Livre contrefais
Livre contrefais
Ceux qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour contre les Francs
Ici fera mencion d'une choze quelle est necessaire à la matiere devant devizee et à celle quelle vint après Il y a une maniere de gent qui ne pevent porter garentie, ce il sont de nulle nacion, contre franc home qui est de la loy de Roume, en propre plait ne en pluizours autres chozes que elles seront esclerzies quant leuc sera. Encores y a autre maniere de gent qui ne sont acuillis en la Court de la Visconté en pluisours cas, si come sont esparjures provés et tous ciaus qui sont foi mentis, et tous champions vencus et tous ciaus qui ont Dieu renoié et devienent d’autre loi, et tous ciaus qui ont servi as Sarrazins et as autres mescreans as armes contre les Crestiens plus d'un an et d'un jour. Et aucuns sages dient que auci est des Latins qui soustienent les Grés contre les feaus Crestiens de sainte Yglize. Encores veullent dire aucuns et tous ceaus qui ne sont nés en loial mariage, et trestous sers, de quelque loi que il sont ; et tous ceaus qui ont esté de la relegion et sont revenus au siecle, ce il n'ont laissié leur relegion par le jugement de sainte Yglise. Mais encontre Grés et Suriens, et encontre tous autres Crestiens pevent porter garentie les Frans qui sont de la loi de Roume, se il ne sont entechiés de vices dessus dis ; mais se il en sont entechiés il perdent vois en la court, ce l'on les viaut oster et degeter…
A.Beugnot, "Abrégé du Livre des Assises de la Cour des Bourgeois", in Recueil des historiens des croisades, vol. 2 : Lois (Paris, 1843), repr. (Farnborough, 1967).
Ici est mentionné une chose qui est nécessaire pour la matière expliquée ci-dessus, et pour celle qui suit. Il y a des personnes qui ne peuvent pas témoigner, s'ils n'appartiennent à aucune nation, contre un homme libre qui suit la 'loi de Rome'1, ni pour plaider ni pour beaucoup d'autres choses qui seront expliquées en leur propre place. Il y a aussi des personnes qui ne sont pas accueillies devant la cour du vicomte en de nombreux cas, c'est-à-dire s'ils sont parjures prouvés, tous ceux qui ont rompu leurs serments, les champions qui ont perdu un combat judiciaire, ceux qui ont renié Dieu et se sont convertis, et tous ceux qui ont servi les musulmans ou d'autres incroyants contre les chrétiens pour plus d'un an et un jour. Certains sages disent que ceci inclut les Latins qui servent les Grecs contre les chrétiens fidèles de l'église sainte. D'autres personnes veulent ajouter tous ceux qui ne sont pas nés d'un mariage régulier, les serfs de n'importe quelle religion, et tous ceux qui ont quitté la vie religieuse pour la vie séculière, s'ils ne l'ont pas quittée par congé de la sainte église. Mais contre les Grecs et Syriens et tous autres chrétiens peuvent témoigner les Francs qui suivent la 'loi de Rome', s'ils ne sont pas exclus à cause des crimes mentionnés ci-dessus ; mais s'ils ont été convaincus de ces crimes, ils perdent leur place à la Cour, au cas où l'on veut les exclure et les rejeter.
1 . C'est-à-dire les catholiques.
A. Bishop
Cette assise présente la liste de ceux qui ne pouvaient pas témoigner contre les Francs (i.e. catholiques romains) à la cour des bourgeois. Parmi ceux qui étaient convaincus de crimes, la liste inclut également les non-catholiques, les apostats et les serfs de toute religion. Il était important de noter qui pouvait témoigner contre qui dans une société aussi multiculturelle que celle des royaumes de Jérusalem et de Chypre, et Geoffroy le Tor, Philippe de Novare, Jean d'Ibelin et les assises de la cour des bourgeois présentaient des assises similaires. Ce chapitre du Livre contrefais est en fait presque une copie exacte du chapitre 28 du traité de Philippe de Novare. Philippe, à son tour, l'avait copié sur Geoffroy le Tor, mais avait ajouté ses propres jugements et opinions qui ont été conservés par l'auteur du Livre contrefais.
En principe, les non-chrétiens n'étaient autorisés à témoigner que contre les membres de la même religion, et seulement devant les cours d'instance peu élevée. Cette règle excluait une large partie de la population, "a vast majority of the population", de toute participation à la Haute cour. 1 Hans E. Mayer avait noté que ceux qui n'étaient pas catholiques romains, et tout particulièrement les musulmans, étaient mentionnés dans les sources légales plutôt après coup. Les musulmans n'avaient plutôt ni droit religieux, ni droit légal. 2 Marwan Nader remarque que les musulmans qui habitaient en ville pouvaient bénéficier de quelques droits, au moins devant les cours bourgeoises d'instance la moins élevée.3 Il est reconnu que de nombreux chrétiens se convertissaient à l'Islam, souvent lors de batailles ou de sièges, ou après avoir été capturés par les musulmans. On peut soutenir que cette apostasie et cette conversion à l'Islam se produisaient fréquemment parmi les croisés.4Tous les traités importants s'accordent à reconnaître qu'un apostat ne peut plus témoigner. Le Livre contrefais modifie légèrement le texte de Philippe, pour dire qu'un catholique peut témoigner contre un membre de n'importe quelle autre religion. Cette règle vaut uniquement pour les cours des bourgeois, et ne se vérifiaient jamais devant les hautes cours. Les assises des bourgeois de Jérusalem (chapitre 137) autorisaient les Francs à témoigner contre les non-catholiques, mais uniquement dans des circonstances précises, à la différence de la déclaration générale que l'on trouve ici. Le reste du chapitre, qui n'est pas inclus ici, continue en expliquant comment un témoin pouvait se taire devant la cour.
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. P. W. Edbury (Nicosia, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . H. E. Meyer, "Latins, Muslims, and Greeks in the Latin Kingdom of Jerusalem", History 63 (1978); repr. in Probleme des lateinischen Königreichs Jerusalem (Aldershot, 1983), 175-185.
3 . M. Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 255-258.
4 . B. Z. Kedar, "Multidirectional conversion in the Frankish Levant", dans J. Muldoon, Varieties of Religious Conversion in the Middle Ages(Gainesville, 1997); repr. dans Franks, Muslims, and Oriental Christians in the Latin Levant (Aldershot, 2006), 194.
Claire Chauvin : traduction
Notice n°136998, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136998/.