pouvez le faire de temps en temps à cause de la crainte qu'inspirent les Sarrasins ; autrement non, à l'exception de la veille de Noël.
L. Foschia
Ici le prieur dominicain et le ministre franciscain résidant à Tunis demandent au pape s’il est possible de célébrer la messe avant l’aube « du fait de la peur » éprouvée par certains chrétiens. En d’autres termes, certains chrétiens de Tunis craignent de pratiquer ouvertement leur religion, et souhaitent le faire lors de clandestins services nocturnes. Cependant, les frères manquent également clairement de personnel suffisant pour répondre aux besoins de la communauté chrétienne de Tunis, particuliers pendant les grandes fêtes comme Pâques, quand il leur serait commode de célébrer la messe la nuit. Grégoire et Raymond répondent que oui, une messe avant l’aube peut être célébrée du fait de « la peur des sarrasins », mais pas sinon, à l’exception de la messe de minuit de Noël (et pas à Pâques).
Qui sont ces chrétiens craintifs ? Certainement pas des marchands italiens ou des mercenaires catalans, pour qui les fondouks comportaient généralement des chapelles et dont les droits religieux étaient en général assurés par l’Émir – souvent garantis par des traités écrits. Il pourrait s’agir de gens qui n'ont de musulman que de nom, c.a.d. des chrétiens qui se sont convertis à l’Islam mais qui continuent à se considérer comme chrétiens. Il pourrait s’agir de personnes à charge ou d’esclaves des musulmans, qui se sont convertis pour améliorer leur sort. Pour ces gens, retourner ouvertement au christianisme serait un témoignage d’apostasie, punissable en théorie de mort. Ce passage suggère que la conversion (ou l’apostasie) n’était ni simple, ni un processus définitif, et que certaines personnes se définissaient de façon ambiguë comme chrétiens dans certaines circonstances, et comme musulmans dans d’autres.
Laurence Foschia : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252844, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252844/.