Des Usuriers
L'interdiction de l'usure juive
Jayme, por la gracia de Dius rey d’Aragón, de Maillorgas et de Valencia, conte de Barçalona et de Urgel et senyor de Montpesler, a todos los de nuestro seynnorío salut et real gracia. Entendimiento et gracia es de Nos de entender et procurar la pro de todos los nuestros subjectos , que toilliendo aqueillas cosas que son nozibles al proveito comunal, que sea goardada la pro de cada uno. Por en des que la devoción de los cristianos es de non fazer usuras, et començó de crescer la avaricia et la cupdicia de los judíos, que non se puede fartar, que daqueillos cristianos qui reciben empriesto deillos demandan usuras de las usuras contra todo atempramiento et contra el nuestro establimiento que ya a tiempo fizimos. Nos, non queriendo cerrar nin vedar materia de emprestar sus dineros a los judíos a pro de los cristianos et queriendo a la grant cubdicia de los judíos poner cierta manera de emprestar, establecemos en las cosas passadas et en las presentes que en los contractos et en las usuras ningún judío no ose demandar ni tome más por usuras de III dineros al mes por cada liura.
Vidal Mayor, Livre 5, chapitre 7, folios 176 r-178 v
Jacques, par la grâce de Dieu roi d’Aragon, de Mallorque et de Valence, comte de Barcelone et d’Urgel et seigneur de Montpellier, à tous les sujets de notre seigneurie, salut et grâce royale. La compréhension et la grâce est pour Nous d'entendre nos sujets et de leur procurer du profit, d’interdire les choses qui sont néfastes au profit commun, ce qui implique de conserver le profit de chacun. Pour cela la dévotion des chrétiens consiste à ne pas faire d'usures, et ne pas commencer à faire croître l'avarice et la cupidité des juifs qui ne peut être repue et [en raison de laquelle] ces chrétiens qui reçoivent un prêt de ceux-ci se voient demander des intérêts de leurs intérêts contre toute modération et contre l’ordonnance que nous avons déjà faite. Nous, en ne voulant ni stopper, ni défendre la possibilité de prêter ses sous aux juifs au profit des chrétiens et en voulant imposer à la grande cupidité des juifs une certaine modération de prêt, nous établissons dans les choses passées et dans les présentes que, dans les contrats et dans les intérêts, aucun juif n'ose demander ni prendre plus de 3 deniers par mois pour chaque livre d’intérêts.
Y Masset
En 1247, après les conquêtes de Mallorca et de Valencia, le roi Jacques Ier souhaite compiler les différents fueros, afin de rendre plus efficace le système judiciaire. Pour cela, il convoque la Cort de Huesca, à laquelle contribuèrent son l'oncle l'infant don Fernando, les évêques Rodrigo de Zaragoza et Vidal de Canellas, ainsi que de nombreux nobles, chevaliers et citadins. L'ouvrage qui résulta de ce travail de modifications, d'ajustements, de rajouts, est communément attribué à Vidal de Canellas.
