Fuero de Santarém
Peines payées par les chrétiens pour le meurtre de juifs et de musulmans
Etiam et de homicidio vel de quacumque calumpnia seu livore, si contigerit inter vos, non parietis plusquam quintam partem. Sed si aliquis, injuste absque aliquo facto, occiderit judeum, ita quod omnis civitas per exquisitam veritatem invenerit quod occiderit eum, pariat totam calumpniam usque ad sumum. Quod si causa eveniente, quod son sit voluntas ejus, occiderit eum, et per exquisitionem veram quod non fuerit voluntas ejus [in] mortem illius, pariat quintam partem homicidii. . . . Maurum siquis occiderit vel mortem illius celaverit, per certam exquisitionem meliorum civitatis, mittant illum homicidam in potestate regis, ut faciat de eo secundum suam voluntatem. . . . Etiam et adhuc subponimus ut, si alicui dictum fuerit dixerit1 occidisse maurum et ille se testaverit quia “non sum factor hujus criminis”, alius vero dixerit quia “tu fecisti”, et inter omnes exquirere non potuerint veritatem, et defendere se voluerit per unas armas secundum hoc juditium; et si factor fuerit, mittant illum in potestate regis, sicut jam dictum est superius.
M. A. Rodrigues et al., eds., Livro Preto cartulário da Sé de Coimbra (Coimbra, 1999), 34-36.
Et aussi concernant l'homicide ou tout acte de violence (calumnia) ou pour une blessure sanglante, si cela se produit entre vous (à savoir, entre chrétiens), vous ne devez payer pas plus d'une cinquième partie. Mais si quelqu'un injustement, tue un juif, sans que celui-ci n’ait rien fait (à savoir, sans aucune raison justifiable), et que l'ensemble de la communauté découvre, par enquête, que la vérité est qu'il l’a tué, qu'il paie la totalité de l’amende. Mais s’il soutient qu'il l'a tué non intentionnellement, et qu’à travers l'enquête [on trouve] qu'il est vrai que son intention n’était de ne pas de tuer le juif, on lui laisse payer un cinquième de la peine pour homicide involontaire (homicidium) . . . Si quelqu'un tue un musulman ou cache sa mort, après enquête approfondie [menée] par les hommes bons (meliores) de la communauté, qu'ils (à savoir, ces derniers) laissent l'homicide au magistrat du roi (in regis potestate) de sorte qu'il pouvait en faire ce qu’il souhaitait . . . Et nous ajoutons par ailleurs que si quelqu'un dit que [un autre a dit] avoir tué un musulman et qu’il (à savoir, l’accusé) témoigne en disant, « je ne suis pas l'auteur de ce crime », bien que le premier dit, « vous l'avez fait », et que, parmi les tous les hommes présents, ils sont incapables de découvrir la vérité, et qu’il tient à défendre sa position par les armes (à savoir, un duel), le jugement devait être décidé de cette manière (à savoir, par le duel).
Youna Masset
Ce fuero fut écrit après Santarém avait été donné à Alphonse VI par le souverain musulman de Badajoz en 1093 en échange de la protection du roi contre ses ennemis d'Afrique du Nord. Le texte détaille les procédures juridiques et les peines versées pour le meurtre ou les violences contre les juifs et les musulmans selon un certain nombre de différents scénarios qui prenaient en compte l'intention ainsi que l'appartenance religieuse de la victime. Si un chrétien tuait un juif intentionnellement et sans juste cause, le chrétien devait payer le montant total de l'amende (calumnia). Si le chrétien n'avait pas l'intention de tuer le juif, il devait payer une cinquième part de l'amende pour homicide involontaire qui, dans ce fuero particulier, était le même montant que celui payé pour le meurtre d'un chrétien. Le meurtre d’un musulman (vraisemblablement un musulman libre) n’était pas de la compétence de la loi municipale ; ceux coupables de cet acte étaient transférés au juge royal pour leur jugement. Ceux accusés du meurtre d'un musulman et qui le niaient, et pour lesquels le conseil des bons hommes était incapable d'établir leur culpabilité, pouvaient défendre leur innocence en remettant en cause leur accusateur par un duel judiciaire. Dans ce cas, le verdict devait se baser sur le résultat du duel : si le défendeur perdait le duel il était déclaré coupable, et voyait son affaire transférée au magistrat du roi pour un nouveau jugement.
Bien que la présence des communautés juives dans la péninsule Ibérique est antérieure à la Reconquista, ce texte semble contenir la première référence documentée de musulmans libres vivant sous domination chrétienne dans la région qui est devenue le Portugal. Le fuero de Santarém ne mentionne pas explicitement les musulmans libres, n’indiquant seulement que la protection royale a été accordée aux musulmans locaux qui, à en juger par le contexte, ne devaient pas avoir été des esclaves. La première mention explicite de musulmans libres (mouros forros) au Portugal se trouve dans la charte pour ceux de Lisbonne, Almada, Palmela, et Alcácer do Sal, datée de 1170 (notice 252640).
Le passage cité ci-dessus est intéressant car, bien qu’il ne soit pas rare dans les sources de Castille-León de faire des distinctions entre les sanctions à appliquer pour les transgressions contre les chrétiens et celles pour les juifs, il est beaucoup moins fréquent de trouver des clauses faisant la différence entre les crimes contre les juifs et ceux contre les musulmans. Toutefois, cette discussion est probablement en rapport au contexte de Santarém puisque, comme nous l’avons indiqué, la ville avait été accordée au roi en échange de sa protection. Cela expliquerait pourquoi assassiner un musulman semble avoir été puni beaucoup plus sévèrement.
Le fuero de Santarém a eu une durée de vie courte : les armées almoravides reprirent Lisbonne en 1093 et Santarém en 1111, poussant la frontière nord du monde musulman une fois de plus vers le bassin du Mondego. Santarém fut repris définitivement par les chrétiens en 1147, et une nouvelle charte fut accordée par le roi portugais Alphonse I en 1179.
chrétiens ; Juifs/Judaïsme ; meurtre ; musulmans ; peine légale ; procédure judiciaire
Youna Masset : traduction
Notice n°254589, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254589/.