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Théocrite, Idylle 15, 100-144 Gow.

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Date du texte cité

IIIe siècle av. J.-C.

Texte (version originale)

Δέσποιν᾿, ἃ Γολγώς τε καὶ Ἰδάλιον ἐφίλησας

αἰπεινάν τ᾿ Ἔρυκα, χρυσῷ παίζοισ᾿ Ἀφροδίτα,

οἷόν τοι τὸν Ἄδωνιν ἀπ᾿ ἀενάω Ἀχέροντος

μηνὶ δυωδεκάτῳ μαλακαὶ πόδας ἄγαγον Ὧραι,

βάρδισται μακάρων Ὧραι φίλαι· ἀλλὰ ποθειναί

ἔρχονται πάντεσσι βροτοῖς αἰεί τι φέροισαι.

Κύπρι Διωναία, τὺ μὲν ἀθανάταν ἀπὸ θνατᾶς,

ἀνθρώπων ὡς μῦθος, ἐποίησας Βερενίκαν,

ἀμβροσίαν ἐς στῆθος ἀποστάξασα γυναικός·

τὶν δὲ χαριζομένα, πολυώνυμε καὶ πολύναε,

ἁ Βερενικεία θυγάτηρ Ἑλένᾳ εἰκυῖα

Ἀρσινόα πάντεσσι καλοῖς ἀτιτάλλει Ἄδωνιν.

Πὰρ μέν οἱ ὥρια κεῖται, ὅσα δρυὸς ἄκρα φέροντι,

πὰρ δ᾿ ἁπαλοὶ κᾶποι πεφυλαγμένοι ἐν ταλαρίσκοις

ἀργυρέοις, Συρίω δὲ μύρω χρύσει᾿ ἀλάβαστρα,

εἴδατά θ᾿ ὅσσα γυναῖκες ἐπὶ πλαθάνω πονέονται

ἄνθεα μίσγοισαι λευκῷ παντοῖα μαλεύρῳ,

ὅσσα τ᾿ ἀπὸ γλυκερῶ μέλιτος τά τ᾿ ἐν ὑγρῷ ἐλαίῳ.

Πάντ᾿ αὐτῷ πετεηνὰ καὶ ἑρπετὰ τεῖδε πάρεστι·

χλωραὶ δὲ σκιάδες μαλακῷ βρίθοισαι ἀνήθῳ

δέδμανθ᾿· οἱ δέ τε κῶροι ὑπερπωτῶνται Ἔρωτες,

οἷοι ἀηδονιδῆες ἀεξομενᾶν ἐπὶ δένδρῳ

πωτῶνται πτερύγων πειρώμενοι ὄζον ἀπ᾿ ὄζω.

Ὤ ἔβενος, ὢ χρυσός, ὢ ἐκ λευκῶ ἐλέφαντος

αἰετοὶ οἰνοχόον Κρονίδᾳ Διὶ παῖδα φέροντες,

πορφύρεοι δὲ τάπητες ἄνω μαλακώτεροι ὕπνω·

ἁ Μίλατος ἐρεῖ χὠ τὰν Σαμίαν καταβόσκων,

'ἔστρωται κλίνα τὠδώνιδι τῷ καλῷ ἄμμιν'.

Τὸν μὲν Κύπρις ἔχει, τὰν δ᾿ ὁ ῥοδόπαχυς Ἄδωνις.

Ὀκτωκαιδεκετὴς ἢ ἐννεακαίδεχ᾿ ὁ γαμβρός·

οὐ κεντεῖ τὸ φίλημ᾿· ἔτι οἱ περὶ χείλεα πυρρά.

Νῦν μὲν Κύπρις ἔχοισα τὸν αὑτᾶς χαιρέτω ἄνδρα·

ἀῶθεν δ᾿ ἄμμες νιν ἅμα δρόσῳ ἀθρόαι ἔξω

οἰσεῦμες ποτὶ κύματ᾿ ἐπ᾿ ἀιόνι πτύοντα,

λύσασαι δὲ κόμαν καὶ ἐπὶ σφυρὰ κόλπον ἀνεῖσαι

στήθεσι φαινομένοις λιγυρᾶς ἀρξεύμεθ᾿ ἀοιδᾶς.