Le prêteur juif avait et a encore aujourd’hui une image à forte connotation négative, les chrétiens lui associant un amour immodéré de l’argent, ce qui se perçoit dans ce texte quand il est fait mention de cupidité et d'avarice. De par son métier, le prêteur obtint un statut qui lui permit d’exercer un pouvoir fort sur ses débiteurs, ce qui était jugé inadmissible par la société chrétienne. Sujet tabou ou empreint de stéréotypes, le crédit juif a marqué l’historiographie. Les historiens du crédit souhaitent mettre à bas tous les clichés accolés à ce domaine. Cependant, Richard Emery, reprenant Gérard Nahon, souligne le profond ancrage de ces croyances, et cela même chez les spécialistes. Il critique les théories avancées par certains historiens qui considèrent que le métier de prêteur n’était pas l’activité principale des juifs. En effet, ce point fait débat. Bien que Maurice Kriegel semble être du même avis que Richard Emery, d’autres ne sont pas aussi catégoriques. Luis Suarez Fernandez constate plutôt une prééminence des activités commerciales : « Le commerce, en ses multiples manifestations, étant leur principale activité ». Louis Stouff, dans sa thèse, résume parfaitement ce débat historiographique : « Faut-il reprendre ce que R.W. Emery a écrit sur les juifs de Perpignan au XIIIe siècle : « le prêt d’argent était l’activité essentielle des juifs » ou ce que Bernhard Blumenkranz proclame : « sans aller jusqu’à dire que le prêt à intérêt serait inconnu chez les juifs de Provence, on est pourtant en droit d’affirmer que leur occupation principale était le commerce ». […] Le prêt d’argent n’est pas l’occupation essentielle des juifs arlésiens. […] La Juiverie d’Arles est peuplée de courtiers, d’artisans, de petits commerçants qui pratiquent pour les deux tiers d’entre eux l’usure ou le prêt et la vente à crédit de grain. Pour la plupart le prêt n’est pas leur activité essentielle, même si pour un petit nombre elle est importante. » Le choix des juifs de se spécialiser dans le crédit ou dans le commerce semble donc correspondre à des particularités locales : si à un endroit une de ces activités prédominait, cela ne veut pas dire que c’était aussi le cas dans la ville voisine. Richard Emery remet aussi en cause l’idée selon laquelle le choix fait par les juifs de pratiquer la profession de prêteur était la conséquence de l’interdiction qui leur était faite d’exercer d’autres activités économiques. Il reconnaît la difficulté à théoriser un tel engouement pour le prêt de la part de cette minorité religieuse. Il propose, toutefois, deux types de facteurs à cela : « le prêt d’argent était une extension nationale des activités commerciales plus anciennes des juifs, et il était fortement encouragé par l’interdiction ecclésiastique du commerce d’argent pour les chrétiens, créant par là une occasion que bien des juifs saisirent avec empressement. » Cette orientation professionnelle se résumerait donc à une question d’offre et de demande à laquelle les chrétiens ne purent répondre, laissant ainsi la place aux juifs. Au XIIIe siècle, la profession de préteur devint indispensable à la vie économique, cependant l’Église interdit à ses fidèles de la pratiquer. Ainsi, les juifs purent exercer cette activité délaissée. Cependant, ils ne pouvaient pas octroyer de prêts aux membres de leur communauté, seulement aux chrétiens : « à l’étranger tu pourras prêter avec usure, mais tu ne prêteras pas à usure à ton frère. » (Deutéronome 23, 20). Toutefois, cela n’empêcha pas certains chrétiens de devenir prêteurs. Ne pouvant lutter contre cet attrait pour le monde de l’argent, les autorités tentèrent plutôt de limiter l’usure et ainsi l’enrichissement de ceux qui s’y adonnaient. Jacques le Goff définit que « Par usure, l’Église entend en effet toute tractation comportant le paiement d’un intérêt. Par-là, le crédit, base du grand commerce et de la banque, se trouve interdit. En vertu de cette définition, tout marchand banquier, pratiquement, est un usurier. » Cependant, les réalités économiques étaient bien différentes car pour répondre aux attentes du marché, le crédit se devait d’exister. Conscients de cela, les autorités royales ne purent empêcher l’octroi de prêts à intérêts mais elles limitèrent leurs taux. Le taux limite d’intérêt autorisé par la loi est généralement admis par les historiens comme étant de 20% pour l’Aragon, la Catalogne et la Provence, notamment par Claude Denjean et par Richard Emery. Les intérêts étaient aussi considérés comme usuraires s’ils étaient égaux ou supérieurs à un taux de 4 deniers par livre par mois ou l’intérêt ne peut pas excéder le capital si la dette n’a pas été réglée en deux ans.
crédit ; Juifs/Judaïsme ; usure
Laurence Foschia : traduction
Notice n°30377, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30377/.