Constitutions et autres droits de Catalogne
Interdiction aux juifs d'exercer les charges de bayle, de viguier et d'assesseur
constitution et interprétation
Item ordenam estatuhim que negun jueu no pusque tenir loch de veguer ne de batlle ne esser assessor per o car gran dan sen segueix.
Constitucions de Catalunya: Incunable de 1495 (Barcelone: Generalitat de Catalunya. Departament de Justícia, 1988), fol. 18v [104]
De même nous ordonnons et statuons qu'aucun juif puisse avoir le poste de viguier, de bayle et d’assesseur, à cause du grand mal qui s'en suit.
J. X. Muntané Santiveri
Le 7 Septembre 1289 touchait à sa fin, à l'église de Santa Maria de la ville aragonaise de Montsó, la Cour Générale durant laquelle Alphonse II avait convoqué les représentants des trois états de la Principauté de Catalogne, des royaumes d'Aragon, de Majorque et de Valence. Quelques arrangements approuvés par cette Cour avaient l’intention de corriger certains aspects de l'administration qui avaient été modifiés lorsque le monarque, jeune et inexpérimenté –tel que lui-même l'avoue ouvertement, const. 36–, arriva au pouvoir.
Un nombre important des constitutions approuvées à Montsó pour le territoire de Catalogne visait à réglementer le rôle des fonctionnaires royaux dans l'administration de la justice (viguiers, bayles et autres officiers), l'accès aux postes, la rémunération, les fonctions et les limites. En outre, la reprise et le renforcement des possessions et des revenus de la couronne furent les sujets sur lesquels porta un autre groupe de constitutions ; les mesures draconiennes prises à cet effet, se retrouvèrent dans les dispositions dans lesquelles le roi confirma et se soumit aux constitutions, coutumes et privilèges approuvés par ses prédécesseurs.
Parmi les 37 constitutions promulguées par la Cour Générale de 1289, seulement une concerne la minorité juive : celle qui leur interdisait l'accès aux charges de viguier, bayle et assesseur juridique. La justification est de type générique : le « magnum dampnum » qui, selon le texte, se produisait quand un juif exerçait ces charges. Cette nécessité de justifier ainsi cette décision ne figurait dans aucune des autres constitutions de cette Cour, dans les normes conciliaires ou dans les Cours précédentes. C'est une caractéristique de ce moment, qui cherchait une portée plus générale et irrévocable de la loi promulguée. En effet, à partir de cette date les juifs furent définitivement exclus de ces charges publiques dans tous les territoires des comtes-rois catalans.
Cependant, si l'on considère que, jusqu'à ce moment-là les monarques catalans avaient confié à plusieurs juifs divers de ces postes, il est clair que le « magnum dampnum » n'avait rien à voir avec la capacité de réaliser efficacement les responsabilités inhérentes à ces fonctions, desquelles, dans le cas contraire, ils auraient été déjà révoqués sans besoin d’intervention des états. Il faut plutôt chercher l'explication, selon l’avis du juriste médiéval T. Mieres, contemporain de la traduction catalane des Constitucions, dans le vieux canon wisigothique qui dénonçait l’exercice de ces fonctions publiques par les juifs comme une plate-forme juridiquement légale à partir de laquelle ils pouvaient s’opposer et même condamner des chrétiens. 1 Cette possibilité, bien réelle, qui renversait la situation d’infériorité de la minorité juive face à la majorité chrétienne, constituait aux yeux des représentants de la société chrétienne un « magnum dampnum » qui devait prendre fin. 2
1 . Le juriste relie cette constitution à celle-là de Jacques I de 1228 et avec le canon 14 du Concile de Tolède III : « Nulla officia publica iniungantur, per quae eis occasio tribuatur poenam Christianis inferre », T, Mieres, Apparatus super constitutionibus curianum generalium Cathaloniae, Barcinonae: typis & aere Sebastiani à Cormellas, 1621, 88a.
2 . Il faut noter que T. Mieres ne fait que reproduire le canon wisigothique sans se demander si les peines que les juifs pouvaient imposer aux chrétiens étaient justes ou non : le simple fait de pouvoir les prononcer était injuste. En outre, avec la promulgation de cette constitution, la monarchie catalane fut forcée de renoncer à utiliser des juifs pour ces postes, ce qui finalement laissa l'exercice de ces fonctions exclusivement aux états du pays.
fonction publique ; fonction publique ; fonction publique ; fonction publique ; interdiction ; Juifs/Judaïsme
Josep Xavier Muntane Santiveri
Youna Masset : relecture -corrections
Adam Bishop : relecture -corrections
Notice n°252388, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252388/.