Ἕρπεις, ὦ φίλ᾿ Ἄδωνι, καὶ ἐνθάδε κἠς Ἀχέροντα

ἡμιθέων, ὡς φαντί, μονώτατος. Οὔτ᾿ Ἀγαμέμνων

τοῦτ᾿ ἔπαθ᾿ οὔτ᾿ Αἴας ὁ μέγας, βαρυμάνιος ἥρως,

οὔθ᾿ Ἕκτωρ, Ἑκάβας ὁ γεραίτατος εἴκατι παίδων,

οὐ Πατροκλῆς, οὐ Πύρρος ἀπὸ Τροίας ἐπανενθών,

οὔθ᾿ οἱ ἔτι πρότεροι Λαπίθαι καὶ Δευκαλίωνες,

οὐ Πελοπηιάδαι τε καὶ Ἄργεος ἄκρα Πελασγοί.

Ἵλαος, ὦ φίλ᾿ Ἄδωνι, καὶ ἐς νέωτ᾿· εὐθυμεύσαις

καὶ νῦν ἦνθες, Ἄδωνι, καί, ὅκκ᾿ ἀφίκῃ, φίλος ἡξεῖς.

Traduction

Souveraine, toi qui chéris Golgoi et Idalion et le haut Eryx, Aphrodite qui te complais dans l'or, voici ton Adonis, tel que l'ont ramené après douze mois de l'intarissable Achéron les Heures aux pieds délicats, les Heures chéries, les plus lentes des divinités, mais dont la venue est désirée de tous les humains, parce qu'elles apportent toujours quelque présent. Cypris, fille de Dioné, c'est toi, comme la renommée le publie, qui de mortelle as fait Bérénice immortelle en versant goutte à goutte l'ambroisie dans son sein de femme. Pour te marquer sa reconnaissance, déesse aux nombreux noms et aux temples nombreux, la fille de Bérénice, belle comme Hélène, Arsinoé, pare Adonis de tout ce qu'il y a de beau. Près de lui s'étalent tous les fruits de la saison que portent les arbres, près de lui sont des jardins délicats conservés dans des corbeilles d'argent, et des vases d'or pleins de parfums de Syrie, et toutes les pâtisseries que les femmes apprêtent sur un plateau, en mêlant des essences de fleurs de toute sorte à la blanche farine, et toutes celles qu'elles composent avec le doux miel ou l'huile onctueuse; toutes sont ici près de lui, en forme d'animaux qui volent ou qui marchent. Des berceaux de verdure sont formés de tendre aneth qui retombe ; par dessus voltigent de jeunes Amours, semblables à de jeunes rossignols qui essayent leurs ailes grandissantes sur un arbre en volant de branche en branche. Voyez l'ébène, voyez l'or, voyez les aigles d'ivoire éclatant qui portent à Zeus, fils de Cronos, son jeune échanson. Dessus, des couvertures de pourpre plus moelleuses que le sommeil. Et la Milésienne et le berger de Samos peuvent dire : « C'est de chez nous que viennent les couvertures du lit dressé pour le bel Adonis.

Il y a un lit pour Cypris; il y en a un pour Adonis aux bras de rose, le jeune fiancé qui compte dix-huit ou dix-neuf années. Son baiser ne pique pas, et un duvet doré couvre encore ses lèvres. Aujourd'hui que Cypris se réjouisse de posséder son amant. Dès l'aurore, à l'heure de la rosée, nous irons en cortège le porter hors de la ville dans les flots qui écument contre le rivage, et, dénouant notre chevelure, et laissant flotter nos robes sur nos talons, le sein découvert, nous entonnerons la complainte aiguë. Seul, dit-on, parmi les demi-dieux, tu visites tour à tour la terre et l'Achéron. Nul n'a eu cette fortune, ni Agamemnon, ni Ajax, le grand héros aux lourdes colères, ni Hector, l'aîné des vingt fils d'Hécube, ni Patrocle, ni Pyrrhus revenu de Troie, ni avant eux les Lapithes, ni les fils de Deucalion, ni les Pélopides, ni les Pélages, orgueil d'Argos.

Sois-nous maintenant propice, cher Adonis, et garde-nous ta faveur jusqu'à l'an prochain. Tu as été le bienvenu aujourd'hui, Adonis, tu seras le bienvenu quand tu reviendras.

