Tolède IV
Sur les juifs
De iudaeis autem hoc praecepit sancta synodus, nemini deinceps ad credendum vim inferre, cui enim vult Deus miseretur, et quam vult indurat (Rom. 9.18); non enim tales inviti salvandi sunt, sed volentes, ut integra sit forma iustitiae: sicut enim homo proprii arbitrii volumtate [sic] serpenti oboediens periit, sic vocante gratia Dei propriae mentis conversione homo quisque credendo salvatur. Ergo non vi sed liberi arbitrii facultate ut convertantur suadendi sunt non potius inpellendi. Qui autem iam pridem ad christianitatem venire coacti sunt, sicut factum est temporibus religiossimi principis Sisebuti, quia iam constat eos sacramentis divinis adsociatos et babtismi [sic] gratiam suscepisse et chrismate unctos esse et corporis Domini et sanguinis extitisse participes, oportet ut fidem etiam quam vi vel necessitate susceperunt tenere cogantur, ne nomen Domini blasphemetur, et fidem quam susceperunt vilis ac contemptibilis habeatur.
J. Vives, ed., Concilios Visigóthicos e Hispano-Romano (Barcelona and Madrid, 1963), 211.
Mais concernant les juifs, ce saint synode prescrit que l'usage de la force n'incite personne à croire. Au contraire, Dieu prend en pitié qui il veut et endurcit qui il veut (Rom. 9.18). L'homme récalcitrant ne sera pas sauvé, mais celui qui le veut le sera, puisqu'irréprochable est la nature de la justice. De même que l'homme qui obéit au serpent cause sa perte par la volonté de son propre jugement, de même tout homme, par la grâce de Dieu qui l'appelle et par la conversion de son propre esprit est sauvé par sa foi. Donc [les juifs] doivent être persuadés de se convertir par le libre usage de leur volonté plutôt que poussés par la force. Mais tous ceux qui ont déjà été forcés à se diriger vers le christianisme, comme cela se faisait à l'époque du très pieux prince Sisebut, parce qu'ils étaient déjà, c'est un fait établi, liés aux saints sacrements --- ayant reçu la grâce du baptême, été oints par le chrisme et ayant pris part au corps et au sang du Seigneur --- il convient qu'on les pousse à conserver la foi qu'ils ont reçue de force ou par nécessité de peur que le nom du Seigneur ne soit blasphémé et la foi qu'ils ont reçue considérée comme sans valeur et méprisable.
L. Foschia
C'est l'un des cinq canons émis par ce concile qui traitait des conversions forcées et des convertis relaps. À un moment entre 612 et 616, Sisebut ordonna aux juifs de l'Espagne wisigothique de se convertir au christianisme. Les juifs qui avaient été baptisés semblent être retournés peu de temps après au judaïsme. Sous l'impulsion d'Isidore de Séville, ce concile émit une série de canons concernant les juifs, les juifs baptisés et leurs enfants, dont ce canon-ci qui interdisait les conversions forcées tout en insistant sur le fait que ces baptêmes contraignaient les fidèles en question à vivre en chrétiens puisqu'ils prenaient part à la religion chrétienne et à ses rites.
Ce canon correspond à un effort, le tout premier connu, pour légitimer et renforcer les conversions forcées de juifs. Jusqu'alors, ni le droit impérial ni le droit canon n'avait interdit aux juifs baptisés de revenir au judaïsme. En effet, la législation antérieure avait permis ou exigé que les juifs convertis de force ou contre leur volonté se reconvertissent au judaïsme. Le canon 57 paraît n'avoir pas été appliqué et semble avoir été ignoré durant la plus grande partie du début du Moyen Age jusqu'à ce que Gratien l'intègre dans son Décret dans les années 1140 (D. 45, c. 5). Ensuite, ce canon acquit une nouvelle importance, entraîna des débats parmi les décrétistes sur la légitimité des baptêmes forcés. Innocent III cita ce canon en 1201 lorsqu'il décréta que ceux qui avaient été baptisés sous la contrainte étaient chrétiens et obligés de vivre comme tels, à moins qu'ils n'aient activement protesté durant la cérémonie elle-même ; ce fut là le canon fondateur de la persécution des convertis judaïsants. Comme d'autres canons relatifs aux juifs émis durant ce concile et les conciles de Tolède postérieurs, le canon 57 reflète les inquiétudes de l'Église sur la reconversion de masse des juifs baptisés. Il faut replacer ces inquiétudes dans le contexte des bouleversements religieux des VIe et VIIe siècles en Espagne. Plusieurs rois wisigoths, avec, à l'occasion, l'aide de leurs évêques, tentèrent d'imposer une uniformité religieuse plus vaste, d'abord en recommandant la conversion des Ariens au catholicisme, ensuite celle des juifs au christianisme. Comme une grande part de cette législation, le canon 57 était sans précédent, mais il reste difficile de déterminer son effet immédiat sur les juifs ou sur leurs relations avec les chrétiens. Les conciles et les rois wisigoths ont donné l'ordre, de manière répétée, aux convertis relaps de revenir vers l'Église, aux juifs de se convertir, et aux chrétiens de cesser d'aider les juifs à échapper à ces directives.
apostasie ; baptême ; conversion forcée
Laurence Foschia : traduction
Notice n°1051, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait1051/.