Fatwa à propos du Sabbat
Un juif peut-il imposer à son associé musulman de ne pas travailler le samedi?
سئل ابن أبي زيد عمن أكرى من يهودي دوابا، فيأتي يوم السبت، فيريد اليهودي السبت، هل يقضي لليهودي على المسلم بالسبت معه أم لا؟ فأجاب: لا يقضي عليه، وكذلك لو كان بينهما خصومة وجاء يوم السبت، فيُقضى على اليهودي بالسير معه، أو يوكل وكيلا، لأنه حكم بين مسلم وذمي.
Al-Wansharīsī, al-Miʿyār, M. Ḥağğī, ed. (Beyrouth, 1981), VIII, 262.
Ibn Abī Zayd [al-Qayrawānī] fut interrogé au sujet d’un musulman qui loue des bêtes de somme à un juif. Le jour du sabbat arrivant, le juif désire se reposer. Faut-il lui donner gain de cause s’il demande au musulman d’en faire autant? Il répondit : "On ne obligera pas le musulman à le faire. De même s’il y a un conflit entre eux (i.e. entre le juif et le musulman) et qu’arrive le jour du sabbat ; on enjoint au juif de se présenter [au tribunal] avec lui ou, à défaut, de mandater quelqu’un pour le représenter. Car il s’agit là de statuer dans une affaire opposant un musulman et un dhimmī."
A. Oulddali
Dans la présente fatwa, le juriste mālikite de Kairouan Ibn Abī Zayd (m. 386/996) donne son avis au sujet du juif qui, ayant passé un contrat de location avec un musulman, demande à celui-ci de ne pas travailler le samedi. Selon lui, une telle requête n’est pas recevable car, dans les litiges entre musulmans et dhimmīs, c’est la loi musulmane qui prévaut. Or, l’observance du sabbat n’appartient pas aux préceptes de l’islam. Pour cette même raison, le cadi est en droit d’obliger le juif à se présenter à une audience se tenant le samedi si les circonstances l’exigent.
Les associations commerciales entre les musulmans et les membres des autres confessions présentes en terre d’Islam soulevaient nombre de questions que les sources juridiques n’ont pas manqué de mentionner. La plupart de ces questions portent sur la validité des différentes sortes de contrats passés entre les associés et sur le caractère licite ou illicite des biens et des services échangés en vertu de l’accord d’association. Mais les juristes abordent aussi d’autres points, directement liés aux pratiques religieuses du partenaire non-musulman. La présente fatwa sur le sabbat en est un bon exemple. On sait en effet que les juifs pratiquant ce rite doivent observer une journée de repos pendant laquelle il leur est défendu de travailler ou de faire des profits. Cette interdiction concerne toute activité effectuée le samedi, par le juif lui-même ou par une autre personne travaillant pour lui. Se pose alors le problème de l’associé musulman qui, n’étant pas soumis à l’obligation du sabbat, continue de travailler le samedi tout en partageant les gains avec le juif. Celui-ci ne peut l’obliger d’arrêter son activité car, comme le montre Ibn Abī Zayd (m. 386/996) dans sa réponse, les conflits entre musulmans et dhimmīs relèvent uniquement de la loi islamique laquelle permet de travailler le samedi. Le même problème se pose lorsqu’un juif loue du matériel ou des animaux à un musulman. Le propriétaire ne peut refuser, par exemple, que l’on utilise ses bêtes de sommes pendant le sabbat. Pour surmonter cette difficulté et préserver les intérêts économiques de leurs coreligionnaires, les rabbins proposaient différentes solutions que les ouvrages de responsa nous ont conservées. L’une de ces solutions consiste à établir un système de compensation qui permet au juif de laisser à son associé musulman travaillant le samedi la totalité des bénéfices réalisés ce jour-là et de se réserver les bénéfices réalisés un autre jour de la semaine. Cette sorte d’arrangement semble avoir été couramment utilisée par les commerçants, les artisans et les agriculteurs. En témoigne une responsa de Maïmonide dans laquelle celui-ci est interrogé sur la validité d’un accord liant des artisans juifs et musulmans. L’accord en question consiste à attribuer les recettes du vendredi aux juifs et celles du samedi aux musulmans. Maïmonide approuve ce principe, estimant qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que les musulmans ouvrent l’atelier le samedi et utilisent des outils appartenant partiellement à leurs associés juifs pour confectionner les produits vendus. 1
1 . M. Cohen, Sous le croissant et sous la croix. Les juifs au Moyen âge (Paris, 2008), 216.
conflit de lois ; fête juive ; shabbat
Adam Bishop : traduction
Notice n°252317, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252317/.