Source de la traduction

Traduction E. Chambry modifiée

Paraphrase/Commentaire sur le texte

À la fin de l'Idylle XV, lorsque les deux commères sont parvenues au palais royal, une artiste entonne un chant funèbre en l'honneur d'Adonis, célébré dans les manifestations organisées par le pouvoir. On a la composition suivante :

1. Questions d'immortalité:

-100-105: ouverture adressée à Aphrodite à propos du retour d'Adonis (= 6 vers)

-106-111: bienfaits d'Aphrodite à l'égard de Bérénice divinisée; Arsinoé en retour comble Adonis de présents. (= 6 vers)

2: 112- 127: description (centrale) des "jardins d'Adonis". (= 16 vers) ? 3:"Héroïsation" d'Adonis: l'amour / la mort (guerrière) : -128-135: Hiérogamie d'Adonis et Aphrodite; annonce des funérailles d'Adonis (= 8 vers) -136-144: adresse à Adonis qui se distingue des héros guerriers et envoi. (= 9 vers). La composition fait apparaître que l'ecphrasis est au cœur de l'évocation, du chant d'Adonis. Dans les deux moments qui encadrent cette description, Adonis est mis en relation avec d'autres personnages: d'une part avec la famille royale des Ptolémées par l'intermédiaire d'Aphrodite; d'autre part, avec les héros guerriers qui ont participé notamment à la guerre de Troie. On est dans le cadre d'un hymne qui concerne à la fois Aphrodite et Adonis. La déesse est évoquée à travers diverses cités de Chypre et une montagne de Sicile qui sont des lieux de son culte; Toutefois, le genre hymnique n'est pas respecté: la partie centrale d'un hymne est d'ordinaire constituée par un récit de type mythologique; au lieu de l'histoire attendue d'Aphrodite et d'Adonis, on a une brève évocation du destin de la famille royale et une ecphrasis. On n'a donc pas un hymne comme on pourrait en avoir dans une célébration en l'honneur d'Adonis, mais c'est le contexte propre de l'idylle 15 qui impose son contenu au chant qui sert de substitut à l'évocation que Gorgô et Praxinoa sont incapables de faire de la fête, enfermées qu'elles sont dans la paralysie de l'étonnement. célébré dans le contexte de son hiérogamie avec Aphrodite, Adonis est peut-être bien, dans la fleur de sa jeunesse et de sa beauté, l'image de l'époux parfait que Gorgô et Praxinoa rêvent d'avoir (cf. l'anagramme parfait formé par le nom du mari de Praxinoa (Dinona) et Adonis). La fête d'Adonis semble n'être qu'une occasion pour célébrer la famille royale et ses aspirations à un statut divin. Les vers 106-8 présentent une succession de chiasmes intéressants autour des notions d'humanité et d'immortalité.Ces chiasmes successifs soulignent bien l'idée du passage du statut mortel au statut immortel et ce trait est en commun avec l'histoire d'Adonis qui revit annuellement, dans le cadre des célébrations, cet aller-retour entre immortalité et humanité. Les caractéristiques d'Adonis: sa beauté (v. 127) et sa jeunesse (v. 128) qui trouvent une manifestation physique dans la blondeur de son duvet de barbe qui ne pique pas (v. 130). Un autre caractère important est son ambivalence: son âge reste indéfini, mais cet âge n'est pas seulement celui de la beauté, c'est aussi celui où meurent les jeunes soldats; le terme qui désigne la couche où il se trouve peut aussi bien signifier la couche nuptiale que la bière funéraire; Adonis est un être de l'entre-deux, de l'intermédiaire (cf. v. 136) et comme tel il est insaisissable. C'est aussi la raison pour laquelle, en dépit de sa présence actuelle, la chanteuse envisage d'ores et déjà ce qui lui arrivera le lendemain. Le parallèle entre Adonis et les héros (v. 137-142) est aussi très intéressant : Adonis est rapproché et distingué (cf. emploi du superlatif assez rare au v. 137 mis en valeur par la coupe penthémimère trochaïque et la pause bucolique) d'un groupe de personnages mythologiques. Cette longue énumération, soutenue par l'anaphore de la négation qui chaque fois ajoute par contre-point à l'éloge d'Adonis, ne relève pas spécialement de l'érudition: la liste ne comporte pas d'éléments rares et n'apprend rien de nouveau ou de particulier sur ces personnages, même en ce qui concerne le nombre des fils de Priam (v. 139). Comme ces héros, Adonis est mort et jouit d'un culte sans doute analogue, pour Théocrite, à celui de ces héros. Mais il se distingue d'eux par son appartenance à une certaine forme de divinité (cf. l'opposition entre ἡμιθέων à l'ouverture du v. 137 et ἥρως à la clausule du v. 138: il est désigné comme demi-dieu, mais Théocrite emploie pour l'adresse qui lui est faite une formule analogique à celles qu'on utilise pour les dieux eux-mêmes. Son unicité fait qu'il se distingue de ces héros aussi d'un point de vue littéraire: ces héros représentent l'épopée; Adonis lui n'appartient pas au genre épique. Figure de l'intermédiaire, il est insaisissable. Son statut a quelque chose qui dérange, mais qui convient assez bien à la poésie de Théocrite.

