Constitutus in praesentia
Demande pontificale au calife almohade d’attribution de forts sur le littoral pour la protection des mercenaires chrétiens.
Miramammolino Marrochitano regi illustri, timorem diuini nominis et amorem. Constitutus in praesentia nostra uenerabilis frater noster Marrochitanus episcopus, nobis exposuit quod cum nos olim tibi direxerimus preces nostras ut Christianis illarum partium munitiones et castra sita supra ripam maris, in quibus secure habitare possent et contra impugnatores suos necessitatis tempore se tueri, liberaliter largireris, tu, preces ipsas super hoc negligens adimplere, id efficere omisisti ; propter quod christiani praefati tam in personis quam rebus dampna coguntur grauia sustinere, nam cum oporteat multos ex illis frequenter ad exercitum tuum ire, uel alios pro tuis seruitiis laborare, nec habeant tuta loca ubi uxores, filios ac alios consanguineos relinquere ualeant, sarraceni oportunitate captata, multos ex eis interficiunt et nonnullos cogunt fidem catholicam abnegare. Cum igitur tua pati non debeat magnitudo ut christiani, qui sic ardenter tuis insistunt obsequiis, ex defectu locorum in quibus necessitatis tempore se receptent, tot injurias et molestias sub tuo dominio patiantur. Excellentiam tuam iterato monendam duximus et rogandam quatenus munitiones et castra praefata christianis ipsis, ut ibidem tueri se possint, absque qualibet difficultate concedas. Alioquin, memorato episcopo litteris nostris injungimus ut christianos in illis partibus degentes a tuo seruitio reuocare ac aliis ne illuc transeant inhibere procurent. Datum ut supra.
Clara Maillard - Vatican, Archivium Secretum Apostolicum, Reg. Vat. 22, f. 60r, ep. 436.
Au Miramolin, illustre roi de Marrakech, crainte et amour du nom de Dieu. En notre présence notre vénérable frère, l’évêque de Marrakech, a exposé ceci : nous avons autrefois dirigé vers toi nos prières pour que tu donnes librement aux chrétiens de ces régions des places fortifiées et des forts sur la mer dans lesquels ils puissent habiter de manière sûre, et se protéger de leurs assaillants le temps nécessaire ; toi, négligeant d’accomplir ces prières, tu as omis de le faire et, à cause de cela, les chrétiens susdits doivent supporter de graves dommages tant pour les personnes que pour les biens, car, parmi eux, nombreux sont ceux qui vont dans ton armée ou qui travaillent à ton service et ont, dans des lieux protégés, laissé leurs femmes, leurs enfants et leurs autres parents qui ont été capturés par les Sarrasins, et parmi eux, nombreux ont été tués, d’autres contraints à abjurer leur foi. Et ta magnitude ne doit pas souffrir que les chrétiens, qui ardemment se sont attachés à ton service, par manque de lieux dans lesquels ils se retireraient le temps nécessaire, endurent, sous ton pouvoir, tant d’injures et de violences. Vers ton excellence nous [nous] dirigeons une seconde fois pour rappeler et pour demander que tu concèdes sans aucune difficulté les places fortifiées et les forts à ces chrétiens. Sinon, par nos lettres, nous demandons à l’évêque susdit de révoquer les chrétiens à ton service dans ces régions et d’exercer sur les autres son autorité pour qu’ils ne viennent là-bas.
Clara Maillard
Le 31 octobre 1246, par la bulle Gaudemus in Domino, Innocent IV rappelait au sultan almohade Abū Sa‘īd que d’importants massacres de chrétiens avaient eu lieu et lui demandait des place de sûretés pour que les chrétiens vivant dans son royaume puissent se protéger. En 1250 l’Almohade al-Murtaḍā répondit au pontife en place de son prédécesseur. Il ne se positionnait pas de manière précise au sujet des places de sûreté mais laissait sous-entendre son refus. Ainsi en 1251 Innocent IV lui rappelle qu’il n’a pas accordé de places fortes sur le littoral aux chrétiens pour que leurs familles puissent vivre en sécurité. Cette fois la lettre est menaçante. S’il ne le fait pas, le pape ordonnera à l’évêque de Marrakech d’exiger leur départ.
Innocent IV fit des relations avec le monde non-chrétien un point fort de son pontificat. Il est le pape de son temps qui a le plus écrit au sujet du Maghreb et envisagea une croisade en direction de l’Afrique du Nord. Charles-Emmanuel Dufourcq est le premier à expliquer la demande pontificale de protection des chrétiens par la croisade alors en préparation. Avant d’attaquer les côtes marocaines, le pontife songeait à la protection de ces lointains fidèles. Anna Unali note la singularité des pontifes qui d’un côté interdisent le commerce avec les musulmans et de l’autre autorisent les mercenaires chrétiens à combattre pour les souverains maghrébins, parfois même contre des chrétiens. Elle justifie cet antagonisme en formant l’hypothèse que les pontifes souhaitaient utiliser les mercenaires pour favoriser la « pénétration religieuse » des chrétiens au Maghreb. Philippe Gourdin souligne que « le pape veut en faire le noyau d'une nouvelle chrétienté africaine, au risque de contredire sa politique du Devetum ». Mais les lettres papales ne permettent pas de confirmer de telles hypothèses. En revanche, il est possible de noter un decrescendo entre le discours de Grégoire IX et celui d’Innocent IV. Ce dernier pose au calife almohade cet ultimatum : « si les chrétiens n’ont pas de places fortes pour se réfugier en cas de malheur, alors ils ne pourront plus te servir ». Grégoire IX lui le posait en ces termes : « si tu ne te convertis pas alors les chrétiens ne pourront plus te servir ». Derrière cette sommation apparaît une grande concession : le pape ne remet plus en question le service d’un souverain infidèle par des fidèles s’ils peuvent demeurer en sûreté sur ses terres. James Muldoon y voit une pression moins réelle que théorique. Innocent IV agissait comme un pasteur, s’assurant que ses brebis puissent bien vivre sans grand danger. C’est la dernière lettre à l’adresse d’un Mu’minide enregistrée aux Archives secrètes du Vatican. Les places de sûreté n’ont pas été réalisées et les chrétiens ont continué à le servir.
armée ; chrétiens ; mercenaires
Adam Bishop : traduction
Anna MATHESON : traduction
Notice n°268753, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait268753/.