Amadeus VIII Dux Sabaudie
Antiques Statutes de Savoie, II, Sur les Juifs
Le comte de Savoie règle la présence des Juifs dans ses domaines
De Iudeis. Maxima quidem in omnibus sunt dona Dei superna collata clemencia, principatus et Ecclesia: Illic divinis ministrans, hic humanis presidens, ex uno principio utraque procedencia, humanam exornat vitam. Ideoque nichil sic erit studiosum principibus sicut Ecclesie et religionis chistiane honestas, cum utique Ecclesia pro illis semper exhoret; nam si Ecclesia undique illibata permaneat et princeps recte et competenter exhornet traditam sibi rem publicam, erit consonancia quedam bona omne quicquid utile est humano conferens generi. Nos igitur maximam habentes sollicitudinem circa Ecclesie et religionis christiane honorem et vera Dei dogmata que iusti et adorandi ministri verbi Dei appostoli et sancti partes tradiderunt et custodierunt, quia per hoc maxima nobis dona dabuntur a Deo et ea que collata sunt firma conservabuntur et que nondum devenerunt acquiremus, quia adeo infidelium et iniustorum quorundam iniquitas habundavit ut non dubitarent contra appostolicam doctrinam et sacros canones atque bonos mores sua vota confringere; statuimus, precipimus et mandamus ut nullus iudeus mancipium seu familiarem vel ancillam christianum vel christianam secum habere presumat. Item non liceat mulieribus christianis lactare seu nutrire pueros iudeorum. Item non liceat iudeis emere carnes in macello christianorum, sed volumus eos habere proprium macellum et certos macellarios eis deputari qui eis iusto precio vendant carnes quas postquam probaverint an iusta legitima illis vesci possint; nunquam liceat vendere in publico vel francho macello. Christianus et iudeus contra premissa faciens pro qualibet vice viginti quinque libras solvat vel in corpore luat. Item quia secundum dictum Domini signum portare debent propter quod discernantur a Christi fidelibus, volumus et precipimus singulos iudeos ante pectus in veste superiori portare signum panni rubei et albi rotundum patens, ut faciliter possint dignosci; pro qualibet vice contra facientes decem solidos solvant. Verum precipimus ut nullus iudeus ledatur, verbereur vel contumeliis afficiatur; nemo cum aliquid venale propositum erit iudeis precium statuat et plus iusto preciio eos cogat seu compellat emere aut vendere. Quod si quis ausu temerario contra prescripta facere actemptaverit, viginti solidos solvat vel iudicis provincie arbitrio puniatur.
G. C. Buraggi, Gli statuti di Amedeo VIII di Savoia del 31 Luglio 1403, Torino 1940.
Les plus grandes d’entre toutes les choses sont les dons offerts par la grâce de Dieu, le gouvernement séculier et l’Eglise : la dernière en administrant les affaires divines, l’autre en surveillant les affaires humaines, ensemble dérivant d’un seul principe, ils subviennent aux besoins de la vie humaine. Et en effet rien ne peut être si favorable pour les princes que l’honnêteté de l’Eglise et de la religion chrétienne, l’Eglise prie toujours pour eux, car si l’Eglise reste partout intacte et les princes correctement et habilement subviennent aux besoins de cette chose publique qui leur a été donnée, l’accord sera bon en donnant au genre humain tout ce qui lui est utile. Nous donc, ayant la plus grande sollicitude envers l’honneur de l’Eglise et de la religion chrétienne et envers les vrais dogmes de Dieu que les justes et vénérables ministres de la parole de Dieu, les apôtres et les saints Pères ont transmis et préservés, parce qu’à travers ceux-là les plus grands dons de Dieu nous seront donnés et ceux qui sont transmis seront préservés fermement et ce qu’on n’a pas encore reçu seront acquis, parce que l’injustice de certains infidèles et injustes personnes étaient à ce point si nombreuses qu’ils ne se doutent pas que leur vœux vont contre la doctrine apostolique et les canons sacrés tant aussi que les bonnes coutumes ; nous décidons, nous ordonnons et commandons qu’aucun juif n'ose avoir avec lui un esclave, un serf ou une servante chrétienne ou chrétien. En outre, les femmes chrétiennes ne doivent pas allaiter ou nourrir les enfants des juifs. En outre, les juifs ne doivent pas acheter de viandes dans l’abattoir des chrétiens, mais nous voulons qu’ils aient leur propre abattoir et nous voulons qu’ils aient d’autres bouchers choisis par eux même qui iront vendre au juste prix la viande qui est bonne et légitime pour être mangé par les juifs, après que les boucher l’aient certifiée ; jamais il sera possible pour eux de vendre à l’abattoir public et libre. Le chrétien ou le juif qui ira contre les dispositions précédentes paiera vingt-cinq lires pour chaque fois ou souffrira un châtiment corporel. En outre, parce que selon la parole de Dieu ils (les juifs) doivent porter un signe pour être distingués des fidèles du Christ, nous voulons et ordonnons que chaque juif porte sur sa poitrine sur ses vêtements extérieurs un signe visible de tissu en même temps rouge et blanc, comme ça ils peuvent être reconnus plus facilement ; pour chaque fois qu’ils vont contre cette disposition ils doivent payer 20 sous. Vraiment nous ordonnons qu’aucun juif soit blessé, battu ou injurié avec des mots ; personne, en cas de proposition économique, ne doit imposer un prix aux juifs ni le forcer à payer plus que le prix juste ni le forcer à vendre ou acheter. Nous ordonnons que si quelqu’un avec un risque inconsidéré essaye de faire quelque chose contre cette disposition, il payera 20 sous ou il sera punis selon la discrétion du juge provincial.
