Valentinianus II
Code Théodosien
Peine d'intestabilité contre les chrétiens apostats vers le paganisme ou le judaïsme mais prescription par cinq ans après le décès de l'accusé des poursuites pénales en apostasie
Idem AAA. ad Hypatium p(raefectum) p(raetori)o.
Christianorum ad aras et templa migrantium negata testandi licentia vindicamus admissum. Eorum quoque
flagitia puniantur, qui Christianae religionis et nominis dignitate neglecta Iudaicis semet polluere contagiis. Eos vero, qui Manichaeorum nefanda secreta et scelerosos aliquando sectari maluere secessus, ea iugiter atque perpetuo poena comitetur, quam vel divalis arbitrii genitor Valentinianus adscripsit vel nostra nihilo minus saepius decreta iusserunt. Auctores vero persuasionis huius, qui lubricas mentes in proprium deflexerant consortium, eademque reos erroris huiuscemodi poena, quin etiam graviora plerumque pro motibus iudicum et qualitate commissi extra ordinem promi in nefarios sceleris huius artifices supplica censemus.
Sed ne vel mortuos perpetua vexet criminationis iniuria vel hereditariæ quæstiones temporum varietate longorum prorsus emortuæ in redivivos semper agitentur conflictus, huiuscemodi quæstionibus metam temporis adscribimus, ut, si quis defunctum violatæ atque desertæ christianæ religionis accusat eumque in sacrilegia templorum vel in ritus iudaicos vel ad manichæorum dedecus transisse contendit eaque gratia testari minime potuisse confirmat, intra quinquennium iuge, quod inofficiosis actionibus contitutum est, proprias exerat actiones futurique iudicii huiuscemodi sortiatur exordium, ut eodem in luce durante, cuius prævaricatio criminanda est, flagitii huius et sceleris præsens fuisse doceatur publica sub testificatione testatus, probet indicium, neque enim eam superno nomine tacitus praestitisse perfidiam sceleribus adquiescens praevaricationem deinceps tamquam ingarus accuset.
Dat. XII kal. iun. Patavi Merobaude II et Saturnino conss.
T.Mommsen & P.Meyer, eds., Theodosiani libri 16 cum Constitutionibus Sirmondianis et Leges novellae ad Theodosianum pertinentes (Berlin, 1904, 4th reed. 1971), 884-885.
Les trois mêmes Augustes à Hypatius, préfet du prétoire.
En retirant aux chrétiens qui migrent vers les autels et les temples l'autorisation de tester, Nous nous vengeons de leur méfait. Que soient aussi punies les ignominies de ceux qui, négligeant la dignité de la religion et du nom chrétiens, se souilleraient par la contagion judaïque. Quant à ceux qui ont préféré suivre les manichéens dans leurs mystères impies et, parfois, dans leurs retraites criminelles, qu'ils encourent continuellement et perpétuellement la peine que Valentinien, père au divin jugement, leur a assignée et que Nos décrets ont à plusieurs reprises également ordonnée. Quant aux complices, qui auraient détourné ces esprits chancelants vers leur communauté, qu'ils encourent la même peine que celle des accusés d'une erreur de ce genre ; bien plus Nous ordonnons que des supplices encore plus lourds laissés à l'appréciation des juges et fonction de ce qui a été commis soient appliqués extra ordinem contre les artisans impies de ce crime.
Mais, pour qu’une accusation de crime ne tourmente pas les morts à perpétuité et pour que des problèmes d’héritage ne soient pas agités par des conflits sans cesse renaissants alors que les diverses prescriptions de longue durée les ont entièrement éteints, nous assignons une limite temporelle à de telles affaires. Si quelqu'un accuse un défunt d'avoir violé et déserté la religion chrétienne, soutient que cette personne est passée au sacrilège des temples ou aux rites juifs, et affirme que pour cette raison il ne pouvait pas tester, qu'il intente les actions appropriées dans les cinq années suivantes, délai fixé pour les actions d'inofficiosité, et qu'ainsi il obtienne l'ouverture d'un futur procès. Qu’il déclare dans une déposition publique qu’il fut témoin, du vivant de celui dont l’apostasie doit être blâmée, de sa turpitude et de son crime, qu’il en apporte la preuve, car il ne faut pas qu’après avoir couvert par son silence cette perfidie contre la puissance divine et ainsi acquiescé aux crimes, il puisse se porter accusateur, comme s’il avait ignoré la prévarication.
Donné le 12 des calendes de juin à Padoue, sous le consulat de Merobaudes pour la 2e fois et de Saturninus.
