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Costums de Tortosa [1:9:4]

Auteur

Costums de Tortosa

Titre en français

Coutumes de Tortosa

Titre descriptif

Comment les musulmans doivent s'habiller

Type de texte

coutume

Texte

Los sarranys deuen portar los cabells tolts en redon ; e deuen portar barba larga. E dels cabells nos deuen tolre a vs ne a costum de crestia. E la sobirana vestidura lur : deu esser aljuda o almeixa, si doncs no anauen laurar o obrar. Dels jueus nels sarrains no deuen portar en lur ma anell daur, ne neguna pera preciosa.

Langue

catalan

Source du texte original

Coutumes de Tortosa, livre 1, rubrique 9, chapitre 4

Datation

  • Date fixe : 1279

Aire géographique

Traduction française

Les sarrasins doivent porter les cheveux courts en rond, et doivent porter une longue barbe. Et pour les cheveux, ils ne doivent pas suivre les usages et coutumes chrétiens. Et pour leur vêtement : ce doit être une aljuba ou almeixa quand ils ne vont pas labourer ou travailler. Ni les juifs ni les sarrasins ne doivent porter à leur doigt un anneau d’or, ni aucune pierre précieuse.

Source traduction française

Y. Masset

Résumé et contexte

Le concile de Latran IV en 1215 impose aux musulmans et aux chrétiens de ne pas se vêtir de la même manière pour que l’on ne puisse pas les confondre et pour que les relations sexuelles entre les membres de deux religions soient évitées. Maria Teresa Ferrer i Mallol explique que ce problème vestimentaire soulevé par l’Église ne se pose pas, dans un premier temps, en Catalogne. En effet, lors de la reconquête et immédiatement après, les sarrasins revêtaient toujours des habits traditionnels qui ne ressemblaient pas à ceux des chrétiens. Mais, progressivement, par mimétisme et pour ne plus se démarquer des autres, ils se mirent à se vêtir de la même manière. C’est pourquoi, les autorités royales se sentirent obligées d’intervenir et ainsi de respecter la vision ecclésiastique, en ramenant les musulmans à un rang d’inférieurs et en évitant ainsi tout contact sexuel.

Signification historique

L’aljuba et l’almeixa sont toutes deux des tuniques, la seule différence étant que la dernière est munie de manches. Ces vêtements sont exclusivement portés par les hommes. Il est intéressant de constater que, comme pour les juifs, les autorités ecclésiastiques et laïques ont fait l’amalgame entre la tradition et la vie quotidienne, ce qui est le cas notamment pour l’aljuba. Cette cape marocaine revêtue pour le culte a été imposée par le roi car cela permettait de faire la distinction entre les deux religions tout en respectant les traditions musulmanes. Toutefois, il serait paradoxal de percevoir ce choix comme un respect de leur foi plus que comme une volonté de distinction. Le choix de la coiffure serait, d’après Maria Teresa Ferrer i Mallol, une innovation des coutumes de Tortose reprise par la suite dans toute la Catalogne suite aux Corts de 1301. Enfin, l’interdiction pour les juifs et musulmans de se parer d’anneaux d’or et de pierres précieuses tend à gommer tous les signes de richesse des minorités. Le débat historiographique autour du choix d’imposer des signes distinctifs aux minorités religieuses est prégnant : est-ce un désir de différencier les juifs, musulmans et chrétiens pour éviter les relations sexuelles ou est-ce que cela va bien plus loin dans un désir d’humiliation ? David Nirenberg cite l’article d’A. Cutler sur Innocent III et le concile de Latran, dont les canons auraient été écrits pour humilier les minorités. Cependant, d’après David Nirenberg, en Aragon « les documents insistent sans cesse sur le fait que les frontières sexuelles sont à l’origine des différences vestimentaires », ce qui se retrouve aussi dans les Siete Partidas. Un point important est à souligner, l’ « invention » de la ségrégation vestimentaire est proprement musulmane d’après Carol Iancu, bien que repris allègrement par les chrétiens après Latran. En effet, les dhimmis, sous les règnes d’al-Multadir, al-Muktadi et al Hakim, devaient porter le ghiyar (signe distinctif sur le vêtement) et le zunnar (ceinture spécifique), et les femmes devaient mettre des chaussures aux couleurs différentes. Ensuite il fut question de turban et habits jaunes et, sous al-Mansûr, d'un vêtement bleu et d'une calotte en guise de turban. Les juifs du XIIIe-XVe siècles, sous domination musulmane, sont obligés de porter des vêtements grotesques et la rouelle. Ces quelques exemples témoignent de la vivacité de cette pratique et de sa prégnance d’utilisation par la religion majoritaire dans le but de se différencier des minorités afin d’éviter toute ressemblance et tout contact, et de, peut-être, les humilier.

Manuscrits

  • Ce recueil de coutumes prend naissance dans les chartes de peuplement données à la ville par Ramon Berenguer IV en 1148 et en 1149. En 1274, une première tentative de compilation a été menée par les notaires de Tortosa Pere Tamarit et Pere Gil, mais elle fut rejetée par les seigneurs. Elle ne fut approuvée qu’en 1279, après l'arbitrage de l'évêque de Tortosa Arnau Desjardí, l'archidiacre de Lleida Ramon de Besalú et de Domènec Terol.

Editions

  • D.Ramon Foguet, Codigo de las costumbres escritas de Tortosa (Tortosa, 1912), 85.

Traductions

  • D.Ramon Foguet, Codigo de las costumbres escritas de Tortosa (Tortosa, 1912), 85.

Etudes

  • A.Cutler, “Innocent III and the Distinctive Clothing of Jews and Muslims”, Studies in Medieval Culture 3 (1970).
  • M.Ferrer i Mallol, Els Sarraïns de la corona catalano-aragonesa en el segle XIV: segregacio i discriminacio (Barcelona, 1987).
  • C.Iancu, Les mythes fondateurs de l'antisémitisme (Toulouse, 2003).
  • D.Nirenberg, Violence et minorités au Moyen Âge (Paris, 2001), 164-165.

Mots-clés

humiliation ; vêtement

Auteur de la notice

Youna   Masset

Collaborateurs de la notice

Laurence   Foschia  :  traduction

Comment citer cette notice

Notice n°30343, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»

Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30343/.

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