Est-il permis d'enseigner les livres arabes aux chrétiens?
Sur la question des musulmans enseignant l’arabe aux chrétiens et des enfants musulmans étudiant des livres non-arabes
قال ابن القاسم عن مالك: إنه كره للرجل المسلم ان يحضر ولده في كتاب العجم يتعلم كتاب العجم، وأكره للمسلم أن يُعلِّم النصراني الخط أو غيره
Abī Zayd al-Qayrawānī, Al-Nawādir wa-al-ziyādāt ‘alā al-Mudawwana min ghayrihā min al-ummahāt, ‘Abd al-Fattāḥ M. Ḥulw, ed. ( Beyrouth, 1999), vol. 8, 246.
Ibn al-Qāsim rapporte que Mālik a considéré comme réprouvable que l'enfant d'un musulman aille dans les écoles des non-arabes (al-ʿağam) [pour y] étudier leurs livres. Il a également jugé réprouvable qu'un musulman enseigne l'écriture [arabe] (al-khaṭṭ) ou autre chose à un chrétien.
A. Oulddali
Les opinions juridiques de Mālik b. Anas (m. 179/795) dans ce texte sont transmises par son élève égyptien, Ibn al-Qāsim (m. 191/806). Selon ce dernier, Mālik désapprouve la présence d’enfants musulmans dans les écoles non-arabes, en se référant aux non-musulmans dans ce contexte, et le fait qu’ils apprennent leurs livres et leur langage. De la même façon, il perçoit mal le fait que les musulmans apprennent l’arabe aux chrétiens. Le rejet de Mālik à propos des relations pédagogiques entre les musulmans et les non-musulmans est très lié à la préservation de l’intégrité de la communauté musulmane. La raison derrière cette désapprobation dans les deux cas semble d’éviter toute intimité et ressemblance entre musulmans et non-musulmans. Le raisonnement s’effectue en parallèle des restrictions sur les non-musulmans, dans l’un des plus anciens actes de cession entre des musulmans et des non-musulmans, connu sous le nom de Pacte de ‘Umar et attribué au second calife ‘Umar b. Khaṭṭāb (m. 23/644). Selon ce document, les non-musulmans ne doivent pas seulement se distinguer des musulmans dans leur apparence extérieure, mais il leur est également interdit d’adopter des kunyas (agnomen) musulmans, d’enseigner le Coran à leurs enfants, et d’avoir des inscriptions arabes sur leurs sceaux.
Après les premières conquêtes, les musulmans ont essayé de se différencier de la population des non-musulmans habitant les territoires conquis. Le statut des non-musulmans dans la société musulmane était définie selon le verset du Coran 9:29 : « Combattez ceux qui ont reçu le Livre … jusqu'à ce qu'ils versent la capitation ğizya par leurs propres mains, après s'être humiliés ». La dernière partie de ce verset était souvent interprétée comme une nécessité pour les non-musulmans de se soumettre à l’islam, même s’ils rejetaient la foi islamique, et d’avoir un statut humble parmi la société musulmane. En conséquence, les premiers califes et juristes établirent une structure hiérarchique à des endroits où musulmans et non-musulmans vivaient côte à côte. Selon cette structure, les musulmans étaient le groupe supérieur en tant que conquérants et dirigeants, et les non-musulmans étaient leurs sujets à qui on interdisait toute manifestation d’autorité. Le Pacte de ‘Umar qui est attribué au second calife ‘Umar b. Khaṭṭāb (m. 23/644) est l’un des premiers documents qui renforce la distinction hiérarchique entre musulmans et non-musulmans. Basées sur les restrictions de ce document, la présence, la tenue, l’apparence et les habitudes des non-musulmans furent régulées afin qu’elles ne semblent pas musulmanes et qu’elles aient un statut inférieur au sein de la société musulmane. Le Pacte de ‘Umar fut considéré comme un texte fondamental, concernant le statut des non-musulmans au sein de la société musulmane, par les générations suivantes. En ce qui concerne les relations pédagogiques, la restriction dans ce document concernait les non-musulmans qui enseignaient le Coran à leurs enfants. Mālik considérait beaucoup l’opinion légale de ‘Umar b. Khaṭṭāb ; et il interdit de plus aux enfants musulmans de se rendre aux écoles non-musulmanes et aux musulmans d’enseigner l’arabe aux non-musulmans. Le calife abbaside Al-Mutawakkil (m. 247/861) interdit aux enfants des non-musulmans de se rendre aux écoles musulmanes et que n’importe quel musulman leur fasse l’enseignement. Un autre juriste mālikīte d’Afrique du nord, et un plus jeune contemporain d’Abī Zayd al-Qayrawānī (m. 386/996), Abū al-Ḥasan al-Qābīsī (m. 403/1012) écrivit des textes forts contre le fait de confier des enfants musulmans à des enseignants non-musulmans et inversement. S’appuyant sur l'autorité de Mālik, il affirmait qu’il était interdit aux chrétiens et aux juifs d’enseigner leurs livres aux musulmans ou d’apprendre le Coran aux musulmans ou aux non-musulmans. De même que pour les restrictions sur l’emploi de non-musulmans dans les offices publics, les relations pédagogiques entre musulmans et non-musulmans semblent exister, et ont continué à travers l’époque médiévale, malgré les interdictions.
chrétiens ; enfants ; enseignement ; langue ; livres
Ahmed Oulddali : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252611, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252611/.