Réponses aux questions concernant les relations entre chrétiens et Sarrasins
Les marchands chrétiens peuvent-ils vendre de la nourriture aux musulmans ?
Item, si sub nomine auxilii continent uictualia, ut dicitur quid est quod yspani uendunt arietes et oues et huius, pisani et ianuenses frumentum, uinum et legumina , castaneas, auellanas et huius sarracenis, dicentes talia non esse prohibita sibi a prelatis suis, et ideo in dubitationem inducimur utrum predicti omnes sint excommunicati. Respondemus: utique sunt tempore guerre huius uenditores sarracenis qui pugnant cum christianis , et hoc per primum lateranensem concilium.
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/12/57/PDF/Penyafort.pdf
Également, si par "aide", il faut entendre aussi la nourriture, que faire des Espagnols qui vendent des chèvres et des moutons, etc., ou des Pisans et de Génois qui vendent du blé, du vin, des haricots, des châtaignes, des noisettes, etc. aux Sarrasins en disant que vendre cela ne leur est pas interdit par leurs prélats, d'où l'incertitude dans laquelle nous nous trouvons : toutes les personnes mentionnées précédemment sont-elles excommuniées ? Nous répondons : ceux qui vendent cela le sont en effet [excommuniés] s'ils le font en temps de guerre et s'ils vendent ces biens aux Sarrasins qui se battent contre des chrétiens et ce, conformément au premier concile de Latran [Latran III].
L. Foschia
C'est l'une des séries de questions que le ministre franciscain et que le prieur dominicain résidant à Tunis ont posées au pape Grégoire IX concernant la légalité de différentes sortes de commerce entre les marchands chrétiens et les musulmans, dans le contexte de l'interdiction de vendre des bateaux, des armes, du bois ou du fer aux musulmans, ou d'aider les musulmans à combattre les chrétiens — une interdiction proclamée lors du concile de Latran III, canon 24, et réitérée lors de Latran IV, canon 71. Les deux conciles ont interdit "l'aide" aux sarrasins qui combattaient contre les chrétiens. Les frères demandent ici si la vente de nourriture est considérée comme relevant de "l'aide". Ils rapportent que des Espagnols (sûrement des Catalans) vendent des animaux aux musulmans et que les Pisans et les Génois leur vendent des graines variées, des noix et du vin. Ici comme ailleurs dans les Responsiones, les règles du pape sont que si ce commerce profite aux musulmans qui sont en guerre contre des chrétiens, les marchands sont excommuniés ; si les musulmans sont en paix avec les chrétiens, le commerce est licite.
Dans ce passage comme dans beaucoup d'autres des Réponses, Grégoire et Raymond établissent le principe selon lequel le commerce d'objets non-militaires en temps de paix est licite, mais leur vente en temps de guerre à des ennemis des chrétiens entraîne l'excommunication. Il est bien sûr impossible de dire dans quelle mesure ces remontrances ont été entendues, puisque clairement le ministre franciscain et le prieur dominicain ont éprouvé des difficultés à affirmer la moindre autorité sur les marchands chrétiens de Tunis. Les dispositions des Réponses semblent davantage destinées à rassurer et à guider les marchands qui spontanément viennent aux moines pour la confession et la pénitence, plutôt que de permettre aux frères de dénoncer (ou de punir) les marchands qui enfreindraient les interdictions commerciales.
Laurence Foschia : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252834, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252834/.