Nom de la loi
Loi soumettant l’obtention du triomphe à l’extermination de 5000 ennemis
Date
Avant 143 av. J.-C.
Rogator
inconnu
Thèmes
Sources
Val. Max., 2, 8, 1Bibliographie
- Rotondi, LPR, 279-280
- Richardson, J. S., « The triumph, the praetors and the Senate in the early second century B.C. », (JRS 65, 1975, 50-63, part. 62
- Petrucci, A., Il trionfo nella storia costituzionale romana dagli inizi della Repubblica ad Augusto, Milan, 1996, 131-134
- Itgenshorst, T., Tota illa pompa. Der Triumph in der römischen Republik, Göttingen, 2005, 188
- J.-L., Bastien, Le triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers siècles de la République, Rome, 2007, 293-296
- Beard, M., The Roman triumph, Cambridge (Mass.)-Londres, 2007, 209-212
- Rich, J., « The Triumph in the Roman Republic: Frequency, Fluctuation and Policy », dans C. H. Lange, F. J. Vervaet (éd.), The Roman Republican Triumph Beyond the Spectacle, Rome, 2014, 197-258, part. 233-235
Commentaire
Cette loi est mentionnée par Valère Maxime (Val. Max., 2, 8, 1Ob leuia proelia quidam imperatores triumphos sibi decerni desiderabant. Quibus ut occurreretur, lege cautum est ne quis triumpharet nisi qui quinque milia hostium una acie cecidisset. Non enim numero sed gloria triumphorum excelsius urbis nostrae futurem decus maiores existimabant. Ceterum ne tam praeclara lex cupiditate laureae oblitteraretur, legis alterius adiutorio fulta est quam L. Marius et M. Cato tribuni plebei tulerunt.) en première position dans le chapitre qu'il consacre aux principes d'attribution du triomphe (De iure triumphandi). Elle inaugure l’énumération de règles qui, à la différence de celle-ci, sont présentées par le biais d’anecdotes exemplaires, et ne forment pas une série cohérente de lois (Itgenshorst, 186-187, sur ce chapitre comme « lieu de mémoire » ; Beard, 209-212, sur l’inexistence d’un « droit du triomphe »). Valère Maxime en indique les dispositions : « Nul ne triompherait s’il n’avait tué 5000 ennemis dans un seul combat » ; le contexte : « Des généraux voulaient se faire décerner un triomphe pour des combats insignifiants » ; et l’objectif supposé : « Ce n’est pas le nombre des triomphes, mais leur éclat qui allait servir la gloire de notre Ville, pensaient nos ancêtres ». Il évoque ensuite une autre loi, venue censément renforcer l’efficacité, de celle-ci celle que portèrent Caton le Jeune et un autre tribun en 62 pour empêcher les généraux de falsifier leurs déclarations de pertes militaires (notice 547).
Une autre mention de cette loi apparaît chez Orose (Oros., 5, 4, 7Appio Claudio Q. Caecilio Metello consulibus Appius Claudius aduersus Salassos Gallos congressus et uictus quinque milia militum perdidit. Reparata pugna, quinque milia hostium occidit. Sed cum iuxta legem qua constitutum erat ut quisque quinque milia hostium peremisset triumphandi haberet potestatem, iste quoque triumphum expetisset, propter superiora uero damna non impetrauisset, infami impudentia atque ambitione usus priuatis sumptibus triumphauit.), à propos du triomphe que le consul de 143, Appius Claudius Pulcher, célébra contre l’avis du Sénat et à ses frais, pour sa victoire sur les Salasses, obtenue après qu’il eut d’abord perdu 5000 hommes : « Il avait demandé le triomphe, conformément à la loi qui établissait que celui qui avait fait périr 5000 ennemis avait le pouvoir de triompher, et ne l’avait pas obtenu à cause de ses pertes antérieures ». L’authenticité de cette version du triomphe d’Appius Claudius a été très discutée, et ces doutes rejaillissent sur l’évocation de la loi dans ce contexte. L’équivalence entre le nombre des soldats romains perdus dans la première bataille et celui des ennemis tués ensuite a paru suspecte (Beard, 372, n. 62 y voit un procédé rhétorique), mais surtout les autres versions du conflit suscité par la demande de triomphe du consul ne font aucune place à la question des pertes ennemies. Les unes se focalisent sur le geste admirable de la vestale Claudia montant sur le char triomphal de son père pour faire échouer la tentative d’un tribun de la plèbe de l’en arracher, et ne disent rien du débat qui a précédé (Cic., Cael., 34« Nonne te, si nostrae imagines uiriles non commouebant, ne progenies quidem mea, Q. illa Claudia, aemulam domesticae laudis in gloria muliebri esse admonebat, non uirgo illa Vestalis Claudia, quae patrem complexa triumphantem ab inimico tribuno plebei de curru detrahi passa non est ? » ; Val. Max., 5, 4, 6 Magna sunt haec uirilis pietatis opera, sed nescio an his omnibus ualentius et animosius Claudiae Vestalis uirginis factum. Quae, cum patrem suum triumphantem e curru uiolenta tribuni <pl.