Turbato corde
Lettre aux inquisiteurs des ordres des Mineurs et Prêcheurs concernant l’Inquisition contre les convertis au judaïsme.
Dilectis filiis fratribus Predicatorum et Minorum ordinum inquisitoribus heretice pravitatis auctoritate sedis apostolice deputatis, aut in posterum deputandis, salutem et apostolicam benedictionem. Turbato corde audivimus et narramus quod quamplurimi Christiani veritatem Catholicae fidei abnegantes se ad ritum Judaicum damnabiliter transtulerunt; quod tanto magis reprobum fore dignoscitur, quanto ex nomen hoc Christi sanctissimum quadam familiari hostilitate securius blasphematur. Cum autem huic pesti damnabili, que, sicut accepimus, non sine subversione predicte fidei nimis excrescit, congruis et festinis deceat remediis obviari: universitati vestre per apostolica scripta mandamus, quatenus infra terminos vobis ad inquirendum contra hereticos auctoritate sedis apostolice designatos super premissis tam per Christianos, quam etiam per Judeos inquisita diligenter et solicite veritate, contra Christianos, quos talia inveneritis commississe tamquam contra hereticos procedatis: Judeos autem, qui Christianos utriusque sexus ad eorum ritum execrabile hactenus induxerunt; aut inveneritis de cetero inducentes pena debita puniatis; contradictores per censuram ecclesiasticam, appellatione postposita, compescendo, invocato ad hoc, si opus fuerit, auxilio brachii secularis. Datum Viterbi, VI kal. augusti, anno tertio.
ASV, reg. 72, fol. 233r.
Aux bien-aimés fils, les frères des Ordres des Prêcheurs et des Mineurs, maintenant et à l’avenir députés par l’autorité du Siège apostolique à l’Inquisition de la dépravation hérétique, salut et bénédiction apostolique. Avec un cœur perturbé nous avons appris et nous rapportons, que plusieurs chrétiens, en renonçant à la vérité de la foi catholique, se sont coupablement rendus au rite juif. Ceci est, en effet, d’autant plus déplorable parce que, par conséquent, le bienheureux nom du Christ est blasphémé avec une certaine hostilité familière. Puisqu’il faut obvier avec des mesures appropriées et rapides à cette peste détestable, qui, comme nous l’avons appris, s’agrandit non sans subversion de ladite foi, nous ordonnons par lettres apostoliques à vous tous, après avoir enquêté sur la vérité, avec foi et promptitude, parmi les chrétiens et même parmi les juifs, de procéder, dans les bornes données par le Siège apostolique, pour enquêter sur les hérétiques, contre les chrétiens que vous trouverez coupables de cette faute comme s’ils fussent hérétiques ; et même de punir avec des sanctions appropriées les juifs qui ont déjà induit des chrétiens des deux sexes à leur rite exécrable ou qui sont en train de le faire ; en obligeant les contradicteurs, par censure ecclésiastique, sans possibilité d’appel, et en demandant, si nécessaire, l’aide du bras séculier. Donné à Viterbe, le sixième jour des calendes de juillet, de la troisième année.
L. Fois
Le pape charge les frères inquisiteurs des Ordres mendiants d’enquêter, selon les modalités utilisées pour lutter contre les hérétiques, et de condamner les chrétiens qui se convertissent au judaïsme ainsi que les juifs qui les persuadent de se convertir.
Dès la deuxième moitié du XIIe siècle, l’accélération significative de la conception universaliste de la papauté et une tolérance moindre pour les déviances à l’orthodoxie, liée à la lutte contre le catharisme, menèrent l’Église à imposer des restrictions même aux juifs, en tant que corps étranger, bien que nécessaire, au sein de la societas Christiana. Même si les juifs ne pouvaient être comparées aux hérétiques sur le plan juridique ni doctrinal, un climat d’intolérance croissant à leur égard imposait d’établir des contours de plus en plus étroits à leur liberté, désormais perçue comme une menace à l’intégrité du corps de l’Église. L’imposition du signe distinctif et la longue dispute sur le Talmud des années 1240 sont des exemples évidents de cette direction. Cependant, le pouvoir coercitif de l’Église contre eux était fortement lié à la collaboration effective des pouvoirs séculiers, qui, en détenant la juridiction sur les juifs, pouvaient décider d’agir selon leur gré. La recrudescence de la répression de l’hérésie pendant les années 1260, combinée à l’insistance des inquisiteurs, qui accusaient les juifs d’être fautores de l’hérésie ou au moins receptores d’hérétiques, menèrent Clément IV à concéder aux titulaires de l’officium inquisitionis la faculté de poursuivre les chrétiens qui embrassaient la religion juive, de fait en les assimilant intrinsèquement – en tant que déviants – aux hérétiques. D’une manière inédite, la juridiction inquisitoriale s’était également étendue à ceux qui n’étaient pas chrétiens mais qui, en favorisant ou en sollicitant les conversions, pouvaient être poursuivies à partir de ce moment sans que ne soit nécessaires des intermédiaires.
apostasie ; blasphème ; conversion au judaïsme ; Inquisition ; Juifs/Judaïsme ; Ordres mendiants
Notice n°268771, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait268771/.