Fatwa sur un musulman ayant usurpé les biens d'un dhimmī
Comment indemniser un dhimmī dont les biens ont été usurpés?
سئل أبو محمد [ابن أبي زيد القيرواني] عمن غصب ليهودي مالا ثم فقد اليهودي ولا يدري من هو ولا أين هو و أراد الغاصب التحلل. فأجاب : إن كان من أهل الصلح و هم معروفون و عليهم خراج يؤدونه دفعه إليهم و إن لم يعلم أو كان من غير ذلك البلد فليكن في بيت المال ويتصدق به في عدمه.
Al-Wansharīsī, al-Miʿyār, M. Ḥağğī, ed. (Beyrouth, 1981), IX, 547.
Quelqu’un ayant ravi un bien appartenant à un juif désire rentrer dans la licité. Mais le juif a disparu et on en a perdu toute trace. Interrogé sur ce cas, Abū Muḥammad [Ibn Abī Zayd al-Qayrawānī] a répondu : S’il (i.e., le juif) fait partie d’un groupe connu parmi les infidèles qui ont été soumis par traité (ahl al-ṣulḥ) et qui paient l’impôt foncier (kharāğ), on remettra ledit bien à sa communauté. Si on n’en sait rien ou s’il n’est pas du pays, on versera le bien usurpé au trésor public et s’il n’y en a pas, on en fera l’aumône.
V. Lagardère, Histoire et société en occident musulman au Moyen Âge. Analyse du Miʿyar d’al-Wanšarīsī (Madrid, 1995), 378-79 (traduction modifiée et complétée).
Après avoir ravi un bien appartenant à un dhimmī de confession juive, un musulman veut expier son acte. Pour ce faire, il se doit de dédommager la victime, mais celle-ci a disparu sans laisser de trace. Ibn Abī Zayd, célèbre juriste mālikite de Kairouan (m. 996), considère que, dans ce cas, les biens extorqués au juif reviennent de droit à sa communauté. Mais si celle-ci n’est pas identifiée, il convient alors de les verser au trésor public ou, à défaut, d’en faire l’aumône.
Les sujets non-musulmans présents dans le monde musulman médiéval vivaient souvent en communautés autonomes ayant chacune ses représentants qui traitaient avec l’autorité souveraine au nom de leurs coreligionnaires. Hérité de l’époque de l’époque des conquêtes, ce mode de vie permettait au groupe minoritaire de préserver son identité et de conserver une certaine cohésion entre ses membres. Les dynasties musulmanes successives ont favorisés son maintien à travers diverses pratiques administratives, notamment dans le domaine fiscal. On sait par exemple que les impôts, y compris la capitation (ğizya), étaient souvent payés collectivement par la communauté. Aussi les juristes considéraient que les dhimmīs étaient solidairement tenus de verser certains dus tels que le prix de sang et les dettes impayées par l’un des leurs. De leur côté, les musulmans devaient faire de même en remettant aux proches du dhimmī décédé ou porté disparu tout bien lui revenant de droit. C’est ainsi que dans la présente fatwa, Ibn Abī Zayd recommande de restituer les biens du juif à sa communauté. Rappelons que la sauvegarde des propriétés individuelles et collectives sont partie intégrante de la protection accordée aux tributaires.
communauté ; dette ; Juifs/Judaïsme ; propriété
Adam Bishop : traduction
Notice n°252826, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252826/.