> Extrait

Lycophron, Alexandra, 86-89.

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Date du texte cité

IIIe siècle av. J.-C.

Précisions : (datation incertaine)

Texte (version originale)

Λεύσσω θέοντα γρυνὸν ἐπτερωμένον

τρήρωνος εἰς ἅρπαγμα, Πεφναίας κυνός,

ἣν τοργος ὑγρόφοιτος ἐκλοχεύεται,

κελυφάνῳ στρόβιλον ὠστρακωμένην.

Traduction

Je vois courir un brandon ailé vers le rapt de la ramière, de la chienne pephnaïenne dont un vautour aquicole accouche, caparaçonnée sous le cône d’une coquille.

Source de la traduction

traduction empruntée à l'édition Chauvin/Cusset

Paraphrase/Commentaire sur le texte

Ces vers sont consacrés au motif de la naissance d'Hélène (la chienne pephnaïenne) et à son enlèvement par Pâris (le brandon ailé). Croisant des références à la métamorphose de Zeus en cygne (un vautour aquicole, ici!) avec des cryptages typiques du style de l'Alexandra (comme l'emploi d'un nom d'animal pour désigner, par métaphore, un personnage mythologique), ce passage, qui n'est pas dépourvu d'humour, présente Hélène comme un hybride étrange: «une chienne née sous une coquille d'un vautour aquatique». Le terme de chienne renvoie, dans la bouche de Cassandre, à l'idée de luxure (Pephnos, en Laconie, donne toutefois une certaine noblesse à ce qualificatif, les chiennes laconiennes étant réputées). Le terme de vautour renforce les connotations négatives de ce tableau grotesque puisqu'il est employé ailleurs, à deux reprises, pour Ajax, auteur du rapt de Cassandre. Le vers 89 pointe avec insistance et sans doute humour sur le motif de la coquille en désignant celle-ci par trois mots très redondants qui occupent tout le trimètre iambique (κελυφάνῳ στρόβιλον ὠστρακωμένην) et qui nous montrent une Hélène carapacée dans l'enveloppe d'une coquille. Autre élément étrange: le verbe ἐκλοχεύεται employé ici pour Zeus convient davantage au sexe féminin qu'au sexe masculin. Partant, ce passage est parfois interprété comme une allusion à Némésis, qui, sous la forme d'une oie, devient mère d'Hélène. Une autre hypothèse consiste à penser qu'il s'agit bien de Zeus s'unissant à Léda mais que l'emploi impropre du verbe est un élément d'ironie. S'agirait-il ainsi d'un effort pour rapprocher la naissance extraordinaire et monstrueuse d'Hélène de celles d'Athéna et de Dionysos? où Zeus joue un rôle si particulier? L'insistance sur le motif de la coquille reçoit un écho au vers 506, avec la représentation des Dioscures, loups portant "l'enveloppe de leur coquille" (ostrakou strobilos) où l'on retrouve la iunctura redondante du vers 89: le pilos est ainsi assimilé à la coquille que les Dioscures porteraient comme deux poussins. Encore une fois, on retrouve une hybridation qui peut faire sourire entre canidés et volailles. Le motif de la coquille est bien présent dans la céramique italiote où il a été mis en rapport avec l'influence du pythagorisme: dans l'hypothèse d'un lien entre le poème et la Grande Grèce, faut-il penser que Lycophron s'amuse ici d'un motif mis à l'honneur par cette doctrine? Dans tous les cas, Lycophron semble vouloir insister sur l'aspect inouï ou cauchemardesque de la naissance d'Hélène qui devient ainsi un pendant de la naissance de Pâris, annoncée à Hécube par un cauchemar que Cassandre rappelle au vers 86 (Hécube y voit en effet un «brandon ailé» qui représente Pâris). Les naissances des deux membres du couple responsable du conflit forment ainsi un diptypque. On peut aussi constater que Lycophron est notre première source attestant, pour Pâris, l'intervention d'une ourse venue l'allaiter alors que Priam l'avait fait exposer (v. 138). Si la naissance d'Hélène se teinte ainsi d'aspects cauchemardesques, celle de Pâris inclut désormais une intervention animale qui renforce peut-être la cohérence du diptyque.

Rédacteur du commentaire

É. Prioux

Indexation

Personnages(s):

Paris; Hélène; Zeus (?)

Ethnique(s):

Pephnaïen

Mot(s)-clé(s) :

œuf; rêve; rapt; cauchemar; songe

Commentaire iconographique 1

Commentaire

L'image d'"Hélène carapaçonnée sous le cône d'une coquille" est à mettre en parallèle avec les représentations de la naissance d'Hélène - figurée sous les traits d'une fillette nue sortant d'une coquille d'œuf brisée - particulièrement répandues dans la céramique d'Italie méridionale de la seconde moitié du IVe s. (LIMC IV, s.v. "Helene" 5   -9   ). On notera également qu'un œuf en calcaire peint, dont la coquille est partiellement brisée pour laisser apparaître la petite Hélène, fut découvert dans une tombe de Métaponte datée de la fin du Ve s. av. J.-C. (LIMC Suppl. 2009, s.v. "Helene" add. 1   ). Mais c'est un vase d'origine laconienne, de la fin du Ve s., qui offre le meilleur parallèle iconographique aux vers de Lycophron : posé sur un autel, l'oeuf dans lequel est encore lovée la petite Hélène est survolé par un rapace (http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13761).

Objet(s) et image(s)

http://www.limc-france.fr/LIMC/objet/13761

Auteur du commentaire iconographique

P. Linant de Bellefonds

Comment citer cette notice

Texte n°259 dans CALLYTHEA [En ligne]; http://www.cn-telma.fr/callythea/extrait259/. Première version : 07/01/10. Date de mise à jour : 02/09/14

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