> manu <detrahi> animaduertisset, mira celeritate utrisque se interponendo amplissimam potestatem inimicitiis accensam depulit. ; Suet., Tib., 2, 9Etiam virgo Vestalis fratrem iniussu populi triumphantem ascenso simul curru usque in Capitolium prosecuta est, ne uetare aut intercedere fas cuiquam tribunorum esset.), et la seule qui évoque celui-ci, un passage fragmentaire de Dion Cassius (Dio, 22, fr. 74, 2 Ὅτι Κλαύδιος, ἐι καὶ μάλιστα ἀκριβῶς ἠπίστατο ὅτι οὐκ ἐνενικήκει, ἀλλ᾽οὖν καὶ τότε τοσαύτῇ ὑπερηφανίᾳ ἐχρήσατο ὥσθ᾽ὑπὲρ μὲν τῶν ἐπινικίων μηδένα λόγον μήτε ἐν τῇ βουλῇ μήτε ἐν τῷ δήμῳ ποιήσασθαι, καθάπερ δὲ ὑπαρχόντων οἱ πάντως αὐτῶν κἄν μηδεὶς ψηφίσηται, τὰ ἐς αὐτὰ ἀναλώματα αἰτῆσαι.: cf. G. Urso, Cassio Dione e i sovversivi. La crisi della Repubblica nei frammenti della « Storia romana » (XXI-XXX), Milan, 2015, 59-61), si elle concorde avec celle de Valère Maxime dans la dénonciation de l’ambition et de l’arrogance du consul – un topos banal de la tradition anti-claudienne -, en diffère pour le détail du conflit politique, et ne fait aucune place à une intervention tribunicienne (sur l’impossibilité de reconstituer les faits sur ces bases, Itgenshorst, 261). Soit, donc, on voit dans la version d’Orose une fabrication construite arbitrairement à partir du passage de Valère Maxime sur la loi (Itgenshorst, 188, n. 97 ; Beard, 209-210), soit on considère qu’il a repris, comme il le fait en général, le récit de Tite-Live, qui ne nous est pas parvenu (Urso, Rich). Dans ce cas, l’information qu’il donne peut être considérée comme recevable, et permet de proposer le terminus ante quem de 143 pour la loi.
Comme terminus post quem, plusieurs dates ont été avancées, reposant sur l’idée formulée par Valère Maxime, que la loi aurait visé à faire barrage à des demandes de triomphe peu justifiables eu égard à l’insignifiance des opérations : soit 180 (Rotondi, Richardson), car les consuls qui avaient obtenu le triomphe avaient organisé la déportation des Ligures Apuani sans combat (Liv., 40, 38, 9Hi omnium primi nullo bello gesto triumpharunt.) : « Ils furent absolument les premiers à triompher sans avoir fait la guerre » ; soit 197 (Bastien, 293-294), où deux tribuns exigèrent et obtinrent que les demandes des deux consuls soient discutées séparément, estimant que l’un d’eux avait livré des batailles insignifiantes et perdu beaucoup d’hommes, ce qui le fit renoncer (Liv., 33, 22, 7-107. Q. Minucium in Liguribus leuia proelia, uix digna dictu, fecisse, in Gallia magnum numerum militum amisisse ; 8. nominabant etiam tribunos militum, T. Iuuentium, Cn. Ligurium legionis quartae aduersa pugna cum multis aliis uiris fortibus, ciuibus ac sociis, cecidisse. 9. Oppidorum paucorum ac uicorum falsas et in tempus simulatas sine ullo pignore deditiones factas esse. 10. Hae inter consules tribunisque altercationes biduum tenuerunt, uictique perseuerantia tribunorum consules separatim rettulerunt.).
Cependant, les effets de cette disposition ne sont guère perceptibles : la question des effectifs ennemis tués apparaît rarement dans les informations sur les triomphes (Rich, 225, n. 138), et jamais dans le contexte précis des débats, si l’on met à part ceux de 143, et certains triomphes paraissent avoir été obtenus sans pertes ennemies significatives.
C’est pourquoi des doutes demeurent quant au statut de cette règle. Pour beaucoup, il est peu probable qu’il s’agisse d’une loi, car aucune des autres conditions mises en avant dans les très nombreux débats, rapportés essentiellement par Tite-Live, sur l’attribution du triomphe - qualité de l’imperium, caractère définitif de la victoire, retour de l’armée, accroissement de l’empire - n’est présentée comme telle, et l’application de ces règles apparaît en outre comme très fluctuante (Richardson, 60-63). On a fait valoir aussi qu’une règle voisine, le nombre de tués exigé au Ier siècle pour que les acclamations comme imperator soient valides, avait un statut tout aussi incertain (Rich, 235). Il nous semble cependant qu’on ne peut rejeter les indications de Valère Maxime : la distinction qu’il établit entre cette loi et les autres limitations encadrant l’octroi du triomphe est explicite, et le passage d’Orose rapportant l’évocation de la loi par le consul de 143 peut difficilement être écarté, eu égard à la qualité habituelle de son information.
Comment citer cette notice
Marianne Coudry. "Loi soumettant l’obtention du triomphe à l’extermination de 5000 ennemis ", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice354/. Date de mise à jour :23/04/24 .