Serment juif dans les procés mixtes
Serment juif dans les procéss mixtes
De sacramento Iudei et Xristiani Pro omni petitione siue xristiani siue iudei usque ad quator menkales iuret xristianus sine cruce, et iudeus sine athora. Si a quator et supra petitio ualerit, xristianus iuret super crucem et iudeus super atoram. Et si iudeus aut xristianus iurare noluerit, cadat a causa.
R.Ureña y Smenjaud, Fuero de Cuenca (Madrid, 1935),622.
Serments des juifs et des chrétiens Pour toute plainte d’un chrétien ou d’un juif, jusqu’à une valeur de quatre mencales, le chrétien doit jurer sans la croix et le juif sans la Torah. Si la plainte vaut pour un montant supérieur à quatre, le chrétien jure sur la croix et le juif sur la Torah. Et si le juif ou le chrétien ne veulent pas jurer, ils perdront leur affaire.
Claire Chauvin
Dans le Fuero de Cuenca, les juifs étaient considérés comme une communauté protégée par les rois. Ils étaient protégés contre la violence excessive et l’oppression arbitraire grâce à des privilèges et immunités qui leur étaient accordés. ils vivaient dans les villes de Castille sous leur propre administration et s’occupaient de leurs affaires communales, incluant l’administration de la justice avec leurs propres cours et juges. La coexistence urbaine dans les villes médiévales castillanes provoquaient des litiges entre chrétiens et juifs, il était donc important d’établir la procédure à appliquer. Cette loi du Fuero de Cuenca traite de la recevabilité des témoignages dans les cours mixtes entre des juifs et des chrétiens en litige. Les témoins étaient essentiels pour résoudre la question de l’innocence ou de la culpabilité du défendeur, basée sur le caractère sacré du serment comme système pour prouver la véracité du témoignage.
Le système juridique des codes municipaux pouvait seulement être compris à travers le concept de preuve, qui sous-tendait le processus entier. Selon Levy Brulh, chaque mécanisme qui essayait d’établir une conviction sur un certain évènement et de convaincre le juge qui représente le groupe social doit être considéré comme une preuve. 1
La justice était ritualisée. Le processus dramatique essayait de restaurer l’ordre social, qui avait été rompu par la discorde. Deux considérations sont nécessaires pour expliquer pourquoi les rituels juridiques persistent à travers le Moyen Âge : à cette époque, la justice divine soutient la justice des hommes, il était donc nécessaire d’ajuster le système selon un caractère sacré afin d’assurer la résolution du conflit. D’un autre côté, un processus rituel est requis pour le développement de la justice, où le résultat final était de réétablir la paix sociale plus que la vérité. 2
Dans ce cadre, un témoignage est la plus importante importante preuve du procès, et le serment avait une importance primordiale. Il était considéré comme le lien entre la valeur sacrée et la valeur probante.
Dans le système légal municipal, les preuves recevables avaient généralement un caractère sacré et magique en tant qu’actions symboliques : serments et épreuves. La valeur du serment est basé sur l’évidence selon laquelle un parjure serait puni dans l’au-delà, ce qui évitaient que les hommes ne fassent de faux serments. Considérant ce prémice, il était nécessaire d’établir un mécanisme afin d’articuler le fait que les juifs et les chrétiens qui prennent la parole soient présents pour renforcer leurs témoignages, les juifs jureraient sur la Torah, les chrétiens sur la Bible (ou, dans le cas présent, sur une croix).
Selon les théologiens chrétiens, en jurant un homme fait appel à un attribut divin. Le nom de Dieu est utilisé pour confirmer la validité des mots ; selon Saint Augustin, il s’agit de quelque chose qui dépasse le fait de prendre Dieu à témoin, qui Lui donne le droit à la vérité. Le caractère sacré du serment provoqua des préjugés et de la méfiance à l’encontre des témoins juifs. Mais en dépit du statut d’infériorité accordé aux juifs, le concile de Latran III (1179), en traitant de ce sujet, décréta l’établissement de l’égalité concernant cette relation, et admit le témoignage d’un chrétien contre un juif et d’un juif contre un chrétien: Testimonium quoque Christianorum adversus Judeos in omnibus causis cum illi adversus Christianos testibus suis utantur; recipienddur esse censemus”3.
Cette loi établit un serment très simple, selon lequel chaque témoin utiliserait jurerait sur ce qui lui était sacré pour confirmer la valeur de ses mots. Jurer n’était pas nécessaire pour des litiges qui concernaient des matières ne dépassant pas quatre mencales ; cependant, des affaires de plus haut prix demandaient une plus grande solennité et le recours aux textes sacrés pour soutenir la valeur du serment.
Des années plus tard, avec la réception du Ius commune et de la loi canonique, l’Eglise essaya de détourner le caractère magique des gestes symboliques du procès, renforçant l’idée de consensus et de bonne volonté pour renforcer la parole de quelqu’un. Cette idée apparaît dans la doctrine d’Huguccio de Pise, qui essaya de détacher le serment de l’idée de la condamnation du parjure, mais en dépit de la réception de la loi canonique, le rituel caractéristique des serments des juifs et des musulmans ne disparut pas. Cela est reflété non seulement dans la législation d’Alphonse X le Sage, mais aussi dans les Utsages et dans les Constitutions of Cataluña. Les témoignages des juifs et des musulmans utilisent de nombreuses imprécations bibliques afin de le renforcer. 4
1 . L. Brulh, La preuve judiciaire. Etude de sociologie juridique (Paris, Marcel Rivière, 1964)
2 . C. Gauvard, R. Jacob, “Le rite, la justice et l’historien”, R. Gauvard, R. Jacob (dir.) Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental (Paris, Le Léopard d’or, 2000), 11.
3 . G. Alberigo et al., ed., Les conciles Œcuméniques: Les Décrets, vol. 1 (Paris, 1994), 202-203, TELMA, http://form-tei.irht.cnrs.fr/manuscrit/affiche/id/1097
4 . M. Madero, “Langages et images du procès dans l’Espagne médiévale”, R. Gauvard, R. Jacob (dir.) Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental(Paris, Le Léopard d’Or, 2000), 73-97.
justice ; procédure judiciaire ; Procés mixte entre juif et chrétien ; serment
Claire Chauvin : traduction
Notice n°254387, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254387/.