Rédacteur du commentaire

C. Cusset

Bibliographie

G. Basta Donzelli, « Arsinoe simile ad Elena (Theocritus Id. 15, 110) », Hermes, 112, 1984, p. 306-316.

Indexation

Ethnique(s):

Pélasges; Milésien

Mot(s)-clé(s) :

jardin; divinisation

Commentaire iconographique 1

Commentaire

On pourra rapprocher de l’évocation de l’hiérogamie par Théocrite plusieurs mosaïques d’époque romaine montrant Aphrodite et Adonis enlacés, autour desquels s’ébattent des Amours et des oiseaux. Deux de ces mosaïques ornaient une même demeure à Lixus (Maroc) ; l’abondance des fleurs, et plus précisément les corbeilles remplies de fleurs, font sans doute allusion aux « jardins d’Adonis » que l’on offrait au jeune dieu (voir ici « les jardins délicats conservés dans des corbeilles d’argent »). Le rapprochement entre le texte de Théocrite et ces deux mosaïques confirme l’identification traditionnelle (Aphrodite et Adonis), récemment remise en question – sans arguments convaincants – par J.-P. Darmon qui préfère y voir Éros et Psyché.

Objet(s) et image(s)

http://www.limc-france.fr/objet/14739

http://www.limc-france.fr/objet/14740

Auteur du commentaire iconographique

P. Linant de Bellefonds

Commentaire iconographique 2

Commentaire

Pour le thème du lit (funèbre ?) d'Adonis, voir le commentaire iconographique à l'ID251653.

Auteur du commentaire iconographique

P. Linant de Bellefonds

Commentaire iconographique 3

Commentaire

La comparaison entre Hélène et Arsinoé (cf. G. Basta Donzelli, art. supra cit.) est attestée tant dans la littérature que dans l'iconographie hellénistiques. Chez Callimaque, les fr. 227 Pf (chant symposial en l'honneur des Dioscures) et 228 Pf font fugacement allusion à cette comparaison entre Arsinoé et Hélène dans la mesure où l'apothéose d'Arsinoé la rend semblable à Hélène entourée par les Dioscures (voir É. Prioux, «Callimachus' Queens», in Brill's Companion to Callimachus). Or, une série d'images étudiées par F. Chapouthier (Les Dioscures au service d'une déesse. Étude d'iconographie religieuse, Paris, 1935) montre les Dioscures ou les Cabires au service d'une déesse qu'ils entourent; le catalogue de ces documents montre que les plus anciens remontent au IIIe siècle av. J.-C. La matrice de cette série est l'image des Dioscures entourant Hélène, mais de nombreuses variantes se font vite jour: Cabires ou Dioscures entourant Cybèle, Déméter ou Hécate; Dioscures entourant Isis; Dioscures entourant Tyché. Il arrive aussi qu'à l'image d'une déesse ancienne se substitue l'une des nouvelles déesses créées par le régime lagide. Une monnaie conservée dans une collection particulière qui ne pouvait pas faire partie du catalogue de Chapouthier, mais qui s'intègre à merveille dans la série: un double octadrachme en or montrant, sur l'avers, un portrait d'Arsinoé portant un voile et une couronne, et, sur le revers, la double corne d'abondance — emblème d'Arsinoé II — entourée de deux piloi surmontés d'étoiles symbolisant les Dioscures, avec la légende ΑΡΣΙΝΟΗΣ ΦΙΛΑΔΕΛΦΟΥ. Voir R. A. Hazzard, «Theos Epiphanes: Crisis and Response», The Harvard Theological Review, 88, 1995, p. 415–436, spéc. p. 423–424 et pl. II, 10.

Auteur du commentaire iconographique

É. Prioux

Comment citer cette notice

Texte n°251654 dans CALLYTHEA [En ligne]; http://www.cn-telma.fr/callythea/extrait251654/. Première version : 06/04/12. Date de mise à jour : 24/09/12

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