Tomaso Perani
Ce chapitre fait partie des Antiqua Sabaudie Statuta, la première collection de lois promulguée en 1403 par Amédée VIII alors comte de Savoie, avant d’être nommé duc par l’empereur Sigismond de Luxembourg en 1416. Ces statuts sont un texte majeur à la fois en étant l’embryon de la future législation des Decreta Sabaudiae ducalia de 1430, mais aussi parce qu’ils énumèrent déjà toutes les thématiques qui seront développées dans les années suivantes. Dans ce chapitre, le comte établit les règles assurant la permanence des communautés juives en ses terres. Le nombre de prescriptions contenues dans cet extrait est relativement réduit et les phrases demeurent concises. Ce chapitre est introduit par une citation tirée des Novellae de Justinien (Authenticae, collat. 1, tit. VI, nov. VI, prefatio. Quomodo oporteat episcopos et reliquos clericos ad ordinationem adduci, et de expensis ecclesiarum) qui insiste sur le rôle fondamental du pouvoir séculier dans la protection de l’Eglise et de ses libertés. Premièrement, il interdit aux juifs de posséder un serf ou une serviteur chrétien, puis il empêche aux femmes chrétiennes d’être nourrices pour les enfants juifs. En outre, il règle le marché de la viande, avec l’interdiction pour les juifs d’utiliser l’abattoir chrétien mais leur donne la possibilité de nommer un certain nombre de bouchers pour décider le prix le plus juste pour vendre la viande, même si cela ne doit pas se faire dans l’abattoir chrétien sous peine d’une amende de 25 livres ou d’une peine corporelle, quelque soit la religion du coupable. Puis le comte ordonne que tous les juifs devront porter un signe à la fois blanc et rouge pour se distinguer des chrétiens, et pour toutes les fois où ils seraient sans cet insigne ils devront payer 10 sous. Finalement, le comte dispose qu’aucun juif devra subir des actes de violence et même qu’ils ne devaient pas être forcés à accepter des transactions économiques contre leur volonté. Les transgresseurs de cette règle devront payer une amende de 20 sous ou bien une peine à la discrétion du juge provincial.
Les statuts de 1403 sont la première compilation de lois édictées par Amédée VIII. Pour la plus part, il s’agit de la réédition de celles qu’il a promulguées en 1379. Néanmoins, les huit premiers paragraphes présentent une unité cohérente, fruit du travail original du milieu culturel entourant le nouveau comte, bien identifiable par le style, le langage et la pensée légale. Ces écrits sont particulièrement importants car à la fois ils attestent de la législation précédente, en même temps qu'ils constituent la première loi promulguée par le comte de Savoie concernant les juifs. Ils ont été composés peu de temps après l’expulsion des communautés juives du royaume de France en 1394, quand un certain nombre de ces familles sont apparues dans le comté de Savoie. Même si les lois de 1403 ne font pas montre de détails, elles représentent pourtant un tournant dans l’histoire légale de cette principauté. Elles indiquent que le comte ne comprenait pas tous les enjeux qu’impliquait une législation cherchant à contrôler les relations entre chrétiens et juifs. Il se contentait plutôt de reproduire et réitérer les prescriptions traditionnelles définies par le IVe concile de Latran. Ces lois témoignent toutefois de l’étroite connexion entre théorie légale et vie quotidienne. Peu après l’établissement des premières grandes communautés juives dans le comté, Amédée, qui était à peine plus qu’un adolescent, s’est montré capable de promulguer un texte législatif cohérent à propos d’un phénomène nouveau. En 1430, quand les problèmes liés à la nouvelle cohabitation entre la minorité juive et la majorité chrétienne été devenus davantage visibles, la législation la concernant devint plus complexe et précise.
abattage ; contrat ; enfants ; esclaves ; insigne ; Juifs/Judaïsme ; nourrices ; signe distinctif ; violence
Youna Masset : relecture -corrections
Anna MATHESON : relecture -corrections
Notice n°268475, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait268475/.