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Responsiones ad dubitabilia circa communicationem christianorum cum sarracenis[10]

Auteur

Raymundus de Peñafort

Gregorius IX

Titre en français

Réponses aux questions concernant les relations entre chrétiens et Sarrasins

Titre descriptif

Les chrétiens peuvent-ils fréquenter des proches apostats ?

Type de texte

Avis de juriste

Texte

Item, sunt quidam qui fuerunt christiani et postmodum facti sunt sarraceni. Alii in minori etate, alii iam adulti: alii ex ipsis sunt liberi, alii captiui. Cum omnes errent contra articulos fidei negantes christum esse deum et dei filium, negantes etiam incarnationem ipsius et passionem, querimus si cum talibus possint communicare patres uel matres eorum, uel huius coniuncte persone uel quilibet alius indifferenter, et cum illis maxime quia facti sunt sarraceni ignorantes articulos fidei, uel quia fuerunt ab infantia captiuati uel alias quacumque neglegentia mediante cum predicte persone uix uideatur nobis quod possint abstinere commode a communione predictorum, tum propter carnalitatem qua eos diligunt utpote filios, tunc quia recipiunt ab eis uictualia. Respondemus: possunt ei communicare causa correctionis uel necessitatis et recipere ab eis uictualia in necessitate et maxime parentes uel alie coniuncte persone.

Langue

Latin

Source du texte original

http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/12/57/PDF/Penyafort.pdf

Datation

  • Date fixe : 19/01/1235

Aire géographique

Traduction française

Également, il y a des gens qui jadis étaient chrétiens et qui sont ensuite devenus païens, certains lorsqu'ils étaient mineurs, d'autres à l'âge adulte ; certains d'entre eux sont libres, d'autres prisonniers. Comme tous pèchent contre les articles de la foi, niant que Christ est Dieu et Fils de Dieu, puisqu'ils nient son Incarnation et sa Passion, nous demandons si les pères, mères ou autres parents de ces gens ou d'autres personnes peuvent entrer en contact avec eux. Beaucoup d'entre eux, lorsqu'ils se sont convertis, ignoraient les articles de la foi ; certains furent faits prisonniers dans leur prime enfance ; d'autres se sont convertis pour ainsi dire par négligence. À ce qu'il nous semble, ils ne sauraient éviter de fréquenter les personnes mentionnées ci-dessus, soit parce qu'ils les aiment en raison de liens familiaux, comme lorsqu'il s'agit de leurs enfants, ou parce celles-ci leur fournissent de la nourriture. Nous répondons : ils peuvent entrer en contact avec eux, soit pour les corriger ou par nécessité, et peuvent recevoir d'eux de la nourriture lorsqu'ils sont dans le besoin, surtout quand il s'agit de leurs parents ou de personnes ayant un lien avec eux.

Source traduction française

L. Foschia

Résumé et contexte

C’est l’une des questions que le ministre franciscain et le prieur dominicain résidant à Tunis ont posées au pape Grégoire IX. Cette question concerne ceux qui étaient chrétiens et qui se sont ensuite convertis à l’islam. Certains furent convertis dans leur jeunesse, d’autres à l’âge adulte ; certains sont esclaves, d’autres libres : la plupart d’entre eux se sont convertis, d’après les frères, surtout parce qu’ils étaient ignorants des articles de la foi. Pareille apostasie, dans l’Europe chrétienne, est illégale – un crime potentiellement capital. Bien sûr, cependant, dans la Tunis musulmane, il n’est pas question de les punir, parce qu’ils sont hors de la portée des princes chrétiens et de plus des sanctions spirituelles comme l’excommunication (parce qu’ils se sont volontairement éloignés de la communion de l’Église, selon le Decretum de Gratien,)1. La préoccupation est ici celle des proches qui sont demeurés chrétiens. Peuvent-ils, doivent-ils continuer à fréquenter leurs proches qui ont apostasié ? La question n’est pas simple, aux yeux des frères, parce qu’une fréquentation continue pouvait mener plus de chrétiens à se convertir à l’islam ; d’un autre côté, interdire aux chrétiens de voir leurs proches et leurs amis qui ont apostasié ne leur imposeraient pas seulement une souffrance excessive, cela pouvait également les amener finalement à se convertir.