C. Nemo-Pekelman
Ce texte a été promulgué dans la partie occidentale de l'Empire (à Padoue) par l'empereur Gratien en son nom et aux noms de Valentinien II et Théodose Ier le 21 mai 383. Il est adressé au préfet du prétoire d'Italie Hypatius. Il a ensuite été inséré dans le Livre 16.7 du Code Théodosien intitulé De apostatis, où il côtoie six autres lois relatives au même crime d'apostasie, qui s'échelonnent entre 381 et 426. Il retire aux chrétiens apostats vers le paganisme ou le judaïsme la capacité juridique de tester (testandi licentia), ce qui signifie dans le présent contexte la capacité de réaliser des testaments (testamenti factio active). L'interdiction pour le pater familias d'instituer des héritiers par voie de testament était une peine très grave pour les Romains qui, traditionnellement, donnaient la prépondérance à la succession testamentaire par rapport à la succession ab intestat. Les apostats vers le manichéisme sont frappés plus lourdement encore, les peines prescrites par la constitution de Valentinien I du 2 mars 372 (CTh 16.5.3) étant confirmées ainsi que celles que "Nos décrets [ceux de Gratien] ont à plusieurs reprises également ordonnées". Lesdits décrets ne nous sont pas parvenus, à moins qu'il ne s'agisse des lois prises en Orient par le collègue de Gratien Théodose Ier en 381-382 (CTh 16.5.7 et 9)1. La loi recommande aux juges d'administrer une peine plus sévère aux complices (auctores persuasionis), c'est-à-dire au païen ou au juif qui aura suscité la conversion du chrétien aux "religions" païenne ou juive. Comme il est courant dans la procédure extraordinaire, la peine n'est pas fixée par la loi mais laissée à l'appréciation (arbitrium) du juge. Cette sévérité renforcée à l’encontre des complices s’explique peut-être par l’existence d’un certain prosélytisme venu des milieux païens ou juifs, dont le but non avoué aurait été la captation de l’héritage du converti. C’est ce phénomène que paraissent confirmer les lois du 23 mars 396 (CTh 16.7.6) et du 7 avril 426 (CTh 16.7.7). La dernière partie de la loi - à partir de Sed ne vel mortuos- laisse entendre que les procès criminels pour apostasie déclenchés après le décès de la personne poursuivie s'étaient multipliés. Ce qui conduit à postuler l’existence d’une loi disparue. En effet, la seule constitution connue ayant institué la peine d’intestabilité en punition de l’apostasie est la loi de Gratien du 2 mai 381 (CTh 16.7.1) qui est bien trop récente. La loi entend juguler des "conflits sans cesse renaissants" en prescrivant l’action criminelle pour apostasie par cinq ans, par analogie avec le délai fixé pour les actions en inofficiosité (CTh 2.19.1 à 7), ce qui était un moyen de limiter ce type de contentieux, qui créaient une insécurité juridique pour les bénéficiaires de testaments possesseurs de bonne foi et qui pouvaient se voir enlever leurs biens dans des limites temporelles indéfinies. Le texte rappelle donc que la loi prévoit des prescriptions de longue durée éteignant toute revendication en matière de possession2 . Ainsi que l’a noté Amnon Linder, le succès de cette procédure s'explique vraisemblablement par le fait que les enfants du défunt, compte tenu de la nature de la peine prévue contre l’apostat, pouvaient avoir intérêt à dénoncer ce crime : les héritiers ab intestat découvrant à l’ouverture du testament qu’ils avaient été exhérédés, omis, ou insuffisamment institués par leur parent défunt pouvaient, s’apercevant que ceux qui avaient été institués à leurs dépens par le testament étaient des païens ou des juifs, avoir l’espoir d’obtenir l’annulation de l’acte en portant contre leur père une accusation post mortem d’apostasie. La loi entend donc réguler une démarche qui tentait manifestement beaucoup d’héritiers ab intestat, dont le zèle soudain pour la défense de l’orthodoxie catholique n’abuse pas le pouvoir impérial.
1 . R. Delmaire (Paris, 2005), 358 n. 2
2 . R. Delmaire (Paris, 2005), 358, 3
Cette loi s'inscrit dans le contexte de l'Edit de Thessalonique du 28 février 380 (CTh 16.1.2), par lequel les empereurs d'Orient Théodose Ier et d'Occident Gratien et Valentinien II étaient revenus sur le principe de liberté religieuse décrété en 313 par l'Edit de Milan de Constantin. La première loi connue contre les apostats, qui prescrivait déjà l’intestabilité, est du 2 mai 381 (CTh 16.7.1), mais il est vraisemblable qu’il existait des lois plus anciennes, sans quoi on s’explique mal la multiplication des procès - en l'espace de deux années seulement -, et l’insécurité juridique engendrées pour les possesseurs de bonne foi, que dénonce notre texte. La loi est pratiquement contemporaine de celle de Théodose de même objet pour la partie orientale de l'Empire (2 mai 383 = CTh 16.7.1 et 16.5.7). L’action criminelle pour apostasie, par les exceptions qu’elle introduisait dans le droit commun, souleva des objections que révèle une loi de Valentinien III du 7 avril 426 (CTh 16.7.7). Les auteurs du Bréviaire d'Alaric ont sélectionné cette constitution, mais en ne retenant que les deux premières phrases, qui définissent l'incrimination et sa peine (BA 16.2.1). Les auteurs du Code Justinien ont quant à eux réécrit le texte (CJ 1.7.2).
apostasie ; conversion au judaïsme ; intestabilité ; Juifs/Judaïsme ; manichéens ; testament
Adam Bishop : traduction
Notice n°136841, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136841/.