Ibn Rušd
Relations commerciales entre musulmans et ḏimmī
La licéité des biens provenant de sources ḏimmite
وكذلك معاملة أهل الذمة جائزة أيضا وإن كانوا يستبيحون بيع الخمر والخنازير ويعملون بالربا، كما قال الله تعالى عنهم: وأخذهم الربا وقد نهوا عنه... لأن الله تبارك وتعالى قد أباح أخذ الجزية منهم وقد علم ما يفعلون وما يأتون وما يذرون
Abū al- Walīd Muḥammad b. Aḥmad b. Ibn Rušd, al-Muqaddimāt al-mumahhidāt, éd. M. Haǧǧī, (Beyrouth, 1988), II, p. 156.
Il est aussi permis d’entretenir des relations commerciales avec les ḏimmī, quand bien même considéreraient-ils licite la vente de vin ou de porc et auraient-ils des transactions usuraires (ribā), puisque Dieu - Le Très-haut - a dit à leur sujet : « et à cause de ce qu’ils prennent des intérêts usuraires - qui leur étaient pourtant interdits - » (Coran IV : 161). En effet, Dieu - exalté soit-Il - a autorisé de leur prélever l’impôt de capitation (ǧizya) tout en sachant ce à quoi ils s’adonnent.
M. Hendaz
Le célèbre juriste mâlikite andalou Ibn Rušd (m. 1126) aborde ici accessoirement la question des relations financières entre les différentes communautés. Partant des principes qui régissent les divers contrats qu’offre la jurisprudence islamique, l’auteur donne le cadre réglementaire des échanges commerciaux (muʿāmalāt) en terre belligérante (dār al-ḥarb). Il explique qu’il n’est pas du tout envisageable de s’installer sur de telles terres et il prône, à plus forte raison, pour une interdiction stricte. Et il condamne, à une exception près, les musulmans qui se livrent aux activités commerciales en territoires hostiles. Cependant, Ibn Rušd n’assimile pas les Gens de la ḏimma à cette interdiction. Il convient donc qu’un musulman puisse tisser des liens sociaux avec des ressortissants juifs ou chrétiens et même si cela doit conduire à des opérations marchandes. Si notre juriste reconnaît une relative importance à cette distinction, il semblerait qu’elle puisse constituer, dans l’esprit de certains, une sérieuse entorse au droit musulman des affaires. En effet, la problématique que soulève cette question est que la conscience collective musulmane perçoit les gains issus de transactions usuraires ou encore la vente de vin ou de porc comme une source de revenus illicites. Apparemment, bien qu’Ibn Rušd voie dans l’interdit coranique de l’usure (ribā) un interdit commun aux religions monothéistes, il n’en demeure pas autant critique. À ses yeux, le tribut (ǧizya) versé par les ḏimmī - attesté par le Coran - légitime la possibilité d’échanger commercialement avec ces derniers. En d’autres termes, selon Ibn Rušd, si Dieu a institué le paiement de la ǧizya, alors qu’Il savait le rapport qu’entretiennent les Gens du Livre avec les biens, c’est qu’Il envisage éventuellement que des revenus acquis illicitement, au regard de législation islamique, puissent entrer en possession des musulmans. Au-delà de la démonstration normative à laquelle se livre Ibn Rušd, ce qui est dit implicitement est la liberté économique et religieuse offerte aux ḏimmī.
Ibn Rušd, certainement le plus grand juriste mālikite de son époque en Occident musulman, occupa de 1117 à 1121 le poste de qāḍī l-jamāʿa (Grand cadi) de Cordoue la plus haute fonction judiciaire d’al-Andalus. Homme influent sous la dynastie almoravide, Ibn Rušd ne se fit pas à l’idée qu’al-Andalus puisse échapper des mains des musulmans. Alphonse Ier d’Aragon (le Batailleur) commençait à gagner du terrain par ses expéditions. Ibn Rušd perçut cela comme une trahison des Mozarabes et se mobilisa, intellectuellement et politiquement, pour renverser Alphonse le Batailleur. Ce dernier sera battu à Anzul le 19 mars 1126. Suite à cela, notre juriste cordouan exprima une fatwa qui dépossédait les Mozarabes de tout leur droit à être protégés en raison de leur trahison. Même si la coexistence avec la minorité chrétienne n’a pas toujours été aisée, Ibn Rušd ne semble pas avoir totalement changé de positions sur les relations de manière générale et plus particulièrement les relations commerciales avec les ḏimmī.
David Peterson : traduction
Notice n°254416, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254416/.