1 . C 24 q 1 c4-5. Pour une analyse de C24 et des références à une nouvelle édition critique, voir A. Winroth, The Making of Gratian’s Decretum (Cambridge, 2000), chap 2, “Heresy and Excommunication: Causa 24,” pp. 50-92.

Signification historique

Selon le droit canon, les chrétiens devaient fuir la compagnie des hérétiques1. Des exceptions sont autorisées pour ceux qui cherchent à les ramener dans le giron catholique. Les frères ont réalisé que s’ils essaient d’interdire aux chrétiens de Tunis de garder le contact avec leurs proches qui sont musulmans, ils n’auront que peu de chance d’y parvenir, et parviendront plus facilement à les pousser à apostasier également. « À ce qu'il nous semble, ils ne sauraient éviter de fréquenter les personnes mentionnées ci-dessus, soit parce qu'ils les aiment en raison de liens familiaux, comme lorsqu'il s'agit de leurs enfants, ou parce celles-ci leur fournissent de la nourriture ». Le pape répond qu’ils peuvent fréquenter ces musulmans causa correctionis vel necessitatis – en d’autres termes, que ce soit pour les ramener dans le giron chrétien ou pour des nécessités matérielles. Cela montre que Raymond et Grégoire sont prêts à rechercher des bases légales pour infléchir les lois de manière à permettre à ces chrétiens de fréquenter des personnes qu’ils ne devraient normalement pas fréquenter. Comme ailleurs dans les Responsiones, les perspectives sont avant tout pratiques : ils recherchent la manière la plus efficace de promouvoir les intérêts de l’Église et de la foi à Tunis et peuvent au besoin trouver des principes légaux pour justifier leur attitude pragmatique. En appliquant la législation de Gratien concernant les hérétiques aux musulmans, Raymond et Grégoire placent l’islam – d’un point de vue pratique et légal – dans la catégorie de l’hérésie. Cela est en lien avec beaucoup de réflexions théologiques contemporaines sur l’islam, particulièrement les travaux des polémistes de la chrétienté latine contre l’islam au XIIème et au XIIIème siècles. 2

1 . “Hereticorum consortia a catholicis sunt fugienda” C 24 q1 c2

2 . Voir John Tolan, Les Sarrasins: l’Islam dans l’imaginaire européen au Moyen Âge (Paris, 2003).

Liens

Manuscrits

  • Il existe 7 manuscrits du Dubitabilia; pour les descriptions, voir Tolan, ed., p. 10-11.

Editions

  • F. Balme, C. Paban & I. Collomb, Raymundiana seu documenta quae pertinent ad S. Raymundi de Pennaforti vitam et scripta, Monumenta Ordinis Praedicatorum Historica 4 (Rome, 1898), p. 29-37.
  • X. Ochoa & A. Diaz, eds., Dubitabilia super communicationem Christianorum cum Sarracenis, in Universa bibliotheca iuris, volumen 1, S. Raimundus de Pennaforte, tomus C (Rome, 1978), cols 1024-36
  • J. Rius Serra, Diplomatario : Documentos, Vida antigua, Crónicas, Procesos antiguos (Barcelona ,1954), p. 22-28.

Etudes

  • J. Tolan, “Marchands, mercenaires et captifs: le statut légal des chrétiens latin en terre d'islam selon le juriste canonique Ramon de Penyafort (XIIIe s.)”, in S. Boisselier, F, Clément & J. Tolan, eds., Minorités et régulations sociales en Méditerranée médievale (Rennes, 2010), 223-34.
  • J. Tolan, “The legal status of religious minorities in the medieval Mediterranean world: a comparative study”, in M. Borgolte & B. Schneidmüller, eds., Hybride Kulturen im mittelalterlichen Europa: Vorträge und Workshops einter internationalen Frühlingsschule/Hybrid Cultures in Medieval Europe: Papers and Workshops of in International Spring School (Berlin, 2010), 141-49.
  • J. Tolan, “Taking Gratian to Africa: Raymond de Penyafort's legal advice to the Dominicans and Franciscans in Tunis (1234),” in A. Husain & K. Fleming, eds., A Faithful Sea: The Religious Cultures of the Mediterranean, 1200–1700 (Oxford, 2007), 47-63.

Mots-clés

apostasie ; apostasie ; commensalité

Auteur de la notice

John   Tolan

Collaborateurs de la notice

Laurence   Foschia  :  traduction

Claire   Chauvin  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°252841, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252841/.

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