Constitutions et autres droits de la Catalogne
Interdiction d'insulter les convertis du judaisme ou du paganisme au christianisme
constitution et interprétation
Item statuhim en per tostemps e fermament sots pena peccuniaria a arbitre del iutge imposadora prohibim que a degu de iudahisme o paganisme convertit a la sancta fe catholica negu de qualque condicio sia no li gos retraura la sua condicio dient o appellant aquell renegat o transallit o semblant paraula. (fol. 1r-v [p. 67-68 RF]) [vid. Corts de Barcelona, 1064 ; Corts de Barcelona, 1311 : IX. ¿ ?. 4]
Constitucions de Catalunya: Incunable de 1495 (Barcelone: Generalitat de Catalunya. Departament de Justícia, 1988), fol. 1r-v [67-68]
De même, nous décrétons à perpétuité et interdisons fermement sous peine d'amende imposée à la discrétion du juge, qu'aucun n'ose insulter avec sa condition tout converti du judaïsme ou de paganisme à notre foi catholique, en disant ou en appelant à lui renégat ou déserteur ou un mot similaire.
J. X. Muntané Santiveri
La compilation entière des Constitucions de Catalunya du XVe siècle s’ouvre avec ce statut de Jacques I de 1243. Cette loi, la seconde du statut, se trouve, donc, sous le titre initial (De la sancta fe catholica e privilegis del sanct babtisma) du premier livre. La rubrique qui figure en tête du texte nous informe de l’autorité qui l’approuve et nous permet de saisir son contexte spécifique : « Jacme primer en la cort de leyda ». Malgré l’appellatif «cort » utilisé par l’écrivain, on se doit plutôt de parler de concile ou de parlement ecclésiastique. Celui-ci se tint dans la ville de Lérida, à l’intérieur de la Catalogne. A sa fin, on promulgua le statut mentionné ici mais qui, non seulement ne fut jamais révoqué mais, bien au contraire, pendant la Cour générale de Barcelone de 1311, fut ratifié et dès lors acquerra une valeur de constitution. Ce texte, qui est la traduction catalane médiévale du document latin, suit fidèlement la rédaction originale et il n'y a seulement que quelques variations mineures qui ne modifient pas le sens juridique. À l’index de la compilation des Constitucions de Catalunya les trois lois qui forment ce statut se trouvent sous la même épigraphe : « Que tot iueu e moro liberament se puixe fer crestia e retenir tots sos bens salva legitima als fills e prohismes apres mort sua. E que algu nols gos dir renegat transallit o semblants paraules. E que los iueus e serrahins hagen hoir les prehicacions de la sancta fe catholica ». De la même façon nous les trouvons dans le corps du texte. La différentiation que nous proposons ici est de nature thématique et elle renvoie à l’édition latine de la Real Academia de la Historia.
Tel qu'il a été indiqué pour le commentaire du texte latin de cette loi,1 ce texte voulait favoriser les conversions des infidèles au christianisme en évitant que les convers soient insultés et marginalisés socialement. Les années au cours desquelles cette version catalane fut réalisée, à Tortose, eut lieu la célèbre dispute entre théologiens chrétiens, rabbins et savants juifs qui finit par la promulgation d’une législation fortement antijuive. Cette période fut celle de conversions massives où il fut presque impossible de préserver l’esprit de cette constitution, d'autant plus que le souvenir de celles du 1391 était encore très vif dans la mémoire collective. En effet, l'idée de ce texte ne concernait pas seulement les insultes aux convertis, mais aussi leur intégration au sein de la société chrétienne avec les mêmes droits des autres. Toutefois, pendant ces décennies, le nombre de convertis fut si grand et les conditions et motifs pour lesquels ils demandèrent le baptême furent si douteux aux yeux des chrétiens et la capacité d’intégration dans ce nouveau milieu si déficient, qu’à l’intérieur de la société catalane apparu une classe séparée : celle des convertis, avec des espaces très délimités dans la ville chrétienne, avec des institutions propres (confraternités, représentants légaux, etc.) et toujours dans le point de mire de l’Inquisition. 2 De toute façon, on peut considérer cette vulnérabilité de l’esprit du statut ci-présent comme une conséquence des faits exceptionnels qui suivirent soit les avalots de 1391 soit l’acrimonieuse dispute de Tortosa (1412-1414). En effet, on constate très souvent, parmi la documentation parvenue du bas Moyen Âge, que même l’usage de mots neutres, purement descriptifs, comme « converti », « néophyte » ou « nouveau chrétien » baisse graduellement jusqu’à disparaitre à mesure que l’on s’éloigne du moment de la conversion concrète pour finir par ne rien dire de la nature même de la personne. Ainsi on ne sait pas si celle-ci est un converti ou non, parce que dans la documentation qui la mentionne ne fait pas référence à sa condition religieuse.
1 . Constituciones tercie curie Barchinone celebrate per Dominum Jacobum Regem secundum, 1 § 2.
2 . J. Hernando, « Conversos i jueus : cohesió i solidaritat. Necessitat d'una recerca », 181-212.
amende ; conversion au christianisme ; insulte ; Juifs/Judaïsme
Josep Xavier Muntane Santiveri
Youna Masset : relecture -corrections
Adam Bishop : relecture -corrections
Notice n°245434, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait245434/.